La honte d’être pauvre
« Je voudrais être riche », voilà un souhait inavouable en période de crise, dans une société bien pensante où il faut constamment revoir ses aspirations à la baisse et s’interdire tout rêve égoïste d’opulence. D’autant plus que ça nous attirerait les foudres de ce néopuritanisme ambiant qui nous oblige à une torture mentale insoutenable.
Tout comme le vœu de chasteté des prêtres les obligent à se persuader qu’ils n’ont pas besoin de sexe, nous avons fait vœu d’austérité, convaincus que si on pense très fort que l’argent c’est sale et superficiel on n’en aura pas envie. Dans les médias, on fait la chasse au bling-bling. Sarkozy arbore une Rolex et passe ses vacances sur un yacht, c’est un scandale pour un chef d’état, rendez-vous compte ! Dominique Strauss-Kahn et sa femme sont pétés de tunes, pas étonnant qu’il se tape des putes dans des hôtels de luxe, tu parles d’un socialiste ! Alors quand on demande à un enfant : « Qu’est-ce que tu aimerais faire quand tu seras grand ? », on serait presque tenté de le gifler s’il a la malheureuse idée de répondre : « Je veux gagner beaucoup d’argent ». Et quand on passe un entretien d’embauche, à la sempiternelle question : « Où vous voyez-vous dans 10 ans ? », ce serait manquer totalement de correction que de répondre : « Les doigts de pieds en éventail sur un transat en bois exotique d’une plage privée aux Seychelles ». De temps à autre, on nous balance des sondages nous confortant dans le contentement d’un quotidien bourré de factures et de découverts à la banque. Ainsi, on a appris récemment que les gagnants du loto apprécieraient moins les petits plaisirs de la vie que les gens aux revenus modestes. Normal, puisqu’ils apprécient aussi de grands plaisirs.
Mais, paradoxalement, s’il n’est pas socialement admis de parler de ses idéaux pécuniaires, il n’est pas non plus admis de mentionner ses problèmes financiers. Si votre porte-monnaie est aussi fourni que le désert de Gobi, n’en parlez pas. Si vos potes vous proposent un resto samedi prochain, mieux vaut répondre en cas d’impossibilité budgétaire que vous êtes désolé, mais que vous participez à une marche nocturne pour observer les étoiles, ils comprendront. Vous ferez ainsi d’une pierre deux coups : vous montrerez ainsi notre attachement aux petits plaisirs de la vie et éviterez assez habilement de passer pour un pauvre qu’ils auraient été obligés d’inviter et à qui ils n’auraient plus rien proposé par la suite. Les pauvres coûtent cher et ne sont pas fun en soirée, alors que les fans d’astronomie et de randonnée le sont beaucoup plus.
Je me rappelle d’un ancien collègue, qui, loin de toutes ces préoccupations, m’avait dit un jour : « Je suis né pour être riche ». Ma première réaction fut de penser qu’il n’avait aucun sens des réalités et qu’il était totalement inconvenant de brandir ostensiblement cette certitude devant une stagiaire non rémunérée. Maintenant, je réalise qu’il assumait sans complexe ce que beaucoup d’entre nous refoulent : avoir de l’argent pour s’acheter des propriétés avec piscine, jacuzzi et hammam ; pour faire du shopping à New-York le samedi et un real brunch à Londres le dimanche matin ; pour offrir à nos enfants une fontaine de chocolat digne du bassin d’Apollon du château de Versailles ; pour s’acheter une voiture accordée à chacun de nos sacs à main, pour gâter nos arrière-petits-cousins qu’on ne connaît même pas, pour faire la teuf, pour ne rien faire, pour s’offrir la contemplation de la Joconde en solitaire alors que tellement de gens se bousculent pour l’apercevoir ; pour se faire le nez, les pommettes, la bouche et la poitrine d’Angelina Jolie ; pour faire successivement Sciences Po, médecine, l’Ensba et HEC… L’autre jour, j’ai remarqué avec horreur que mes mains s’étaient élargies. N’ayant pas pris de poids récemment et ne souffrant pas d’arthrose digitale, je me suis empressée d’en faire part de mon désarroi à une amie qui m’a dit : « C’est normal, c’est à force de faire le ménage et la vaisselle, CQFD ! ». Alors je l’avoue, oui, j’ai plusieurs fois pensé que j’aimerais être riche et je le ferai encore. Et cette fois-là, j’ai rêvé d’avoir une grande maison avec du personnel pour que je puisse glander et retrouver des mains douces et fines.
Virginie Dejoye - News of Marseille
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