L’hypocondrie existentielle du journaliste en période de dictature démocratique de la normalité
Fallait oser un titre pareil (comme l’angoisse du gardien de but au moment du penalty). Le lecteur doit bien se demander quelles réflexions se cachent derrière cette nouvelle notion psychosociologique d’hypochondrie existentielle. En fait, cette notion traduit un phénomène assez répandu, celui des peurs diverses et des attitudes qui en découlent. Les conséquences de l’hypocondrie existentielle ne sont pas anodines. Même la constitution en est affectée avec l’inscription dans le texte du principe de précaution. Et le budget de la nation en est impacté. Plus d’un milliard d’euros, c’est le prix dépensé par Roselyne Bachelot pour vacciner la population française contre une banale grippette H1N1.
L’hypocondrie existentielle se définit comme le syndrome contemporain affectant une bonne partie de la population et conduisant à avoir une peur démesurée de l’existence et des aléas pouvant survenir en de multiples occasions. Cette notion est donc très claire. Elle tire son origine de l’hypocondrie, notion bien connue désignant chez certains individus une peur excessive d’être malade et de voir le comportement de son organisme affecté. L’hypocondriaque finit par devenir obsédé en surveillant et interprétant la moindre observation comme le signe d’une pathologie grave. L’hypocondriaque existentiel a lui aussi ses peurs mais elles concernent tout ce qui peut arriver dans l’existence, conduisant à prendre des mesures de surveillance et de contrôle sans rapport avec le danger réel, y compris dans le domaine de la liberté d’expression. Cette peur généralisée conduit par exemple les pouvoirs publics à fermer un parc pendant un banal coup de vent. Les maires ne craignent pas forcément les aléas mais les procès pouvant en résulter lorsqu’un accident est arrivé. Des peurs sont propagées par le monde médiatique qui, par on se sait quelle étrange dérive, en est venu à surveiller ses expressions, ses pensées et à exagérer les dangers que nous Français pourrions rencontrer. Epidémies, chutes de neige, tempête… restez bien au chaud chez vous. Méfions-nous de l’avancée du processus. Bientôt le casque pourrait être rendu obligatoire pour les cyclistes. Pour l’instant, le casque est très en vogue sur les pistes de ski, après l’accident hyper-médiatisé du pilote Schumacher. Autant que je me souvienne, quand je pratiquais le ski il y a 30 ans, seuls quelques gamins s’entraînant pour la compétition portaient le casque. Mais maintenant, il en est parmi les parlementaires pour songer à légiférer sur le port du casque obligatoire pour les enfants.
L’autre jour, j’écoutais sur France Inter quelques bavards n’ayant rien d’intéressant à dire en compagnie de Pascale Clark. Ces bavards commentaient les reportages du JT sur la tempête à Biarritz. Un bon point fut accordé au journaliste de la Une pour avoir alerté les spectateurs sur la dangerosité des vagues alors que le reportage sur la Deux fut critiqué pour avoir montré les aventureux surfeurs sans apporter de commentaire du genre, attention jeunes gens, n’essayez pas d’imiter ces virtuoses de la planche, vous risquez gros. C’est du maternage public et ces propos s’inscrivent parfaitement dans le schéma de l’hypocondrie existentielle. Dans le domaine des annonces publicitaires, c’est devenu la règle. L’abus d’alcool est dangereux pour votre santé. Jouer comporte des risques, composez le… manger cinq fruits et légumes, faites un peu de sport tous les jours… marchez bougez…
Celui qui prend des risques est fustigé, blâmé par la bonne conscience pour avoir oser défier l’idéologie de la sécurité normative. Michael Schumacher sera absout par la cléricature de la religion sécuritaire, sa caméra ayant prouvé qu’il ne circulait qu’à une vitesse raisonnable. Selon que vous ayez respecté ou non les règles de prudence, vous serez pardonné ou condamné sur l’autel du tribunal médiatique hypocondriaque !
Je crois pouvoir dire que l’affaire de la quenelle et des spectacles de Dieudonné participe, en un sens précis, à cette hypocondrie existentielle qui définit des normes. La justice républicaine ne suffit plus. Elle s’emballe parfois, telle une réaction immunitaire d’hypersensibilité, deux jeunes exclus d’un lycée pour une quenelle. Et puis sur les plateaux médiatiques, à l’instar du fidèle qui se signe d’une croix en entrant dans l’église, il faut montrer un signe de religiosité et avant tout propos sur Dieudonné, déclarer que ses paroles sont abjectes, que le personnage est toxique, que c’est un sale type. Moi je vous le dis, l’abus de Dieudonné est dangereux pour la santé psychique, écouter Dieudonné comporte des risques, composez le numéro suivant : Valls007007 !
Ces propos ont pour intention de pointer quelques transformations récentes de la société. La dictature démocratique se distingue de la dictature conventionnelle dans la mesure où elle n’est pas exercée par un pouvoir central mais prise en charge de manière diffuse, horizontale et partagée par un ensemble de relais. Les fameux réseaux sociaux sont souvent pointés comme véhiculant des propos antisystème. La pensée normale use même de la notion de viralité pour désigner le mode de propagation des idées dites toxiques. En face, les réseaux médiatiques de la normalité de masse veillent à la bonne conformité des normes sanitaires, des règles de sécurité, dans les stations de ski et les parcs de loisir et partout où il y a lieu, des normes de langage… Bernard Stiegler, pourtant pas si mauvais philosophe, s’est laissé prendre au jeu en produisant une pharmacologie du Front national. Il participe ainsi de cette hypocondrie existentielle en se prenant pour le médecin des pathologies politiques. Quitte à prendre un médecin, autant choisir un bon, Nietzsche par exemple, qui saurait guérir la société de cette hypocondrie existentielle propagée par une cléricature médiatique nous inculquant la peur de vivre !
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Après avoir explicité quelques traits remarquables de la médiacratie hypocondriaque, on peut se demander si cette hygiène journalistique participe au bon fonctionnement de la société. Nul ne peut nier que le tout à l’égout et autres dispositifs sanitaires ont permis d’éradiquer ou de limiter nombres de pathologies grâce à des normes hygiéniques. Il n’est pas certain que dans la sphère de l’esprit les choses aillent de même. Après l’audimat inclinant à faire des programmes pour maximiser l’audience, voici l’ordimat qui pousse les médias à contrôler l’expression et lui conférer un ordre. Au final, on peut se dire que c’est une bonne chose, qu’il faut se prémunir contre les menaces, les atteintes, les pathologies sémantiques, les « crimes » contre la bonne pensée, tout en louant la norme idéologique qui fait bien vivre ensemble… qu’il faut prendre en charge notre monde, avec le développement durable, l’hygiène verte et le contrôle climatique sans publier le terrorisme et la délinquance et puis… et puis merde !
Je tente bien de feindre le bon sens candide mais je n’y adhère pas. En matière de débats et d’expressions publiques, la censure ne fait jamais avancer la société. Elle assure un ordre qui souvent est provisoire. La censure empêche de progresser et de poser les questions, de débattre sereinement pour chercher la vérité, de mettre la pression là où ça fait mal car ça dévoile les impostures et autres arrangements avec l’éthique, les combines et les arbitrages partisans, les mafias républicaines. En temps de dictature démocratique, la dissidence et la pensée alternative, voire anti-système, est accueillie dans les médias mais de manière très limitée, avec le souci de maintenir une pluralité d’opinion mais c’est juste formel. Pour faire semblant et donner l’illusion de la démocratie d’opinion. La liberté d’expression ne semble pas inscrite dans le code génétique des puissants et des médiarques. Elle est tolérée et se manifeste à l’image d’une régulation épigénétique permettant de moduler la norme en offrant quelques temps d’antenne aux personnalités non consensuelles, que ce soit dans le climat, la santé, la politique, la culture. Mais le Net a changé la donne.
Le phénomène de la dictature démocratique de la norme mériterait une analyse plus aboutie et développée. Ce qu’on peut en dire, c’est que dans une dictature classique, une élite, un gouvernement, une sorte d’aristocratie de la pensée établit ce qu’il faut dire et penser. Dans une dictature démocratique, il y a des régulations, des rétroactions, des participations de la masse qui réagit et se fait complice de la pensée conforme. La masse est sondée régulièrement avec les instituts pour éclairer les faiseurs d’opinion dans leurs actions. Les individus sont pour des raisons psychologiques légitime en attente de norme et de sécurité mais quand la norme devient presque imposée, et le désir de sécurité s’hypertrophie, on finit par instaurer une tyrannie contemporaine. Si la dictature des normes est efficace et appréciée, c’est parce que les gens le veulent bien. Fin de partie. On aboutit une fois de plus à La Boétie et une forme contemporaine de servitude volontaire.
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