Le business model du piratage
Le téléchargement illégal est devenu un sujet central et emblématique de la révolution culturelle provoquée par Internet. Le Parti Pirate en Suède a compté 7% des voix lors des élections européennes, le gouvernement français se casse les dents mois après mois sur le projet Hadopi… Enfin, on prend conscience qu’il s’agit d’un enjeu de société important. Beaucoup plus important qu’il n’en a l’air au premier abord. Car il s’agit simplement d’une nouvelle conception de la diffusion de la culture qui émerge peu à peu.
Ce sujet ne concerne donc pas de simples « ados pirates », irrespectueux du droit d’auteur et qu’il convient de mettre au pas. Les termes ont d’ailleurs un sens, et le mot « pirate » a été progressivement galvaudé, à l’instar du terme « terroriste » ou « preneur d’otage ». A l’origine, un pirate informatique est une personne qui perce un code de protection numérique (un hacker en termes anglais). A présent, est appelé « pirate » quiconque télécharge du contenu normalement payant mais mis à disposition gratuitement… par un hacker justement.
Cela est vrai également pour la notion de « vol ». Les messages que l’on trouve en introduction des DVD commerciaux ainsi que le discours du gouvernement expliquent ouvertement que tout « téléchargeur » est un voleur. Là aussi, ce n’est pas vrai. En cas de téléchargement qu’est-ce qui est volé ? Rien, par définition, car le produit est simplement dupliqué. Cette différence est colossale : si on vole une poire parmi les 10 sur l’étal d’un magasin, il en reste 9. Le commerçant a perdu un dixième. Maintenant, si un internaute télécharge un fichier de musique, il ne fait que le copier : concrètement, le major n’a pas perdu d’argent, ce n’est donc pas un vol. D’ailleurs, dans les très nombreux modes opératoires du vol définis par Wikipédia, il n’est absolument pas fait mention du téléchargement illégal.
Par contre attention : cela ne signifie pas que télécharger gratuitement un fichier normalement payant est légal ! Simplement, le qualificatif de vol est exagéré. Il s ‘agit d’une reproduction interdite.
On peut prendre un exemple plus parlant : imaginons que je sois bon en peinture et que je copie un Picasso pour l’accrocher chez moi. En quoi est-ce du vol ? Par contre, si je revends à autrui cette copie de Picasso, effectivement, là, il y a une violation grave de la loi puisqu’il y a atteinte au droit d’auteur.
Il faut donc avant tout cesser de diaboliser le téléchargement. Le vrai problème, c’est qu’on n’a pas encore réussi à développer le business model qui va avec.
Avant tout, ce qu’il est intéressant de savoir, c’est que ce débat a déjà eu lieu il y a longtemps, lors de l’apparition des cassettes audio à bande magnétique. Dès lors, si l’on possédait un radiocassette, on pouvait gratuitement copier de la musique qui passait à la radio ! Qu’ont fait alors les dirigeants de l’époque ? Ils ont simplement imposé une taxe sur les cassettes pour compenser le préjudice.
Nos dirigeants actuels ont déjà mis cette mesure en place : une taxe a été instaurée en octobre 2007 sur les disques durs externes, les cartes mémoire et les clefs USB pour « lutter contre le piratage ». Mais ce qui est surprenant, c’est que cette fois-ci, ça n’a apparemment pas suffit puisque le débat est loin d’être clôt… Il faut croire que les lobbies de l’industrie de la culture sont devenus bien plus puissants qu’ils ne l’étaient auparavant.
Dans tous les cas, il apparait assez évident qu’une taxe sur les supports informatiques n’est pas la réponse appropriée face à l’ampleur de la révolution Internet. Il faut développer quelque chose de plus constructif. Or, le business model du gratuit existe déjà depuis fort longtemps, et est bien plus utilisé qu’on ne le pense…
Tout le monde a en tête des exemples comme le quotidien gratuit 20 Minutes. Cependant, beaucoup d’entreprises dont les produits ou services sont payants utilisent le business model du gratuit.
Commençons par un exemple : il y a quelques années, un de mes amis, qui n’est pas informaticien, est parvenu à hacker la version d‘évaluation de Windows Vista simplement en avançant de quelques années la date de sa carte mère. Il a agi seul, sans aucune aide, juste par curiosité. La conclusion est évidente : si le premier quidam venu s’intéressant un peu à l’informatique est capable de hacker un système d’exploitation créé par une société au CA de 60 milliards de dollars et employant 100000 salariés dans une centaine de pays, c’est que c’est volontaire. Microsoft crée volontairement des systèmes d’exploitation peu protégés, dans le but qu’ils soient aisément piratés.
Ainsi, si le système (qui peut être un logiciel) est massivement piraté, cela lui permet de se répandre très facilement, de gagner un grand nombre d’utilisateurs et de s’imposer comme standard. Les revenus proviennent ensuite des ventes faites en B to B (business to business), c’est-à-dire des ventes faites aux fabricants d’ordinateurs, aux entreprises etc… qui sont alors obligés d’acheter ce standard.
Ainsi, le piratage, et par extension le téléchargement, sont des armes marketing diaboliques… pour le compte des entreprises !
Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi une société de la taille de Microsoft n’a jamais intenté de procès contre des utilisateurs de versions piratées de Windows ? Pourtant, cela serait assez simple, en tout cas bien plus que pour des téléchargeurs de musique, car Windows communique bon nombre de données utilisateurs aux plateformes de Microsoft.
Et ce business model est typiquement celui du gratuit dans le domaine des logiciels : certains éditeurs sortent des versions complètement gratuites et fonctionnelles de leurs produits pour les particuliers, et vendent des versions plus complètes aux entreprises. Simplement, une société comme Microsoft gagne sur tous les tableaux : elle utilise le business model du gratuit, mais vend quand même ses produits.
Cela dit, en ce qui concerne la culture, la vraie solution de business model gratuit serait celle dite de « licence globale ». Une licence globale équitable.
On peut imaginer nombre de solutions exploitant cette idée. En voici une : chaque abonnement Internet est majoré d’une dizaine d’euros par mois au titre de cette licence, en échange de quoi l’utilisateur peut télécharger tout ce qu’il veut. On peut en plus imaginer un plafond limite de quantité de données par mois, ou alors un système d’abonnement progressif destiné à des utilisateurs souhaitant télécharger beaucoup. L’argent ainsi gagné est réuni chaque année et divisé entre tous les artistes, chacun recevant une part au prorata du nombre de téléchargements de ses œuvres.
Il n’y a donc plus d’éditeurs, plus de producteurs, plus de majors, plus de distributeurs, plus de revendeurs ! On comprend que les majors et autres trusts refusent catégoriquement de se diriger vers une telle évolution. Car c’est ça l’avenir : plus aucun intermédiaire entre l’artiste et son public (je n’emploie volontairement pas le terme de consommateur car à mon sens, la culture ne se consomme pas).
Avec un tel système, le public y est évidemment gagnant, car il ne paie (pratiquement) plus pour obtenir une copie de l’œuvre. Cela n’empêche évidemment pas qu’il y ait des concerts payants, des cinémas payants etc… coût justifié par une valeur ajoutée supérieure, cette valeur étant par définition, non « piratable ».
Mais l’artiste serait encore plus gagnant, car il n’existerait plus aucun intermédiaire. A l’heure actuelle, la répartition du prix de vente d’une œuvre est tout sauf équitable : à la louche, on a 40 % pour le revendeur, 40 % pour le distributeur, 15 % pour l’éditeur et environ 5 % pour l’artiste. On est encore dans un système féodal complètement dépassé, où l’artiste est gracieusement accueilli sous l’aile protectrice du Mécène qui tire tout le profit de ses créations en lui laissant juste les quelques miettes nécessaires à sa survie.
Il faut dire que la relation artiste-éditeur est tout sauf équitable. D’un côté, il y a la passion absolue de la création alors que de l’autre, on se heurte au mur froid de la rentabilité. Le système d’offre et de demande est ainsi complètement biaisé : l’artiste a potentiellement une « offre infinie » (combien d’artistes seraient d’accord pour diffuser leurs œuvres sans rien gagner en retour, du moment qu’elles soient éditées !). De l’autre côté, la demande est excessivement limitée. L’artiste est prêt à vendre père et mère pour être diffusé, et l’éditeur n’a aucun remord à acheter au plus faible coût !
La licence globale permettrait de rétablir une équité parfaite dans ce système par définition injuste pour l’artiste
Les médias ont fait un bond de géant grâce à la révolution Internet. Il existe maintenant des moyens de communications permettant potentiellement d’établir un système équitables pour les artistes et la diffusion de leurs œuvres. Malgré cela, le business model de la culture est resté fondamentalement inchangé et les gouvernements tentent de légiférer pour que ça reste ainsi. Mais ce n’est pas aux nouveaux moyens de communications de faire machine arrière ou d’être bridés : c’est au système de diffusion de la culture qu’il incombe d’évoluer.
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