Le Covid-19 engendre une pandémie de repli

En 2009 je publiais un livre sur une pandémie de peur engendrée par l’émergence d’un virus grippal qui affola les autorités de santé et les médias avant de se révéler somme toute peu agressif. En 2020, le coronavirus est d’une toute autre facture. Lorsque l’année 2021 fut entamée, une seconde phase de la pandémie est arrivée, avec les vaccins et les variants. Le monde se configure d’une manière inattendue. Il y a un an, lors du premier confinement, les observateurs pensaient que le tsunami sanitaire allait nous submerger, justifiant la mise à l’abri des populations, pour les préserver du virus autant que préserver le système de soin d’une saturation prévisible. Un monde d’après redevenu normal devait suivre, avec quelques bonnes résolutions sur le climat et la biodiversité. La résilience et le repli furent interprétés comme un retour à soi parfois salutaire, permettant de faire l’inventaire tout en réinventant sa vie. Les médias regorgèrent de ces happy storytelling. Le virus s’effaça l’espace d’un été mais ne nous lâche plus depuis octobre. La vaccination n’était pas garantie il y a six mois, elle l’est devenue, alimentant les phantasmes de passeport sanitaires. Les liaisons entre la France et le Brésil viennent d’être supprimées pour quelques jours. Cette mesure ne changera pas beaucoup de choses sur le cours du monde et le destin de la France. Elle n’est qu’anecdotique mais hautement symbolique d’un repli généralisé constituant une signature du monde qui arrive.
Dans le contexte d’une pandémie durable, les Etats sont tentés par le repli. La logique du processus est simple à comprendre. Tous les pays cherchent à limiter la propagation du virus tout en essayant de vacciner les populations. Chaque Etat dispose d’une stratégie pour freiner la propagation du virus, avec une situation géographique particulière. Il est plus facile de stopper le virus dans des pays insulaires, Taïwan, Nouvelle Zélande, Australie, que dans des pays cernés par les frontières, France, Allemagne, Hongrie… Ces mêmes Etats ne sont pas synchronisés pour la vaccination. De plus chaque Etat met en place sa propre stratégie de freinage avec les mesures restrictives. Au final, chaque regarde l’autre, se compare, pense faire mieux, jugeant alors légitime une fermeture des frontières, une limitation des liaisons ou alors l’obligation de circuler avec un passeport sanitaire. La méfiance de l’autre s’étend. Chaque pays défend ses nationaux. Le ressortissant d’un pays étranger est devenu un contaminé potentiel, un coupable en puissance, pouvant transporter le virus et faire des victimes en le transmettant. La tentation du repli est mondiale. Une formule pour désigner ce qui arrive :
Mondialisation du repli et repli de la mondialisation ; certes, cette tendance sera diversement appréciée. Les citadins des villes hautement touristiques comme Barcelone apprécieront un calme relatif. Finies les hordes déferlantes de touristes souvent jeunes et alcoolisés et les appartements squattés par les gens fortunés au détriment des locaux. Les dévots du climat seront ravis de voir moins d’avions dans le ciel. En revanche, ce repli ne sera pas du goût de tout le monde, surtout ceux dont les revenus proviennent de l’industrie du tourisme. Dans ce contexte de tension économique, c’est chacun pour soi et Dieu, pardon, l’Etat, pour tous. Chacun tente de sauver sa petite entreprise, de préserver ses points d’ancrage dans le matériel et le social. Cette tendance au repli, combinée à la peur et au sentiment de culpabilité, explique l’absence d’un grand mouvement de contestation associant les industries hôtelières, les étudiants, le monde de la culture, les indépendants, commerçants et autres gilets jaunes de circonstance.
La tentation du repli est aussi une tendance psychologique en expansion. Avec ces confinements et ces restrictions, un bon nombre ont pris goût au repli dans le foyer familial, trouvant une sorte de salut, désertion morale face au destin collectif. D’autres sont devenus anxieux face au monde extérieur, craignant de sortir, d’aller dans les parcs ou les boutiques, évitant leurs semblables. Le repli affecte les jeunes enfants, devenus réticents à prendre l’air, à retrouver leur copains. Le président magnanime offre 10 séances de psychothérapie remboursées à 100%. La vie sociale ne se réduit pas aux manifestations culturelles, sportives, événementielles, ni aux agapes dans les bars et restaurants. Elle est faite de contacts quotidiens, de rencontres, de paroles et sourires échangés. Le port généralisé du masque facial ne peut qu’être mortifère pour les âmes. La vue de gens masqués est déprimante et n’incite pas au contact humain. Quant à la vie dans les espaces publics, elle sera impactée par les protocoles sanitaires et la peur du virus. Les gens ne sont pas tous disposés à reprendre leur vie d’avant.
Une certaine forme de séparatisme sanitaire est proposée par les acteurs de la société sans que le mot ne soit prononcé. Instaurer voire imposer un passeport sanitaire n’est rien d’autre qu’une sorte de séparatisme imposé à la société. Le séparatisme est le fait de communautés décidant de s’affranchir des règles républicaines, le séparatisme sanitaire est le fait de décideurs imposant aux citoyens une règle excluant les pestiférés non vaccinés ou non testé de la vie publique. Le séparatisme se dévoile aussi sur les réseaux sociaux et dans les commentaires effectués sur les articles du Net. Le dialogue est devenu impossible. Les gens ne lisent plus les textes, ils balancent quelques liens histoire de montrer qu’ils savent tout et qu’ils ont achevé la question, ce qui est une manière de se replier, de ne pas entrer dans la controverse.
Le philosophe voit à travers le repli le lent naufrage des sociétés et de l’humanité. Le philosophe ne portera pas de jugement moral, ni ne proposera de solution. Il n’apporte qu’un regard éclairé, indiquant le danger du repli et l’espérance de l’ouverture. Chacun peut choisir le repli ou l’ouverture. Le philosophe pointe le choix en espérant que les imbéciles ne regardent pas le doigt !
Et sur le plan politique, les régimes autoritaires imposent le séparatisme et le repli, alors que les régimes démocratiques et républicains reposent sur l’ouverture. Vos choix ne sont pas seulement psychiques, ils ont une dimension politique !
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