Le monde occidental entre risque systémique et perspective de déchéance
Dans un livre non publié analysant la crise du Covid, la thèse d’une fin de l’Histoire et même d’une fin de l’homme s’est imposée. Les quelques notes présentées ici s’inscrivent dans cette vision trouble de l’avenir. La disparition de l’homme est possible sous la forme d’une déchéance, autrement dit l’humanité de l’homme se défilera, si rien n’est fait pour prendre un autre chemin, suivre une autre Voie. Pour l’instant, il ne se passe rien de saisissant au niveau global depuis des mois. Les faits racontés et commentés laissent penser le contraire. Rien de bien surprenant, les médias ont besoin de faire croire qu’il se passe quelque chose pour être lus, écoutés ou visionnés et de ce fait, engranger des dividendes et justifier leur existence en tant que machines de Luhmann. Je livre ces quelques notes somme toute sans importance à l’attention de ceux qui ne savent plus lire.
I. déclinaisons du désarroi
1) Le risque d’un effondrement de l’Occident n’est pas visible. Les indices de la catastrophe sont voilés, comme du reste les signes des forces qui s’y opposent. Les citoyens sont des somnambules. Ils sont abreuvés de la bonne pensée émanant du système, des passions tristes véhiculées par des oppositions populaires faisant partie intégrale du système. Aux marges, les rumeurs et les élucubrations sur le complot d’une élite nous voulant du mal ne font qu’aggraver le dérèglement mental, moral et cérébral des citoyens. Quand une société se porte mal, il est souhaitable que les citoyens et les gouvernants puissent disposer d’une vision claire des tendances, d’un diagnostic fiables et de fonctions sociales efficaces pour contrer la dégradation et réparer autant que faire se peut les rouages de la société.
2) Le système de santé flanche mais de manière diversifiée. Des secteurs du pays, en ville et surtout en zone rurale, sont mal en point. Des patients n’ont plus accès aux soins basiques, dentaires, ophtalmo, médecine de proximité et même urgence. La secousse du Covid n’a fait qu’accentuer la mauvaise pente, avec l’incompétence des autorités. Des gens pratiquent l’automédication, d’autres vont en Hongrie pour des soins dentaires.
3) L’éducation va dans le mauvais sens, avec là aussi des disparités. Le mauvais pli a été pris depuis des décennies. La gestion du Covid a engendré un déclin cognitif généralisé chez les enfants et un malaise dans la jeunesse, avec des dépressions en augmentation et une anxiété généralisée.
4) D’autres secteurs sont en difficultés, la justice, les prisons, la misère dans la rue. La police s’interroge et vit un profond malaise. L’industrie est à la peine. Les faillites d’entreprise sont en augmentation. Les Ehpad sont en manque de personnel. Les services de l’Etat assurent la continuité des aides sociales avec le relais des collectivités. Pour l’instant, ça tient. Malgré les tensions plus que palpables sur le marché des énergies et des prévisions peu rassurantes.
5) La guerre en Ukraine est une réaction en chaine dont on ne peut prédire l’issue. Elle entraîne un désordre sur le marché de l’énergie, des matières premières et des denrées alimentaires. L’inflation ne s’explique pas en totalité par cette conjoncture. D’autres facteurs systémiques jouent. Les gens ont stocké des produits génériques. Les acteurs de la distribution saisissent les opportunités et l’inflation n’est pas justifiée. Comme souvent, c’est le chacun pour soi et la débrouille.
6) La paupérisation s’accentue, favorisant les affections pathologiques et la population vieillit, accroissant la demande de soin auprès d’un système de santé publique faiblissant et ne pouvant plus répondre à la demande. Les plus riches se feront soigner et pour les autres, il va falloir batailler, se faufiler, trouver quelques portes d’accès, parfois dérobée, la débrouille.
7) Aucun pays ne peut s’exonérer de la configuration systémique liée à la globalisation et l’interdépendance des économies. Le FMI annonce des prédictions maussades. Rien ne bien catastrophique sauf si cette conjoncture ne se résorbe pas. Comme toujours, les pauvres s’en sortiront moins bien que les nantis. C’est bien le seul principe qui réussit à unifier toutes les nations en un seul caractère. Il ne faut pas pour autant jouer les somnambules. Il y a des pays aux portes de la catastrophe, le Liban, le Sri Lanka, Haïti, et d’autres nations très mal en point.
8) L’immigration récente n’est pas une chance comme le suggèrent quelques observateurs soucieux d’une éthique et se réclamant d’un humanisme pragmatique. Elle n’annonce rien de bénéfique pour les pays affectés. Les déplacements migratoires ne peuvent pas se comparer aux mouvements de populations dans les âges anciens. Face à ce problème, je n’ai pas la prétention de donner des leçons ni de proposer des solutions. Je me déclare incompétent.
9) L’Occident ne croit plus aux idéaux de progrès. Les idéologies en vogue sont parfois mortifères, radicales, faites de ressentiments et de passions tristes. Wokisme, véganisme, gauchisme délétère, fascisme petit bourgeois décliné en software numérique et culte des start-up, obéissance généralisée face à l’arbitraire autoritaire, folie et crainte climatique, développement des dystopies, comme si l’analyse de la situation avait besoin d’être accentuée par des peurs irraisonnées. Cette configuration délétère se traduit par une crise politique au niveau des partis, y compris dans les nations développées, Suède, Italie, France et même Etats-Unis.
10) Pour finir, une tonalité de fond sur l’état de l’humanité. Une résilience attendue se manifeste et à défaut d’être satisfaisant c’est plutôt rassurant. En revanche, les mauvaises pensées se répandent et globalement, le sens historial du monde n’est pas orienté vers une espérance ou un espoir de progrès comme ce fut le cas pendant les quatre décennies ayant suivi la fin de la guerre en 1945. Un retournement, un virage s’est dessiné après 1990, accentué puissamment vers 2010. En réalité, il n’y a plus de sens historial. La fin de l’empire soviétique a conduit à la décomposition et recomposition des paysages politiques intérieurs. Le sentiment qui domine, c’est l’insatisfaction, la victimisation, la quête de coupables et la généralisation d’une justice populaire, à l’écart de l’Etat de droit, animée par le sentiment de vengeance. A la fois dans les questions intérieures et dans le cours géopolitique et le tournant inquiétant que prend le conflit entre l’Otan et la Russie.
11) Les sociétés sont animées par des ressorts cachés dans les âmes dont on voit les manifestations durables ou éphémères, sporadiques mais parfois de grande intensité lorsque la colère surgit, aucun pays n’étant épargné. Les sociétés tiennent avec les règles de fonctionnement, les rouages techniques, les mécanismes de stabilités, les réparations, le monde du travail. La résilience est plus répandue qu’on ne le pense. La vengeance est un sentiment diffus, inégalement réparti, entretenu dans des communautés, des groupes revendicatifs, et lorsque cette vengeance émerge, elle se voit, alors que la résilience reste invisible, n’attirant pas les regards, devenue aussi ordinaire qu’un nuage traversant le ciel. L’équilibre semble solide mais tout repose sur la banque de la colère, des ressentiments et des passions de la vengeance qui peuvent s’agiter et exploser à l’image d’un fleuve en crue sortant de son lit.
12) Les passions tristes, les provocations, les affirmations identitaires et les réactions immunitaires sont présentes dans la plupart des pays, avec des sociétés divisées, des communautés et des personnes remontées contre les autres. Au niveau géopolitique, la guerre entre l’Occident et la Russie par la médiation de l’Ukraine a dérivé vers une forme de conflit post-moderne composé d’une forme classique avec une stratégie que l’on ne voit pas, si ce n’est une série de ripostes dont l’intention semble s’éloigner des buts classiques poursuivis dans une guerre. Le but étant alors une vengeance de part et d’autre, qui pour les uns emploie les armes et les autres les sanctions. Le conflit en Ukraine s’est infléchi avec une intention de terroriser la population depuis les récentes attaques menées avec des missiles et des drones. Ce conflit n’a pas de sens, il est devenu le théâtre de deux nations pratiquant la vengeance en sachant qu’aucune des parties ne peut perdre ni gagner.
II. Pour ne pas conclure
1) Les forces dites historiales se sont effacées, avec les œuvres d’Art emportées par le fleuve de l’Histoire et rien de neuf si ce n’est l’interminable fabrication de produits culturels par des personnes se présentant comme artistes ou créateurs. Le ressort des sociétés européennes est multiple, composé d’aspiration aux plaisirs, de responsabilité professionnelle, de résilience et de passions tristes. L’époque des conceptions du monde est révolue. La plupart cherchent le salut à titre individuel. Le grand soir et son rêve d’une humanité réconciliée par le collectif était non seulement inaccessible mais aussi illusoire. Les marches organisées par JL Mélenchon ne présagent pas un grand changement ni un mouvement de l’histoire. C’est du carnaval et rien d’autre. La démocratie permet d’éviter le pire, de maintenir la société en état de fonctionner et pour les mécontents, d’emmerder ceux qui pensent différemment en votant pour les partis protestataires opposés aux prestataires de service qui gouvernent. Le système tient la route parce qu’il est géré comme une entreprise, avec une somme colossale de mécanismes de production, de stabilité, de régulation, de distribution, de réparation. On ne voit pas une lame de fond historique balayer ce système qui convient à la plupart, même si ça se dégrade dans des secteurs, si bien que le mot d’ordre n’est pas le bon en avant, ni en marche, mais en fuite. Les fortunés ont les moyens de fuir et pour les autres, c’est la résilience, la résignation, pour mener une vie bonne autant que faire se peut, tenir debout, prendre sa part de joies et plaisirs. L’homme est un animal joyeux, audacieux, capable de monter vers les sphères divines ou de déchoir vers la médiocrité, l’incapacité pour ne pas dire la bestialité.
2) Les sociétés sont sous contrôle technique, administratif et policier avec l’assentiment d’une majorité de citoyens. Le renforcement de la puissance étatique combinée à la résilience sociale maintient les sociétés dans une normalité encadrée, mesurée, surveillée, avec un fond à bas bruit d’incivilités, de haines, de colères, de désespoirs, de dépressions. Il n’y aura pas de mouvement historique. L’Histoire est du passé. Du moins l’Histoire conçue et interprétée avec les règles de la métaphysique et de l’étant. Il n’y a plus d’Art, il n’y a plus de Philosophie, les hommes se sont détournés de Dieu. Trois possibilités ; ne rien changer, réparer, produire ; ou alors la déchéance qui pourrait conduire vers un effondrement, mais pas de suite, d’ici 15 à 30 ans ; ou enfin, un âge nouveau, une promesse que rares connaissent et pour cause, il faut des dispositions d’âme et l’esprit porteuses de signification et surtout, voir avec les yeux de l’Esprit ces dispositions devenant présentes à la conscience, telles une parousie inattendue.
3) En l’état actuel des choses, il n’y a pas de risque de grande intensité à forte probabilité. Ce qui ne signifie pas que le risque est nul dans un monde hautement technique qui n’est pas à l’abri de l’accident de type industriel. Qui du reste a déjà eu lieu avec le Covid que les observateurs n’ont pas su interpréter avec cet angle de vue. Nous risquons l’accident énergétique, la pénurie momentanée d’électricité. Les tensions économiques représentent un risque, comme lors du choc pétrolier de 1974. L’escalade militaire ne doit pas être négligée. Le risque nucléaire apprécié proche de zéro depuis des décennies est devenu un peu moins proche de zéro mais pour l’instant, minime. Affaire à suivre. Un mouvement d’insurrection généralisé n’est pas dans les tiroirs des analystes lucides. Dans le cas contraire, tout événement de grande intensité amené à se manifester indiquerait que les analystes lucides et les experts n’avaient pas la connaissance complète des dispositions d’âme.
4) Ce qui s’oppose à un mouvement historique dirigé vers l’éclaircie, c’est l’aveuglement, l’ignorance, la perte de l’idéal d’exemplarité, d’excellence, l’estime de soi. Le déferlement de grossièretés et vulgarités sur les réseaux sociaux ainsi que quelques médias est le fait de gens qui n’ont aucune estime d’eux-mêmes et ne s’aiment pas. La disparition de l’homme ne se fera ni par les armes, ni par les guerres civiles, ni aucun facteur d’ordre climatique ou biologique. La disparition de l’homme se produira comme une mutation vers le bas, une déchéance, amenée à devenir le genre humain si rien n’est décidé pour prendre un autre chemin, suivre une autre Voie.
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