Le management écologique, l’intelligence relationnelle au sein de l’entreprise
Les profits des sociétés du CAC 40 augmentent de 20% par an en moyenne, ceux de l’ensemble des entreprises françaises stagnent. Ce n’est pas un scoop, la globalisation est génératrice d’inégalités. Une réalité qui fait souvent la une de l’actualité à travers les situations de délocalisations ou de licenciements massifs dont le protagoniste, au banc des accusés, demeure le profit. Reste que la réalité de l’économie française est majoritairement composée de TPE et de PME. A leur tête, des chefs d’entreprise, des managers, dont l’objectif principal est la rentabilité. Des acteurs du management ni philanthropes, ni philosophes mais qui travaillent avant tout avec le facteur humain. Or, « manager l’homme » suppose de maîtriser un art, celui de l’intelligence relationnelle.
Sylviane B., quinquagénaire, est responsable de secteur au sein d’un groupe bancaire. Ambitieuse et riche d’une longue expérience professionnelle au sein du groupe, ce poste de middle management lui a été confié il y a deux ans. L’entreprise lui a proposé une formation au management avant de prendre ses fonctions. Mme B. a suivi l’enseignement avec la conscience professionnelle qui lui est reconnue. La prise de fonction s’inscrivait dans le cadre d’une fusion acquisition. Le manager aurait donc à gérer des collaborateurs de son groupe (celui qui a été absorbé), rompu à une certaine méthode de travail plutôt dirigiste et laissant assez peu de marge de manoeuvre, ainsi que des nouveaux collaborateurs de l’autre groupe (celui qui a absorbé), qui avaient évolué dans un contexte professionnel accordant une certaine place à la prise d’initiative.
Mme B., personnalité autoritaire et inflexible qui s’ignorait, n’avait pas choisi, pour l’exercice de sa nouvelle fonction, la mise en application du management participatif. Elle l’estimait un peu trop "laxiste" à son goût. Elle pensait d’ailleurs, à juste titre, que la théorie du management n’est pas un concept à appliquer à la lettre mais que le manager doit avant tout composer avec sa personnalité et son professionnalisme.
Une réalité à teinter de nuances car le manager, au-delà de toutes les formations théoriques dont il a pu bénéficier, doit, pour être reconnu et opérant, être doté de certaines qualités. Des atouts que l’on retrouve dans « l’intelligence émotionnelle » définie par Daniel Goleman comme étant « l’empathie, l’aptitude à se motiver ou à persévérer dans l’adversité, à maîtriser ses pulsions et à attendre avec patience la satisfaction de ses désirs, la capacité de conserver une humeur égale et de ne pas se laisser dominer ». Il s’agit donc de bien se connaître et de ne pas se laisser dominer par ses peurs et ses émotions. La connaissance de soi, cette aptitude tournée vers l’intérieur, Goleman la nomme « intelligence intrapersonnelle ». « L’intelligence personnelle » permet quant à elle de développer quatre capacités, celles de diriger, d’entretenir des relations, de résoudre les conflits et d’analyser les rapports sociaux. Enfin « l’intelligence interpersonnelle » est définie comme étant "l’aptitude à comprendre les autres, ce qui les motive, leur façon de travailler, comment coopérer avec eux." Une qualité indispensable pour toutes les personnes qui occupent des postes à responsabilité. L’intelligence émotionnelle réunit donc un ensemble de qualités indispensables pour un management écologique. Des qualités que le manager se doit de développer pour s’inscrire dans un développement durable de son action.
Mme B. ne semblait pas avoir pris conscience de ces aspects inhérents à sa fonction ; elle partait du principe que les méthodes de travail de son groupe avaient fait leurs preuves. Son travail, pensait-elle, consisterait à convertir les nouveaux collaborateurs. La responsable du service n’avait toutefois pas manqué de retenir, lors de sa formation, que l’écoute demeurait un outil important de management. Aussi prit-elle le temps d’écouter les doléances de collaborateurs qui avaient le sentiment de perdre la confiance, la responsabilité et, de fait, le respect qui leur avait été accordé durant de nombreuses années au sein de l’ancien groupe. L’écoute de Mme B. était toutefois factuelle, sans empathie et donc néfaste puisque le manager n’envisageait, in fine, aucune forme de dialogue social. Il n’y avait donc pas de congruence entre la pensée, la parole et l’action de la responsable. Or le manque de congruence est très rapidement perçu par tout interlocuteur, il entraîne de manière insidieuse un sentiment de non-cohérence, de trouble, voire celui d’être dupé.
Toutefois, l’ambiance conflictuelle de travail n’empêcha pas le manager d’aller jusqu’au bout de sa méthode, voire de sa manière d’être ("le savoir-être" dit-on dans le large champ de la psychologie), Mme B. venait régulièrement vérifier le travail de chacun, ne manquait pas de donner des consignes strictes, rappelait à l’ordre ceux qu’elles estimaient ne pas être à la "hauteur", se privant ainsi du bénéfice de la méthode du panachage qui consiste à proposer une certaine prise d’initiative, à la fois de manière collective pour favoriser la solidarité et de manière individuelle pour renforcer la motivation et l’investissement de chacun. Au fil des mois, les erreurs se sont accumulées. Le groupe qui avait joui d’une certaine marge de manoeuvre par le passé incitait peu à peu l’autre groupe à ne pas accepter ce qui était vécu comme de l’autoritarisme. Une certaine forme de résistance passive s’installa puis des plaintes commencèrent à être adressées à la direction. Enfin, les deux groupes se sont réunis pour former un noyau de résistance autour du même combat. En fin d’année 2006, les objectifs du service n’étaient pas atteints. Sylviane B. qui voulait être perçue par sa hiérarchie comme un manager efficace et irréprochable, fut convoquée, puis un audit fut programmé pour le début de l’année 2007.
Une situation qui illustre combien un management qui ne prend pas en compte l’écologie, soit l’équilibre des personnes et du système (l’équipe, le service), ne peut, à terme, être opérant. Le travail peut être et doit être source d’épanouissement humain. Loin d’être angélique, cet énoncé n’occulte pas le fait que l’objectif final du manager reste le résultat. Mais il ne peut, pour l’atteindre, faire l’économie d’une éthique de management qui reposera essentiellement sur l’intelligence relationnelle des rapports professionnels. Dans l’exemple cité, le manager a besoin de travailler sur un manque de confiance qui l’amène à tenter de tout maîtriser pour se rassurer. Ce défaut d’assurance qui n’est pas, contrairement aux idées reçues, de nature féminine, empêche le manager de déléguer et d’accorder sa confiance aux collaborateurs qui le méritent. Ces derniers ont alors le sentiment d’être infantilisés, sentiment qui entraîne, à juste titre, de la résistance. Empêchés en terme de prise d’initiative, ils ne peuvent exercer leur potentiel de créativité qui est pourtant une valeur ajoutée pour l’entreprise. Mais le plus inacceptable pour les protagonistes reste le manque de confiance et, par voie de conséquence, de respect qu’ils perçoivent du manager. En terme d’analyse transactionnelle, le collaborateur est mis en posture d’enfant face à un manager-parent dit "persécuteur". Quelle harmonie peut découler de ce type de relation professionnelle ? Le champ systémique nous apprend également que ce type de fonctionnement ne peut que s’aggraver puisque lorsque chaque individu du système (un système est composé d’un minimum de deux personnes qui entrent en interaction) renforce sa position de défense, il induit une réciprocité. En d’autres termes, plus le manager persiste, plus les collaborateurs résistent. Le manager perd de plus en plus confiance et ressent le besoin de tenter de maîtriser la situation pour se rassurer. Il va donc renforcer sa position autoritaire de contrôle qui ne manquera d’accentuer les sentiments négatifs des collaborateurs qui accentueront à nouveau leur attitude de résistance. Une spirale qui ne cessera qu’avec l’intervention d’un tiers.
L’écologie du management repose donc sur des concepts simples de la psychologie humaniste. Ecouter avec un minimum d’empathie, accorder sa confiance lorsque le collaborateur a prouvé qu’il était digne de la recevoir et mettre en valeur les compétences. Mais aussi proposer à chacun de travailler autour de ses points faibles, favoriser la prise d’initiatives, source de créativité et potentiel de richesse pour l’entreprise ; considérer à la fois l’individu, le groupe, ainsi que l’individu dans le groupe. Enfin avoir conscience que l’autre est souvent tel que nous le percevons, c’est être capable, en tant que manager, de se remettre en question.
L’axe du management doit être clair, juste et cohérent. Autant de conditions d’un contexte de travail qui induit une certaine harmonie des relations professionnelles. Une intelligence relationnelle qui ne peut que réduire les tensions, les conflits, le sentiment d’insatisfaction, le manque de motivation et le turn-over. Un contexte propice au développement de la culture d’entreprise. Une éthique managériale qui tend nécessairement vers une plus grande rentabilité de l’entreprise dans un schéma de véritable développement durable.
Isabelle Buot-Bouttier
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