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Accueil du site > Actualités > Société > Le CNRS se réforme, est-ce grave docteur ? I : de 1945 à 1990

Le CNRS se réforme, est-ce grave docteur ? I : de 1945 à 1990

Voilà des années que le CNRS, ce mal-aimé de la droite, est sur la sellette, dans le collimateur des politiques qui veulent le réformer, alors que, depuis mars 2004, une association influente et turbulente, sauvons la recherche, tente de mobiliser l’opinion publique face aux menaces de réorientation du CNRS décidées dans les cabinets ministériels, tout en manifestant contre le manque de moyens et la faiblesse des recrutements, avec une précarité des jeunes chercheurs n’incitant guère à s’engager dans la recherche, du moins pas en France. Le 4 mars 2008, pas moins de 600 chercheurs reconnus se sont réunis au Collège de France pour débattre d’un avenir du CNRS qu’ils pressentent de plus en plus sombre, avec des étapes de réorganisation projetées par la ministre Pécresse. A terme, le fonctionnement du CNRS et surtout son identité, ses missions de recherche fondamentale, sont menacés. C’est ce que pensent nombre de chercheurs appartenant à cette prestigieuse institution. Pour l’instant, la situation est des plus confuses, suite aux précédentes réformes, notamment la création des ANR et ARES, si bien que le grand public ignore ce qui se trame dans les milieux de la recherche et de l’université, elle aussi soumise à une réforme dont on ne sait où elle mènera. Une mise au point s’impose. Elle devrait permettre d’y voir une logique en œuvre qui n’est pas forcément explicite lorsqu’on reçoit les informations brutes. Une logique qui s’est dessinée lentement, par étape, notamment depuis les années 1990. Un rappel historique n’est pas de trop pour bien saisir cette complexité des évolutions et réformes conduites dans le champ de la recherche publique.

Les riches heures du CNRS, de 1945 à 1990

Rappelons l’entrelacs articulant enseignement supérieur, recherche et applications technique. Un entrelacs déjà complexe auquel la manie administrative française, ayant tendance à tout découper, assume la part maudite de la méthode cartésienne puisque au bout du compte, les solutions du problème s’éloignent et c’est d’ailleurs la méthode qui crée des problèmes et qui appelle alors une méthode d’analyse et de découpage sur la méthode et ainsi de suite. Voilà du moins ce qu’on comprend en observant l’organigramme où se positionnent trois grands ensembles. Les grandes écoles scientifiques et économiques, les universités et enfin le CNRS, auquel se greffent quelques organismes de recherches plus ou moins célèbres, CEA, Inserm, Inra, Inria, Ifremer, BRGM et quelques autres. Laissons de côté les grandes écoles. Elles fonctionnent bien et, tant qu’à faire, autant préserver ce qui marche, même si la sélection paraît élitaire pour ne pas dire élitiste. Si de moins en moins de fils d’ouvrier y entrent, ce n’est pas la faute du système de sélection, mais une question sociale. Mais il est hélas courant de tout mélanger et d’impliquer des institutions dans des rôles n’entrant pas dans leur mission originelle. L’école en étant un exemple flagrant. On voudrait qu’une artificielle égalité des chances serve de paravent voilant les travers d’une féroce compétition des Français pour l’ascension sociale avec le succès facilité de ceux qui ont plus de moyens, en argent (cours particulier) et en culture (milieux intellectuels).

Des deux institutions-clés de la recherche et de la transmission, c’est l’université qui a vécu les crises et les bouleversements les plus percutants. La raison est simple, l’université est articulée à la société, mal certes, mais de manière évidente. Filles et fils de Français de toutes classes et origines la fréquentent pour obtenir une formation et un diplôme. Certes, avant 1968, on retient l’image de facultés accueillant plus spécialement les enfants de classes aisées. En Mai-68, l’université a été le ressort d’une insurrection portée au paroxysme, puis intégrée dans la réforme pour une nouvelle société. Mais à partir des années 1980, dans le contexte d’une élévation économique sans précédent, la massification a engendré d’autres problèmes que les gouvernements successifs ont tenté de solutionner. Avec des controverses idéologiques bien connues. Pas de sélection et gratuité de l’enseignement. On voit bien où le bât blesse. Sans être taxé de réactionnaire, on peut quand même noter que ce libre accès suscite une sorte de dilettantisme, de tourisme des amphis, de désinvolture, alors qu’un étudiant qui, comme aux Etats-Unis, paye plein pot son inscription, sera plus motivé. C’est comme dans un musée. Les jours de gratuité, on y trouve beaucoup de badauds, mais quand il s’agit de payer, seuls les amateurs d’art les fréquentent.

Rien n’a été vraiment solutionné dans les universités, pour différentes raisons, de positionnement, d’idéologie et de moyens. Car une chose est certaine. Si on veut maintenir le principe de gratuité, il faut des moyens puissants car il existe une déperdition importante, ne serait-ce qu’à travers tous ceux qui sortent sans formation après avoir mobilisé le corps enseignant. Celui-ci consacrant une partie de son temps à créer des enseignements et, surtout, à imaginer comment noter les étudiants. Ce qui, parfois, peut dévoyer un savoir devenant instrument de sélection au lieu d’être le contenu d’une formation ou d’une transmission. Du coup, face à cette massification croissante, les autorités ont tenté quelques solutions de rafistolage, visant notamment à assurer un dispositif adapté aux années de premier cycle, les anciens Deug. Etant donné que le niveau d’enseignement y est intermédiaire entre le bac et la licence, des professeurs agrégés (Prags) ont été détachés du secondaire. Et, dans le même temps, des incitations à multiplier les heures d’enseignements ont été mises en place par Claude Allègre après 1988. Faut-il le préciser, un enseignant du supérieur fait également de la recherche (192 heures en équivalent ED) et c’est cette activité qui est déterminante pour sa carrière. Le ministre a cru bon de détourner ceux qui préfèrent faire de l’enseignement (je décode, ceux qui ne sont pas doués pour la recherche et qu’on peut attirer dans les salles de TP et d’ED) en leur offrant des primes et un plan de carrière spécifique. Quant aux Prags, ils n’ont pas vocation à faire de la recherche, ni le temps, puisqu’ils doivent assurer 384 heures, le double d’un enseignant-chercheur statutaire, mais loin du bagne, car en deçà du temps effectué par un prof en classes prépa. Avec ce succinct panorama de la situation, on comprend aisément la crise traversée par une université devenue sollicitée de tous bords, pour donner des formations, ouvrir au monde du travail, dans un contexte de chômage massif des jeunes, faire de la recherche, transférer les innovations, former des docteurs, et faire évoluer les connaissances aussi. Bref, un enjeu trop lourd et surtout trop coûteux auquel l’université n’a jamais été préparée si on lit dans son passé, alors que, dans d’autres pays, States notamment, la situation est radicalement différente, pour des raisons historiques bien connues.

Passons maintenant au cas du CNRS. Statutairement, le CNRS est composé de laboratoires, les uns de taille respectable, accueillant du personnel par centaine(s), les autres plus petits, désignés comme unités, avec une à trois dizaines de personnes. Le CNRS comprend deux corps, celui des chercheurs, chargés et directeurs, celui des ITA, ingénieurs, techniciens, administratifs (équivalent des ATOS de l’université). Le CNRS est une institution récente, crée en 1939 à l’initiative de Jean Zay, puis après quelques tourmentes liées à Vichy, relancé sur les rails notamment grâce à de Gaulle qui avait compris l’importance pour la France de se doter d’une institution performante dans la recherche. De Gaulle, visionnaire qu’il fût, avait certainement anticipé le devenir des universités, tout en faisant preuve d’intelligence stratégique, sachant qu’il ne fallait pas compter sur l’université pour exceller dans la recherche (François Ier avait fait le même constat, nous léguant le Collège de France). Du coup, le CNRS s’est développé de manière autonome, tout en accueillant en son sein des enseignants-chercheurs pour une collaboration partagée où chacun y trouve son compte. L’université se tient au courant des découvertes scientifiques auxquelles elle participe du reste et qu’elle peut ensuite les transmettre aux étudiants. Le CNRS bénéficie d’un surcroît de personnel chercheur de qualité car recruté après un doctorat, accueillant les meilleurs étudiants pour se former à la recherche et renouveler, par la voie du recrutement, le corps des chercheurs en accueillant les meilleurs docteurs. Ce cercle vertueux a fonctionné jusque dans les années 1990. Ensuite, une transition s’est opérée, lentement, avec des réformes apparemment anodines, mais faisant qu’au bout du compte un transfert de pouvoir et de décision s’est lentement opéré, préparant l’étape actuelle, une de plus pour orchestrer une sorte de phagocytose du CNRS par les universités ainsi qu’une subordination croissante à des impératifs étatiques. Il s’est produit également une sorte de tectonique des ensembles systémiques, comme aurait pu le dire Luhmann, autrement dit une adaptation recomposition des institutions avec à la clé un nouveau dessin des missions et des rapports de pouvoir, de contrôle, de centralité décisionnelle ; un dessein ayant bougé, modifiant les anciennes lignes et prérogatives. Et comme ressort principal, cette fameuse mondialisation, sorte de folie compétitrice mettant chaque structure et chaque individu sous la surveillance du « contremaître évalutionniste » et sélectionnant les ensembles les plus performants.

Quel sera le devenir du CNRS dans ce contexte de transformations lentes, mais avérées ? Nous le saurons en examinant quelques faits et évolutions après 1990.


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10 réactions à cet article    


  • Bernard Dugué Bernard Dugué 12 mars 2008 10:26

    Pour info, il faut lire AERES au lieu de ARES, merci (en plus si une correction peut être apportée, ce serait sympa)

    agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur

    et non pas ARES, comme la localité du bassin d’Arcachon où eut lieu la mystérieure révélation d’Arès


    • Bernard Dugué Bernard Dugué 12 mars 2008 22:26

      Un hadron ne me convient pas mais un lepton serait plus ma tasse de thé

      un thé lepton, incroyable, non !

      je lance le thé lepton, pour qui veut financer mes recherches


    • Bernard Dugué Bernard Dugué 13 mars 2008 08:46

      Plutôt un bozon le clown


    • grangeoisi grangeoisi 12 mars 2008 10:41

      contremètre, le nouvel étalon.


      • geo63 12 mars 2008 11:59

        @ l’auteur. Pour le dernier paragraphe consacré aux laboratoires du CNRS, il me paraît nécessaire d’ajouter qu’il existe des laboratoires propres du CNRS (LP) dont la population est composé de chercheurs (CNRS et autres) généralement majoritaires en nombre mais également d’enseignants-chercheurs et d’ITA. Ces structures sont gérées par le CNRS. En faire la liste serait trop long.

        Je souhaiterais surtout insister sur les unités mixtes de recherche (UMR) au sein des universités (et des Ecoles !!), majoritaires en nombre dans les structures globales. Elles accueillent une population de chercheurs, enseignants-chercheurs (souvent les plus nombreux) et d’ITA + IATOS. Cogérées par l’université et le CNRS, elles sont le véritable moteur de la recherche universitaire, car il est absolument faux de dire que l’université est coupée de la recherche. On peut citer des cas emblématiques comme Paris VI et Paris XI qui comptent un grand nombre d’UMR et sont "cotés" au "Shangaï".

        Peut-être faut-il réformer le fonctionnement de ces UMR qui n’autorisent pas une autonomie suffisante des jeunes notamment, mais leur principe est bon.

        Ce qui caractérise depuis toujours le CNRS c’est son Comité National (ensemble des commissions scientiques, une quarantaine) qui évalue périodiquement le travail des formations portant son sigle et des personnels impliqués. On en pense ce que l’on veut, parfois avec sévérité, surtout si l’on ignore le travail accompli ! Mais c’est son indépendance de réflexion scientifique que l’on cherche à "contrer" actuellement. J’ajouterai que les enseignants-chercheurs sont parfaitement représentés dans toutes les commissions.


        • Bernard Dugué Bernard Dugué 12 mars 2008 12:48

          Bonne remarque, les laboratoires propres, je connais puisque j’ai bossé dans deux d’entre-eux, entre 1982 et 1990. Justement, à cette époque, les LP étaient majoritaires dans l’organigramme du CNRS, maintenant, je n’ai pas consulté l’annuaire mais vous confirmerez sans doute que le nombre a diminué, ce qui appuie la thèse d’une lente phagocytose du CNRS par l’Université, à lire dans le second billet à venir, qui confirme du reste votre crainte, la recherche fondamentale est à terme menacée


        • Mescalina Mescalina 12 mars 2008 12:27

          Bah alors BERNARD, comment tu fais avec un CV pareil pour ne pas y bosser, au CNRS ?? Vite, envoie ton CV !!! A moins que tu n’ai été recalé...

           


          • Esprit Destricteur 13 mars 2008 07:52

            Ce n’est pas "le CNRS qui se réforme" malheureusement, mais une réforme d’inspiration idéologique (lisez : décidée au Chateau sur un coup de tête et une discussion rapide entre conseillers ayant bien d’autres soucis) et de formulation bureaucratique (comprendre : intégrant les dernières lubies des énarques ayant fait un MBA).

            D’où une réforme idéologique, ne tenant pas compte des réalités "de terrain" (à savoir les situations très différentes d’une discipline à l’autre) et confondant agitation bureaucratique (on va changer tout le papier à lettre et écrire dix fois plus de rapports) avec solution des problèmes concrets (mauvaise gestion du personnel notamment — d’ailleurs on ne prétend même pas que le mécano énarchique apporte la moindre solution à un problème concret).


            • Bernard Dugué Bernard Dugué 13 mars 2008 08:49

              Tout à fait, disons que le CNRS se transforme tout en étant pressé par un pouvoir qui veut le réformer, il n’y a pas d’ambiguité, à lire bientôt la seconde partie de ce sujet


            • ShereKhan 29 mars 2008 09:54

              Il ne faut pas tout mettre sur le compte de la mondialisation . C’est un poncif. Il est vrai par contre qu’une OPA a été lancée par les universités sur le CNRS. Par ailleurs, on ne peut récuser toute évaluation par projet telle que celle de l’ANR, car en principe, une tel financement par projet, s’il est quantitativement suffisant, peut débureaucratiser la recherche. Par contre, une telle structure semble faire en partie doublon avec les établissements publics de recherche qui, eux aussi, agissent en tant qu’agence de moyens. Quid d’une fusion entre le CNRS et l’ANR ?

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