Le Père Noël chez les loubards
A l’approche des fêtes de fin d’année, le père Guy Gilbert instille un peu de parler vrai dans le concert des bons sentiments.
Comme en chaque mois de décembre à l’approche des « fêtes », quelques bonnes âmes issues d’associations laïques ou religieuses s’efforcent de faire entendre leur voix dans le concert des réjouissances et le battage publicitaire : à ceux qui seraient tentés de l’oublier, elles rappellent qu’une partie de la population - « exclus » ou « précaires » - s’apprête à traverser une des périodes les plus rigoureuses de l’année, dans un isolement accru par l’atmosphère légèrement fiévreuse qui prépare le regroupement tant attendu ou redouté, pour un ou deux jours à peine, autour de la cellule familiale. Le ton compassé du présentateur du 20 heures, l’indignation mêlée de mauvaise conscience du chrétien qui déplore la perte de l’esprit de Noël et qui se désole de ce que la Nativité soit devenue le prétexte d’un gigantesque événement commercial, tout cela nous est devenu maintenant si familier que nous nous n’y prêtons pour ainsi dire plus attention. La solidarité se résume le plus souvent à quelques images reflétées dans les vitrines des grands magasins : la « une » d’un quotidien gratuit consacrée aux sans-abris, le tronc tendu par un militant de l’Armée du Salut déguisé en père Noël, un abri de fortune réalisé avec des cartons et des couvertures...
Dans ce climat à la fois festif et morose, où les mots mièvres et généreux ont aussi peu d’épaisseur qu’une étoile de papier crépon, le franc-parler du père Guy Gilbert, le « prêtre des loubards » au blouson de cuir clouté, a quelque chose de particulièrement roboratif. On peut s’en assurer en jetant un œil aux « textes saisonniers » qu’il consacre régulièrement à Noël, ou encore en l’écoutant parler, dans un entretien vidéo tout récent, de son engagement auprès des jeunes délinquants, des prisonniers, des exclus et des « paumés » en tous genres qui, d’une manière ou d’une autre, ont été abîmés par la vie. La solidarité, pour lui, est une pratique quotidienne : elle n’attend pas le moment des fêtes. Éducateur et prêtre, la forme qu’il donne à son action militante depuis près de quarante ans le place dans le sillage du christianisme social et des prêtres-ouvriers. Ces derniers avaient souhaité, à la fin des années 1940, vivre leur sacerdoce auprès des travailleurs, au risque de susciter la méfiance de leur institution : c’est le pape Pie XII qui décida, en 1954, de mettre un terme à cette expérience en rappelant les prêtres « égarés » dans les usines, avant que Vatican II ne reconnaisse la légitimité de leur action. On compte aujourd’hui en France environ 800 prêtres ouvriers : il s’agit moins, comme dans le contexte des années d’après-guerre, de ranimer les vertus sociales du christianisme au sein de la classe ouvrière, que de chercher à lutter concrètement, sur le terrain, contre l’injustice ou la précarité.
Guy Gilbert s’est fait connaître à partir de la fin des années 1970 par plusieurs livres au ton « peuple », à la fois énergique et direct (notamment Un Prêtre chez les loubards, 1978). C’est une sorte de Coluche de l’Église catholique. A Paris, dans les grandes cités délaissées, ou encore à Faucon, la bergerie provençale où il accueille des jeunes supposés « irrécupérables », ses actions sont relayées par les médias témoignent de la sincérité et de la constance de son engagement. Guy Gilbert tutoie tout le monde ; il rudoie, au besoin, les formes convenues de la religion officielle. Sa sensibilité de gauche ne l’empêche pas, d’ailleurs, de nourrir avec l’actuel président de la République une amitié de dix ans (on se souvient qu’il faisait partie du voyage officiel de Nicolas Sarkozy au Vatican qui eut lieu en décembre 2007). Il faut espérer que cette célébrité - aussi médiatique en son genre que l’Abbé Pierre ou Sœur Emmanuelle - contribue à réveiller les esprits, ou du moins à les sortir un peu de l’engourdissement entretenu ces temps-ci par l’industrie des réjouissances collectives.
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