L’Education nationale : un problème sociétal
J’ai regardé lundi du coin de l’oeil le documentaire diffusé sur Canal+ sur les défaillances de l’école, et j’ai été stupéfait par le parti pris du réalisateur qui est encore plus subjectif que Michael Moore et par le propos assez nostalgique du film.
En effet, on voyait volontiers dans ce documentaire un enseignant expliquer que l’on n’apprenait plus la division à l’école. Pour l’enseignant que je suis, cela m’a quelque peu étonné. Et cet enseignant d’expliquer que l’on peut aisément apprendre la technique opératoire de la division au CE1. Il a certainement raison mais permettez-moi de douter de cette méthode. Car tout d’abord, il faut être honnête : qui sait poser une division en France actuellement ? Dans mon entourage, les enfants savent mieux le faire que leurs parents qui pourtant ont connu cette fameuse méthode à l’ancienne. Car, en effet, elles sont là les limites d’une méthode entièrement transmissive. C’est qu’à ne pas comprendre ce qu’on fait, on l’applique le temps de ces études sans pour autant que ces acquis demeurent à l’âge adulte. Et les méthodes actuelles sont certes plus lentes mais sont destinées à faire prendre conscience aux élèves de ce qu’ils font. C’est un mensonge éhonté que j’ai entendu sortir de la bouche de cet homme quand il dit qu’on donne directement à faire la division de 227 par 6 sous forme de problème. Non ! Bien entendu, cet enseignement oblige à passer par des étapes. Exemple : en CE1, ma première leçon de mathématiques consistera à diviser 12 perles en 3 parts égales. Et non pas, comme ce monsieur le sous-entend de "griller les étapes". Mais ceci est un détail car ce qui m’étonne le plus, c’est cette indécision des détracteurs à emprunter un même chemin.
Je m’explique : il y a quelques jours, suite au rapport remis par le Haut Conseil de l’Education, on a vu et revu des images de l’école finlandaise, considérée (par les anglo-saxons) comme le meilleur système éducatif du monde. Puis, quelques jours plus tard, dans ce documentaire, on a surtout pu relever une critique sévère du système constructiviste. Le système constructiviste incite l’enseignant à mettre l’élève en situation de recherche afin que ce dernier découvre par lui-même, mais étayé par l’enseignant, les fondements de ses apprentissages. Ce système s’oppose au système transmissif où l’enseignant prodigue un savoir que l’élève doit maîtriser à son tour. Je n’ai pas envie d’épiloguer sur les qualités et les défauts des deux méthodes. Mais force est de constater que d’un côté, on voudrait que le système français s’inspire du système finlandais et d’un autre côté, qu’il revienne en arrière. Malheureusement, il s’agit là d’un grand écart car comment mettre à la fois l’élève au centre des apprentissages et en même temps faire de l’enseignant la voix unique du savoir. C’est simple : c’est impossible tant les deux analyses sont différentes.
Et cela me fait penser que finalement, ce n’est pas tant le système qui influe sur les résultats des élèves. Un système transmissif pourrait certainement réussir tout comme le ferait un système constructiviste ou socioconstructiviste. Car si on s’attarde sur les constats observés par le Haut Conseil de l’Education, il est un point des plus frappants :
La corrélation forte qui existe entre le redoublement précoce et l’origine sociale suggère en outre qu’il est contraire à l’égalité des chances des enfants devant l’école. Alors que 3 % des enfants d’enseignants et 7 % des enfants de cadres entrés en CP en 1997 ont redoublé à l’école primaire, les taux s’élèvent à 25 % pour les enfants d’ouvriers et 41 % pour les enfants d’inactifs. Sept ans après l’entrée au CP, 93 % des enfants de cadres et d’enseignants accèdent en classe de quatrième sans avoir redoublé mais seulement 64 % des enfants d’ouvriers, et moins d’un enfant d’inactifs sur deux. Le redoublement précoce entérine donc largement les disparités sociales.
Dans la mesure où l’on ne peut soupçonner les enfants d’ouvriers et d’inactifs d’être plus idiots que les autres, il est assez étonnant de voir qu’ils réussissent moins bien à l’école. Le H.C.E, assez bizarrement, conclut que c’est le redoublement précoce qui en est la cause. Mais c’est assez surprenant que celui-ci ne se demande pas pourquoi il y a tant de redoublements chez les enfants issus des classes défavorisées ! C’est à mon sens la question qu’il faut se poser en priorité plutôt que de lancer un énième débat sur le redoublement. Pourquoi les enfants d’ouvriers et d’inactifs réussissent moins bien en CP ?
- Certains diront que l’une des raisons est le bain de lecture. Les enfants de cadres et d’enseignants abreuvent leurs enfants de livres dès leur plus jeune âge. Mais, des efforts ont été fait dans ce sens à l’école maternelle. Les BCD (Bibliothèque et centre documentaire) sont désormais fournies et les passages dans les bibliothèques municipales sont monnaie courante. Non, on ne peut attribuer principalement cette différence à ce fait.
- D’autres expliqueront que l’aide aux devoirs est différente mais a-t-on besoin d’avoir Bac + 5 pour faire lire son enfant ou l’aider à poser une addition ? C’est vrai pour le collège mais ça l’est nettement moins pour les "petites classes".
- D’autres expliqueront que les enseignants et les cadres connaissent mieux l’école et qu’ils parviennent plus facilement à détourner la carte scolaire. Sauf que la carte scolaire est faite d’une telle manière qu’il existe peu d’école de ZEP où l’on peut voir étudier des enfants d’enseignants ou de cadres. La plupart des détournements de la carte scolaire se font en fonction du lieu de travail des parents, voire du lieu de garde de l’enfant. Là aussi, cela ne permet pas d’expliquer une telle disparité.
Mon analyse est la suivante. Je crois qu’il y a un déficit de confiance en l’école, voire une méfiance envers cette institution. Cette méfiance va plus loin car elle touche, à mon sens, toute la fonction publique et par conséquent l’Etat. A force de pointer du doigt les échecs de la fonction publique en termes de santé, d’éducation, de sécurité, les hommes politiques à la tête de l’Etat ont plongé les personnes en situation précaire dans un ressenti. Le chômage, les salaires et les risques de licenciement ont entraîné un rejet des institutions et l’école n’a, il est vrai, pas permis à ses élèves de trouver du travail et de profiter d’une situation stable. Ajoutez à cela cette impression que les fonctionnaires sont des fainéants privilégiés et vous enfoncez ainsi le clou du mécontentement vis-à-vis des fonctionnaires et donc de l’école. Ce qui est d’autant plus grave que cette méfiance s’est propagée à l’Etat et que les ouvriers et les inactifs aujourd’hui ne font plus confiance en l’Etat lui-même ! Exemple choisi : un élève avec de graves troubles orthophoniques qui nécessitent des soins urgents, une possibilité qui s’ouvre dans un CMPP (Consultation médico-psycho-pédagogique) avec un nombre de séances conséquent, une mère qui refuse car elle ne veut pas que son enfant aille chez les fous ! Ceci est l’exemple même de cette méfiance : les enseignants et l’école ne sont pas capables d’aider mon enfant puisqu’ils ne sont pas parvenus à me fournir un emploi. Et ils n’ont pas si tort car on attend que l’école nous permette de gagner plus tard notre vie mais elle ne peut pas l’assurer. C’est pourquoi je pense que le problème du système éducatif français est un problème sociétal et non pas un problème propre à l’Education nationale. Si on veut que le système parvienne à maintenir une certaine égalité et une certaine excellence, il faut se poser la question de savoir pourquoi les enfants issus de milieux défavorisés peinent plus dans l’apprentissage de la lecture plutôt que de se quereller sur telle ou telle méthode. Le problème est bien plus profond que ça car il remet en cause non pas notre système éducatif mais notre société dans sa globalité.
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