Le cerveau : trop de vacanciers oublient qu’ils en ont un
Régulièrement, nous sommes confrontés, personnellement ou par l’intermédiaire des médias, à des comportements aberrants de la part de promeneurs, de randonneurs ou de plaisanciers qui ont manifestement oublié qu’avant de s’engager sur un itinéraire ou de partir en mer, mieux vaut faire travailler son cerveau...
Il y a quelques jours, un couple de promeneurs âgés s’est égaré et a été surpris par la nuit dans la modeste forêt de Mondeville (Calvados) qui leur était pourtant familière. Moyennant quoi, il a fallu, après qu’il ait été demandé du secours par téléphone, entreprendre des recherches, en envoyant notamment sur place un hélicoptère de la gendarmerie. Le couple a été repéré vers 22 heures, puis secouru, grâce à la lampe-torche dont disposaient par chance les imprudents promeneurs.
Cette histoire, d’une affligeante banalité, illustre un fait récurrent : trop souvent, des promeneurs, voire des randonneurs censés être plus expérimentés, prennent des décisions aberrantes : soit en s’engageant sur des itinéraires trop exigeants pour leurs capacités physiques ; soit en ne disposant pas des équipements nécessaires ; soit en décidant de partir trop tard pour atteindre le but de la balade avant la nuit. Et cela été comme hiver.
Une année, il y a près de deux décennies, c’est un couple d’enseignants irresponsables qui, après la sieste des enfants, était parti avec deux gamins sur un itinéraire de ski de fond du Vercors non surveillé par les pisteurs. Il était déjà plus de 16 heures au moment du départ, et ce qui était prévisible est arrivé : la nuit est tombée et a surpris le quatuor, incapable de progresser dans l’obscurité pour sortir de ce piège. Très vite, la température a chuté, pour s’afficher nettement sous le zéro. Par chance, l’alerte a été donnée assez rapidement et les secours ont pu localiser puis secourir ces naufragés de la neige. Tous étaient déjà en état d’hypothermie, mais sans conséquence dramatique.
Perdus dans Les Écrins
L’issue n’est pas toujours aussi heureuse, et l’on dénombre chaque année des morts par imprudence, aussi bien en montagne qu’en mer où trop de randonneurs et de plaisanciers présument de leurs capacités ou ne tiennent aucun compte des bulletins de la météo locale, pourtant détaillés et fiables. Personnellement, j’ai moi-même été confronté à de nombreuses reprises, en compagnie de mon épouse, à l’affligeant spectacle donné par des imprudents, pour ne pas dire des irresponsables, en vacances, à l’image du couple d’enseignants évoqué plus haut.
Cas le plus emblématique : un couple, là aussi accompagné d’un enfant, une fillette âgée d’environ 8 ans. Venant de Montgenèvre (Hautes-Alpes), via les forts parsemés sur le parcours, mon épouse et moi descendions vers Briançon au terme d’une longue randonnée en montagne lorsque nous avons croisé le trio. Nous étions au-dessus du fort des Trois-Têtes, environ à 1 500 m d’altitude. Il était approximativement 15 h 30. Pas très rassurée sur l’issue de la balade, la femme, faute de carte topographique, nous a questionnés sur le temps nécessaire pour un aller et retour jusqu’au fort de l’Infernet où son mari prétendait les entraîner, sa fille et elle, sur la base de vieux souvenirs d’armée. La réponse était relativement aisée : à raison d’une distance de 14 km aller et retour, et d’une dénivelée proche de 900 m à monter puis à redescendre – l’Infernet culmine à 2 380 m –, il fallait compter 3 heures d’un éprouvant crapahut pour la montée et quasiment autant pour la descente jusqu’au fort des Têtes, temps de repos non compris ! Autrement dit, le trio n’avait aucune chance d’être de retour à Briançon, où il était hébergé, avant... minuit ! Et probablement dans un état de grand épuisement pour la pauvre gamine embarquée dans cette délirante aventure ! Face à une telle inconscience, la femme a pris les choses en main et, sur notre suggestion, imposé à son mari, de s’arrêter un peu plus haut, au fort du Randouillet, avant de rebrousser chemin pour un retour à Briançon aux alentours de 18 heures.
Autre exemple : ce couple de jeunes gens égarés dans le massif des Écrins en chaussures de tennis et porteur, en guise de document topographique, d’une carte routière Michelin !
Chaussée de ballerines
Et que dire de ces deux jeunes Asiatiques, en vacances dans le Valais ? Montés en train de Zermatt (1 600 m) jusqu’au terminus du Gornergrat, à 3 135 m d’altitude, ils avaient pu bénéficier de la vue offerte par cet exceptionnel balcon sur le Mont Rose. Mais leur objectif ne se limitait pas à cela : ils avaient projeté de redescendre à pieds jusqu’à la prestigieuse station valaisanne en bénéficiant des superbes vues sur le Cervin qu’offre le parcours. Problème : si le garçon pouvait espérer parvenir en bas avec ses baskets de ville pourtant inadaptées, tel n’était pas le cas de la fille, chaussée de ballerines fantaisie incapables de résister bien longtemps à la progression en terrain rocailleux et à la traversée des quelques névés qui subsistaient dans la partie haute de l’itinéraire. Malgré notre avertissement mimé – ils ne pratiquaient qu’un anglais très rudimentaire –, ils se sont engagés dans cette descente, manifestement mal à l’aise dans la pierraille. Sans doute ont-ils été contraints de reprendre le train dans l’une des trois stations intermédiaires.
Autre cas aberrant, dans l’Oberland Bernois : celui de cette jeune mère, venant en train de Grindelwald, qui entendait poursuivre sa balade ferroviaire jusqu’au Jungfraujoch (3 454 m d’altitude !) avec son bébé, seulement âgé de quelques mois. À peine avait-elle pris place dans le train destiné à pénétrer dans les entrailles de l’Eiger que l’inconsciente, sur signalement des autres voyageurs, était débarquée par les employés de la station d’alpage de Kleine Scheidegg. À 2 060 m, nous étions déjà à une altitude trop élevée pour un bébé de cet âge, et l’on n’ose imaginer ce qui aurait pu survenir si cette femme avait été autorisée à poursuivre.
Des exemples comme ceux-là, nous en connaissons tous, et pas seulement dans le domaine de la balade pédestre : les victimes de baignades dangereuses, de même que celles de sorties en voilier ou en kayak de mer dans des conditions de forte houle sont également là, chaque été, pour nous rappeler que l’on ne joue pas avec la sécurité, particulièrement lorsque l’on a la responsabilité d’enfants. Et pourtant, rien ne semble y faire : les années passent, et les comportements irresponsables perdurent, malgré les nombreux avertissements donnés, tant au plan national qu’au plan local, par les autorités et les médias. Faut-il y voir une conséquence de la perte croissante de repères dans une société de plus en plus caractérisée par l’individualisme et la préoccupante montée de l’incivisme ? On peut malheureusement le craindre.
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