La drogue sous contrôle
De toutes les aberrations de la société actuelle, il en est peu qui apparaissent aussi coûteuses et aussi néfastes que cette guerre perdue que l’on prétend mener contre le trafic de la drogue. Cette « guerre à la drogue » est un non-sens pour deux raisons.
La première, au palier des principes, c’est que la relation entre la société moderne et l’individu repose sur le respect de la liberté de ce dernier, à laquelle l’État n’impose des limites que pour le bien ou le respect de la liberté des autres. Au nom de quel droit l’État viendrait-il dire à un adulte sain d’esprit qu’il peut ou ne peut pas absorber une substance quelconque ? De quoi je me mêle ? Qui en a décidé ainsi ? Pourquoi ?
La seconde, bien pratique, c’est qu’il est inacceptable, alors que l’on voit se développer dans la société une violence croissante, allant du « taxage » dans les écoles à la montée en puissance des gangs de rue, que la plus grande partie des ressources policières du monde soit occupée tous azimuts à jouer au cow-boy avec les trafiquants de drogues, lesquels ne font que répondre à une demande.
Il ne s’agit pas de savoir si la drogue est bonne ou mauvaise pour la santé ; le tabac, l’alcool, le café ne sont pas bons pour la santé. La pollution qui sort des tuyaux d’échappement des centaines de millions de voitures qui circulent sur les routes n’est pas bonne pour la santé. Bien sûr, la drogue est essentiellement nocive et il faut prendre toutes les mesures possibles pour que n’y aient pas accès les mineurs et incapacités mentaux, mais, quand on parle d’adultes, toute prohibition qui ne protège pas les droits d’autrui est intolérable.
Il est normal que tout individu majeur et sain d’esprit ait le droit inviolable de consommer ce qu’il veut ; il est donc incontournable que l’on doive tôt ou tard légaliser l’usage de toutes les drogues. On tarde à le faire pour des raisons qui prêtent à interprétation, mais on y viendra bientôt. Le problème, c’est de concilier l’exercice de ce droit à consommer avec la volonté sociale bien justifié que la drogue ne devienne pas un pilier de notre culture. Comment pourra-t-on éviter la diffusion intempestive de la consommation des drogues dites « dures » en simple réaction à la levée de la prohibition dont elles ont fait l’objet ? Une diffusion d’autant plus pernicieuse que, pour certaines d’entre elles, une assuétude peut être vite créée ?
Aucune solution ne sera parfaite, mais on pourrait s’inspirer du principe qu’un produit dangereux ne doit jamais être accessible aux mineurs et incapables et alléguer que cette inaccessibilité ne peut être assurée efficacement que si le produit demeure sous la surveillance des autorités. Partant de là, on pourrait interdire non pas la consommation, mais la circulation des drogues « dures ».
On pourrait exiger que quiconque veut consommer légalement ces drogues - essentiellement les opiacés - obtienne un permis à cet effet. Un permis qu’on lui accordera sans discussion, mais qui ne lui permettra de s’en procurer que dans des boutiques de l’État et à la condition de les consommer sur place. Quiconque a son permis devrait pouvoir se présenter à une boutique de l’État et acheter la drogue qu’il veut, mais il ne devrait pas quitter les lieux avant de l’avoir absorbée. La drogue ne doit pas circuler.
Évidemment, il est ennuyeux de devoir passer à la boutique pour recevoir une piqûre d’héroïne, mais le narcomane qui en a vraiment besoin ne reculera pas devant cet effort. Celui qui refusera cet effort, ce sera celui qui n’en n’a pas besoin. Celui qui veut essayer. Inutile de lui faciliter l’expérience....
La possession d’une drogue dure à l’extérieur d’un local prévu pour sa consommation ne devrait pas mener à une peine de prison, mais à une amende sévère. Celui qui payera 500 euros d’amende, parce qu’il ne s’est pas rendu à la boutique de l’État où il aurait pu obtenir sa dose pour deux dollars, y songera longtemps avant de refaire cette erreur.
Quiconque a son permis et veut un « fix » devrait pouvoir l’avoir immédiatement à crédit à la boutique : on ne joue pas avec les dépendances. Il n’en aura pas un autre, cependant, avant d’avoir réglé son dû. Comme il s’agira d’un montant insignifiant, le seul qui ne pourra pas faire face à cette obligation sera celui que sa drogue aura amené à un état de turpitude tel qu’il ne peut plus disposer du moindre revenu.
Celui qui se présente à une boutique sans avoir le prix de ce qu’il a déjà consommé et en redemande n’est plus fonctionnel. Il est devenu un danger social. Son manque est donc satisfait sur le champ, mais il est aussi mis sous arrêt et envoyé immédiatement en centre de désintoxication. L’ordre de cours pour sa cure fermée est automatique et il n’y a pas d’exceptions.
Il ne s’y retrouvera pas en milieu hostile, car quiconque en fait la demande doit pouvoir aussi être admis de son plein gré et gratuitement en centre de désintoxication, d’où il doit simplement accepter à l’entrée qu’il ne recevra son congé que lorsque, de l’avis des experts du centre, il sera désintoxiqué. Assez libre de sa dépendance pour faire un libre choix.
Celui qui y est assigné par la loi, comme celui qui va de son propre gré en désintoxication, en sort libre. Rien ne l’empêche de recommencer le lendemain, mais il aura eu sa chance.... et au besoin, il en aura d’autres. Il sera un fardeau pour la société, mais, même s’il le fait cinq fois, dix fois, cent fois, ce fardeau sera bien plus léger que celui de maintenir en place les forces policières requises pour tenter vainement de l’empêcher de consommer. Et on aura substitué la liberté et la notion d’aide, à l’intrusion de l’État et aux prohibitions.
On sera sur la bonne voie, mais il faudra faire plus. En parallèle à cette démarche d’accès contrôlé à la drogue - et de réhabilitation forcée dans les cas extrêmes - il faut mettre en place une politique d’information. Mettre en place, aussi et surtout, une politique de conditionnement pour inculquer aux enfants, dès leur plus jeune âge, un profond dégoût de la drogue.
Conditionnement ? Ne jouons pas les vierges offensées ; toute éducation est un conditionnement. Si on a pu, pendant des siècles, contrôler la libido des adolescents en les menaçant d’un enfer intemporel, ne peut-on pas juguler la tendance à expérimenter les drogues dures, au moins dans les cas où l’accoutumance n’est pas prénatale, par la simple démonstration des dommages bien réels liés à leur usage ?
En légalisant toutes les drogues, mais en ne permettant l’usage des drogues « dures » que sous contrôle, dans un cadre où le plein consentement de l’usager à en accepter les effets nocifs ne fait aucun doute, on fait tout ce qui est acceptable pour que le nombre reste gérable de ceux qui en consommeront, mais on respecte la liberté individuelle.
Cette liberté n’est pas négociable. Personne n’a le droit de disputer à un autre être humain la béquille dont il veut s’aider pour faire face à sa condition humaine.
Pierre JC Allard
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