Le centenaire du Bébé Cadum ou la fin des libidos
J’entends déjà les réactions indignées : non, quand même, après le couple et la famille, vous n’allez pas dézinguer le bébé, cet astre triomphant des rêves intergénérationnels les plus fous ? Eh bien si, je vais oser… C’est la faute à Françoise Dolto !
« Si la castration primaire, puis l’Œdipe bien vécu, ont permis à la femme un destin fécond de cœur et de corps, la vieillesse s’installe sans bruit, et ouvre alors pour les femmes une période d’épanouissement de sa personne sociale, une période de grande stabilité physiologique et affective, l’accès à une certaine « sagesse » faite d’expérience et de lucide indulgence. L’idéal du moi génital se met alors au service des autres : la défense des intérêts communs d’un groupe, les soins à leurs petits-enfants, l’aide aux jeunes qu’elles soulagent des besognes domestiques, maternelles ou éducatives. » Je l’aimais bien pourtant, la Maman de Carlos, mais lorsque j’ai lu ce passage en 1988 (« Libido féminine », Editions ERGO, page 118) j’en ai chu de ma chaise Philip Stark, et je me suis juré d’en reparler un jour, le moment venu…
Alors c’est ça qu’on nous propose comme cadeau de cinquantenaire ? La sérénité assumée sur fond de tâches ménagères ? On en avait déjà pris pour 30 ans et maintenant, faut que ça recommence ? Roméo et Juliette, c’est fini, bonjour Mamie Nova ? Beurk, beurk, beurk… A propos, même en écrivant « L’art d’être grand-père », Victor Hugo ne se privait pas de la sienne, de Juliette ( Drouet), et personne n’y a trouvé à redire – même pas sa femme, tombée sur le tard raide dingue de Sainte-Beuve.
Tout ça, je vous le dis, c’est à cause des dégâts collatéraux provoqués par Bébé Cadum et d’Anne Gedes réunis.
Depuis cent ans (1912) que le célèbre savon rose-bonheur s’est donné pour image idéale un chérubin frisotté sur fond d’huile de cade magique, les bébés sont devenus les rois de la publicité et, accessoirement, les maîtres du monde familial. Et ça n’est pas parce que, récemment, le nouveau Directeur Général a choisi de jouer la carte nouvelle du « Love Cadum » (avec à la une Laure Manaudou et Céline Dion, on a les icônes que l’on mérite !) que ça change foncièrement la donne.
Visitez Facebook en sociologue, repérez le nombre de femmes qui placent en « photo de profil » (c’est-à-dire leur propre présentation, en vitrine, sur le célèbre réseau social) le cliché attendrissant de leur petite-fille (ou pire, petit-fils !) et vous comprendrez comment elles se nient, se dénient au profit de la toute-puissance du grand maître Monsieur Bébé : plus de vie personnelle, envolée la moindre idée de séduction, piétiné le désir de n’être que soi-même, on devient sa descendance et rien qu’elle. Et voilà comment « l’idéal du moi génital s’est mis au service des autres » ! Effrayant, non ?
Quant à Anne Gedes, elle a réussi à transformer l’enfant en objet de déco, un substitut de Casa en quelque sorte : bébés- abeilles, doux anges rêveurs, petites filles précieuses, bébés- nénuphars, petites fées, duo de bébés-coquelicots, cocon fleuri etc… les titres de ses photos donnent aussitôt envie de les jeter avec l’eau du bain, ces bébés-guimauves tout poisseux de bons sentiments et de joliesse créative jusqu’au mauvais goût ! Il ne s’agit plus là d’imaginaire mais d’un merchandising bien calculé et poussé à son paroxysme.
Le problème, c’est que ces clichés font baver d’envie les gamines de 16 ans qui rêvent encore à la perfection industrielle de leur « Bébé Magique » d’antan, et finissent par en oublier leur Minidril au fond de leur sac Chipie. Anne Gedes, combien de grossesses adolescentes peut-on mettre au débit de votre objectif inspiré ?
Avec Cadum, l’énergie psychique (celle d’Eros, oui) s’est fixée sur un savon (d’accord, rose comme le fut le Minitel mais quand même…) parce qu’il faut être propre sur soi et sentir bon, parce que les multiples produits de l’hygiène forcenée ont remplacé l’acceptation du corps dans sa globalité, parce qu’on nage dans un océan désinfecté de tous les désirs, qui nie les odeurs naturelles au lieu de les sublimer. Napoléon n’écrivait-il pas à Joséphine : « J’arrive bientôt, surtout ne te lave pas ! ». C’est sans commentaire…
Et on a vraiment envie de détourner le slogan, comme l’avait fait en son temps Pierre Dac : « De la paume au rectum, un seul savon c’est Cadum ! »
Mais bon, les bébés, ne pleurez pas, on vous adore – même quand vous avec l’air idiot et béat en petites roses et choux pommés, et que l’on hume sur vous l’odeur de ce savon-roi récemment revu et racheté par L’Oréal : ça lui a quand même coûté 200 millions d’euros à Mamie Zinzin le 16 Avril dernier – parce que vous le valez bien sûrement !!!
Et si vous voulez gagner le concours 2013, dépêchez-vous, demandez à votre maman : les inscriptions, c’est comme le changement, c’est maintenant
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