Tout le monde a encore en mémoire le « Casse-toi pauvre con » qui n’est pas la phrase la plus blâmable du président Sarkozy. Bien sûr on est loin de la tirade des nez de Cyrano dans laquelle Edmond Rostand met tout son talent pour faire répondre son héros à une insulte basique et peu imaginative concernant la taille de son nez. Mais pourquoi faudrait-il bannir toute provocation, propos vert, ordurier, offensant au nom d’une civilité qui édulcore les rapports humains. L’insulte est saine en soi, surtout quand elle entre dans un cadre ludique, qui fait que l’on se fout de la gueule de l’autre. L’insulte doit porter juste, humilier, faire mal. Mais aussi faire rire au dépend de l’offensé.
Si certains propos peuvent inciter à la haine raciale, d’autres ne sont qu’ironie, quelquefois mal placée, mais faut-il s’en formaliser pour autant ? Les ligues de vertu sont désormais à l’affut de la moindre dérive verbale, du moindre mot de travers. Et d’en faire des tonnes à chaque petite phrase.
Cuistre, peigne-cul, j’en foutre, sont trop connotés vieille France et n’ont de place que dans les chansons de Brassens, qui reconnaissons-le, malgré leur poésie ne cadrent plus avec notre époque. Mais on ne peut dire, nabot, gros tas, couille molle, tas de merde ambulant, gueule de rat, sans qu’une ligue de défense considère qu’il y a la à matière à discrimination des nains, des gros, des moches ou des imbéciles. D’ailleurs, dans un texte ou une conversation, on ne dit plus nain, mais homme de petite taille ou à croissance verticale contrariée. On ne dit plus gros mais individu en surcharge pondérale.
Le « fidèle castré » adressé à Fillon par le Pen est bien loin de ses outrances habituelles et pourtant limites et fait sourire car pour une fois il tombe juste. Et certains propos de Georges Frèche ne méritaient pas qu’on en fasse tout un plat. L’insulte rend la vie politique vivante, mais une mode de type américano-scandinave voudrait que l’on s’exprime de façon neutre et insipide pour soi-disant respecter le débat d’idée. Pourtant l’insulte était partie intrinsèque de la vie politique en France sous la Troisième République. Cela se finissait par des coups, quelquefois par des duels. De nos jours, seuls les Russes osent encore s’insulter à la Douma et y faire le coup de poing, et quelquefois les Italiens qui possèdent un arsenal de mot crus et dévalorisant bien plus important que les Français.
Et dans la vie quotidienne, au bureau, dans les transports, le Français moyen n’a plus l’insulte facile. Il baisse le nez devant le loubard, l’enseignant syndiqué applique son « droit de retrait » au moindre propos irrévérencieux d’un « jeune con ». Si les Français se sentent victimes d’injures venant de jeunes désœuvrés, dont certains viennent de l’immigration, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes car ils sont devenus trop lâches pour répliquer. L’insulte enfin soulage, quand on a perdu de l’argent face à un escroc, quand un garagiste vous a bousillé votre bagnole sans recours à l’assurance, quand vous n’avez plus aucun recours devant les prud’hommes ou quand le voisin est définitivement parti avec votre femme, et bien l’insulte soulage, vous avez au moins le sentiment d’exister même si vous êtes le perdant. Par contre, il faut réprimer les velléités des enfants non pour des raisons morales mais éducatives. Il faut leur faire comprendre que bientôt, cela sera leur tour et leur droit, mais que pour l’instant, ils doivent respecter les adultes. Si on arrive à les maitriser assez longtemps, ils prendront leur revanche et peuvent à leur tour devenir très bons. Et puis, il ne faut pas être naïf, ils s’entrainent dans votre dos.
Pourquoi crier à l’infamie quand un jeune bouscule une vieille, vous marche sur les pieds, se met à beugler dans le bus, pourquoi ne pas lui dire « la ferme », « ta gueule », « fais pas chier » ou une autre réplique du genre. Pourquoi ne pas dire à son voisin qui écoute toute la nuit du Balavoine (ou du Stockhausen) malgré vos remontrances réitérées et vos lettres au syndic : « Tu vas arrêter ce boucan ou je t’en colle une dans le pif. Je te pisse à la raie, pauvre con ! »
Certains bons esprits diront que la civilisation, c’est justement régler les conflits autrement que par la violence verbale pour ne pas dire physique. Mais cette attitude consiste bien trop souvent à masquer sa lâcheté et sa démission. Certes, il ne faut pas éructer à tout bout de champ, à la moindre contrariété, gène ou insatisfaction. Il ne faut pas être soupe-au-lait et s’énerver à la moindre provocation. L’insulte d’ailleurs, a plus de portée que si elle est mesurée, à propos et percutante, on ne peut en permanence s’en prendre à tout le monde au risque de se pourrir sa propre existence. Mais de temps en temps, en choisissant bien les mots qui font mal et qui humilient, on peut se sentir moins péteux et pitoyable face à ceux qui vous pourrissent la vie. Insulter en permanence traduit un manque de contrôle de ses émotions, une réaction primaire à l’insatisfaction et à la frustration, mais ne jamais rien dire, ne jamais élever le ton et tout subir sans broncher ou faire le sycophante au commissariat est le meilleur moyen de se faire marcher sur les pieds toute son existence.
Ce qui compte le plus dans l’insulte c’est son côté surprenant, novateur, ludique. Ne passe contenter de phrases stéréotypées que n’importe quel clampin de bas étage est capable de sortir sans la moindre imagination. La créativité, la nouveauté doivent surprendre, indigner, faire mal. Rien de plus inutile et décevant qu’une injure qui tombe à plat, celui qui la sort en est doublement humilié, surtout si celui à qui il s’adresse possède de la répartie, de l’imagination et du vocabulaire.
On nous serine la politesse, mais elle n’est hélas le plus souvent qu’une forme d’hypocrisie et de couardise. Il faut être poli avec ceux qui ne vous ont rien fait, ne vous ont pas provoqué et qui d’une façon générale, vous foutent la paix. Avec les autres, il ne faut pas avoir peur de se lâcher. Et dans ce cas, cela peut devenir grandiose, picaresque, sublime.
Dire à un ennemi intime : « Je vous considère moins qu’une trace de merde au fond d’un slip » tient à la fois de l’imagination et de l’irrespect, surtout si celui à qui vous vous adressez est votre député, votre patron après votre démission, l’amant de votre femme ou votre plombier qui vous a arnaqué lors de vos travaux de salle de bain. Et même si ce qui touche à la sexualité de l’autre, à son aspect physique et que tout ce qui est d’ordre scatologique entraine le plus souvent l’effet escompté, il faut tout de même se renouveler, ne serait-ce que pour faire rigoler les témoins de l’altercation. Et puis, il en est de l’insulte comme des duels au pistolet dans les vieux westerns, c’est toujours celui qui tire le premier qui a tort, même s’il étend raide sa victime dans la poussière. Attendez, la provocation avant de sortir votre chapelet de mots virulents, vous n’en serez que mieux considérés. Vous pourrez toujours vous justifier en disant : « c’est lui qui a commencé »
PS : j’attends que les provocations arrivent dans les commentaires pour y répondre vertement, après ce que je viens d’écrire, je ne peux tirer le premier. Mais je veux encore faire la part entre les pisse-vinaigre, moralistes de tout poil et ceux qui ont un tant soit peu d’humour.