Le péril numérique
L’intrusion massive du "numérique" dans nos existences n’amène pas que des avancées présumées bienfaisantes dans nos vies et le devenir de nos sociétés... Des spécialistes, des vrais, posent la question des usages numériques en termes de santé publique et interrogent l’apprentissage « par le numérique » dans un contexte de technofrénésie débridée.
L’exposition des enfants aux écrans commence à inquiéter certains parents et spécialistes jusqu’alors opportunément catalogués comme « alarmistes digitaux » : faut-il s'inquiéter voire s’affoler de la place envahissante qu’occupent smartphones, tablettes et autres gadgets de destruction massive de l’environnement comme des capacités humaines dans notre quotidien sursaturé d’imageries et d’injonctions « digitales » ? Les « activités numériques » ne colonisent-elles pas une part croissante de nos existences au détriment de nos capacités élémentaires, de notre santé – et de la « vraie vie » ?
Docteur en neurosciences et directeur de recherches à l’INSERM, Michel Desmurget livre la première synthèse de l’ensemble des études scientifiques internationales sur les effets réels de cette submersion des écrans. Dans le prologue de son « livre noir du numérique », il cite les conclusions du journaliste Guillaume Erner dans le Huffington Post : « Livrez vos enfants aux écrans, les fabricants d’écrans continueront de livrer leurs enfants aux livres »...
« Le numérique » comme le plastique, « c’est fantastique »...
L’heure n’est plus aux inconséquents verbiages de fumeux bateleurs d’estrades mediatiques et autres « lobbyistes déloyaux » à la « trompeuse neutralité » dont la seule fonction serait d’anesthésier les masses consuméristes sommées de s’abîmer dans une « orgie d’écrans récréatifs ». Car cette orgie-là « ronge les développements les plus intimes du langage et de la pensée » et génére une « hypotrophie de la matière grise au niveau de l’hippocampe ». De nombreuses études ont associé cette hypotrophie au développement de pathologies neuropsychiatriques lourdes dont la maladie d’Alzheimer, la dépression ou la schizophrénie, pour les plus connues... Sans parler de cette « déréalisation » induite par l’addiction aux jeux video qui pousse à des « passages à l’acte » dévastateurs...
Par ailleurs, l’assignation devant écrans en position assise prolongée engendre « au niveau musculaire des troubles métaboliques importants dont l’accumulation se révèle dangereuse à long terme ». Il y a un lien évident entre surconsommation d’écrans et « affaissement des capacités physiques ». Sans parler des contenus dits « à risques » qui saturent « l’espace numérique » ni du « grand remplacement » de l’humain par les convertisseurs énergétiques - et des flux d’énergie dictant les flux de capitaux fictifs désastibilisant la planète... Déraison et dévastation numériques balaieront-elles le devenir des peuples ?
L’enseignant qualifié, une espèce menacée ?
C’est bien connu : « les écrans nuisent au sommeil » - leur lumière bleue neutralise la sécrétion de mélatonine... Et l’addiction aux écrans nuit gravement à la santé. Car les dérèglements du sommeil engendrent « certaines perturbations biochimiques favorables à l’apparition de démences dégénératives ».
Ainsi, le smartphone est le « graal des suceurs de cerveaux, l’ultime cheval de Troie de notre décérébration ». Car « plus ses applications deviennent « intelligentes, plus elles se substituent à notre réflexion et plus elles nous permettent de devenir idiots »... Plus la consommation de gadgets à écrans augmente, plus les résultats scolaires chutent : « Plus nous abandonnons à la machine une part importante de nos activités cognitives et moins nos neurones trouvent matière à se structurer, s’organiser et se câbler ».
Est-il vraiment pertinent d’abandonner à la médiation numérique l’enseignement des « savoirs non digitaux » (français, mathématiques, histoire, langues étrangères, etc.) ? Une irrepressible technofrénésie érige « le numérique » en « ultime graal éducatif », sommant la pédagogie de « s’adapter » à « l’outil numérique » : ne serait-ce pas plutôt l’inverse qui s’imposerait dans un monde qui tournerait sur son axe ?
Des études montrent « au mieux l’inaptitude et au pire la nocivité pédagogique des politiques de numérisation du système scolaire ». Alors, pourquoi une « telle ardeur » à vouloir digitaliser le dit système scolaire ? Pour Michel Desmurgent, « il n’existe qu’une seule explication rationelle à cette absurdité » et elle est « d’ordre économique : en substituant, de manière plus ou moins partielle, le numérique à l’humain il est possible, à terme, d’envisager une belle réduction des coûts d’enseignement »...
Notamment avec des enseignants peu qualifiés devenus « médiateurs » d’un « savoir » délivré par des logiciels pré-installés... Car enfin, « dans les faits, le numérique est avant tout un moyen de résorber l’ampleur des dépenses éducatives » - et il « projete l’enseignant qualifié sur la longue liste des espèces menacées »... Tout ça parce qu’un bon professeur « coûte trop cher » ? Vraiment, peut-on mourir de... « l’économie numérique » ?
Le coût caché du numérique
La « révolution numérique » a un coût qu’il devient impossible de dissimuler. Du seul point de vue environnemental, le surcoût de notre surinvestissement dans la technosphère et l’hypercomplexité est si astronomique qu’il devrait mobiliser illico les « alarmistes climatiques » et autres marcheurs "pour le climat" : le péril écologique est d’abord numérique...
Mais le devenir des digital natives n’est pas intégré par la déraison chiffrée qui mène notre « civilisation » à sa perte. Cette génération d’ores et déjà sacrifiée par la submersion « numérique » pourrait-il miser encore sur une chance de s’élever à son « humanité » ? "Un homme, ça s'empêche" disait Camus - ça devrait pouvoir s'empêcher de succomber à cette mortifère addiction pour ces gadgets et ces compulsives "connexions" qui font fondre les banquises, nous dit-on par ailleurs... L’usage immodéré des « technologies numériques » dégrade considérablement notre capacité d’attention – réduite désormais,tout comme notre mémoire, à celle...d’un poisson rouge tournant en rond dans son aquarium.
S’agissant de la conduite automobile, « l’incroyable capacité des notifications et usages mobiles à kidnapper l’attention » des « ordinateurs de bord » comme des smartphone et autres gadgets à écrans augmente « massivement le risque d’accident »...
Une humanité annoncée « augmentée » serait-elle en train de se réduire à... celle des machines qu’elle obstine à fabriquer en détruisant sa planète ? Notre « dévorante frénésie numérique » nous précipite bel et bien dans le mur. Celui du réel qui ne cède pas, lui, aux dénis ou aux injonctions de ce tsunami « numérique »... Alors que notre demeure terrestre brûle et que la vie disparaît à bas bruit, pouvons-nous consentir béatement à notre « dématérialisation » et à notre volatilisation dans « le virtuel » - après celle de notre monnaie de tous les jours ? Quand bien même la seule vérité qui nous constituerait est celle de notre fin promise, pouvons-nous consentir à mourir avant terme et avant tout accomplissement au seul « profit » de « l’industrie numérique » ? Si "l'enfant est le père de l'homme", ses parents ne devraient plus lui laisser jouer son avenir pour si peu...
Michel Desmurget, La Fabrique du crétin digital – Les dangers des écrans pour nos enfants, Seuil, 430 p., 20 €
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