Le piège de l’étalement urbain
Plusieurs géographes ont soulignés une forte corrélation entre les votes d'extrémes droite et le lieu d'habitation. Les habitants des zones périurbaines lointaines seraient ainsi beaucoup plus tentés par l'extrémisme. Bien avant ces élections, le think tank Terra Nova (proche du PS) signalait lui aussi que les situations de précarité semblaient de plus en plus corrélées au lieu d'habitation. Retour sur des années d'erreurs urbanistiques.
Le constat
Avoir sa maison et son jardin pour soi : Le rêve de beaucoup de français des classes moyennes. Un rêve qui s'est petit transformé en cauchemar pour des millions de français des classes populaires.
L'histoire commence dans les années 90. L'exode rural a fait baisser fortement les prix des terrains en zone rural. Inversement, les villes sont de plus en plus chères (et ceci est d'autant plus vrai qu'elles sont attractives). Et les gens des classes populaires ont donc souvent le choix entre habiter en appartement en zone parfois un peu sensible ou fuir pour le bon air de la campagne, avoir sa maison et son jardin. Dans les années 90, le pétrole ne coute rien et cela parait pour beaucoup un excellent choix. Faire 80 kilométres par jour, avoir sa maison et profiter de la vie. Beaucoup sont de plus heureux de quitter des banlieues qui au fil des années se sont dégradées. Et cerise sur le gateau, ils peuvent accéder à la propriété. Une couronne située entre 30 et 60 kilométres des grands centres urbains va se repeupler. Mais ce fut un funeste et mauvais calcul.
Un mauvais calcul car d'une part le prix des terrains en ville et à la campagne ne vont pas du tout augmenter au même rythme. En clair, au bout de quelques années, faire le chemin inverse devient très difficile (à moins de redevenir locataire ce qui serait vu comme une régression sociale). Un mauvais calcul car dans le même temps, l'état va se désengager progressivement des zones rurales et semi-rurales. Le maintient des services publics dans des zones peu denses coute très cher par habitant. Et ces zones vues comme étrant en voie de dépeuplement sont sacrifiées en premier.
Pour les entreprises, ces zones ne font pas vraiment réver les cadres. Et à une époque ou l'économie est basée sur la connaissance, peu de nouveaux emplois vont s'y installer. En clair, soit les habitants de ces zones "commutent" et vont travailler en ville soit ils occupent encore des emplois industriels locaux. Or, en 20 ans, ces zones vont se désindustrialiser comme le reste de la France. Le chomage et la précarité vont y exploser.
Ajoutons à cela le prix des carburants. Très bas dans les années 90, il augmente de façon exponentielle dans les années 2000. Le piége vient de se refermer. Commuter devient très cher. Clairement l'appartement en ville eut été un meilleur choix pour des gens à petit budget. Mais la vente de la maison ne permettrait plus de se loger en ville. Revenir en ville signifierait redevenir locataire et aller vivre dans une de ces zones que TF1 présente comme une zone de non droit remplis de délinquants d'origine étrangére. En clair, ce que présente TF1 devient petit à petit une peur très réelle. Celle d'être déclassé et de devoir aller vivre dans ces quartiers de non droit. Le Front National dont les scores en ville sont faibles peut jouer à fond sur la peur. On a en balance d'un coté un rêve chérement acquis et de l'autre le cauchemar du déclassement.
Le déclassement n'est pas qu'une peur dans ces endroits, il est concrêt. La hausse des prix des carburants grêve le budget des ménages de parfois plusieurs centaines d'euros. Le salaire qui permettait de vivre confortablement devient largement insuffisant. Les services publics ferment ce qui oblige à rouler toujours plus. Quand aux commerces locaux, ils ferment aussi, faute de capitaux dans ces zones. Quand un commercant par en retraite, personne ne veut payer pour reprendre son fonds de commerce. Ceux qui en auraient les moyens ne vivent plus la.
A l'inverse, la situation dans certaines banlieues s'améliore. L'état y a investit de l'argent, conscient du coté "explosif" de ces poudriéres urbaines. Et puis, surtout avec le temps passent les générations. On remarquera ainsi que près de Paris, les quartiers les plus célébres (Saint Denis, Aubervilliers) ont été relativement calmes pendant les émeutes. Les quartiers qui se sont soulevés sont des quartiers récents. Ils sont loin du centre. A l'inverse beaucoup de quartiers anciens commencent à se structurer via des associations de quartier. Une partie de leur jeunesse y a pas trop mal réussi et parfois elle habite toujours le quartier. L'ambiance dans des villes comme Ivry sur Seine ou Vitry a ainsi beaucoup changée. A la décharge de l'état, y investir est plus simple car la densité importante fais que pour un euro investi beaucoup plus de monde en profite. Ces quartiers étant toujours à majorité étrangére, les gens ont l'impression que l'état investit pour ces "étrangers" que TF1 leur présente comme étant tous des délinquants. Souvent ces classes populaires ont cotoyées ces étrangers dans les années 80 et 90. Ils vivaient dans les mêmes quartiers en ville. Ils ont l'impression d'avoir travaillés pour se payer ce qu'ils ont et ont l'impression d'une injustice quand ils voient que la situation de leurs anciens voisins s'est plus améliorée que la leur.
Cette situation est purement explosive car la situation dans ces zones périurbaines lointaine a très peu de chances de s'améliorer. Peu attractives pour des gens bien formés, elles n'attirent plus les entreprises sauf subventions exceptionelles. Et lorsqu'elle les attirent, celles ci peinent à recruter des cadres de haut niveau. L'indispensable désendettement de l'état fait aussi qu'il est plus rentable de se désinvestir de ces zones que d'autres. Le coût par habitant y est en effet très élevé. Entre investir dans une LGV qui transportera des millions de personnes et investir dans le rail des zones périrubaines, le choix politique est vite fait. En clair, le ressentiement dans ces zones va aller croissant et cela est assez dangereux pour la cohésion nationale.
Quelles solutions ?
Comme indiqué plus haut, redynamiser ces zones est extrémement difficile. Faute de densité suffisante, la majorité des villages sont amenés à se dégrader rapidement. Y installer des services publics ne réglera rien et sera très couteux. Construire des logements sociaux en ville pour rapatrier cette population est finalement bien plus économique.
La seule solution est donc de parvenir à ramener une partie de cette population à une distance raisonable des villes. Cela implique de densifier leur premiére couronne. Traduire en clair : transformer des zones pavillonaires en immeubles dans la couronne proche afin de loger plus de monde. Afin que cela puisse fonctionner, une partie importante de ces nouvelles constructions doivent être de type social. Afin d'éviter le délcassement on peut imaginer une "accession sociale à la propriété". Le deal étant, troquez votre maison à la campagne contre un appartement en ville. Les nouveaux quartiers devront être correctement reliés aux transports en communs. Les maisons récupérées par ce biais devront être rendues inhabitables afin que le phénoméne de la périrubanisation ne soit pas perpétué. Dans l'idéal, des terres agricoles prendront leur place.
Cette solution peut paraitre très onéreuse, mais elle ne l'est pas tant que cela :
- La diminution de la consommation de pétrole va améliorer la balance commerciale. Au final, cet argent pourra alimenter la consommation.
- Certains services publics pourront progressivement être retirés des zones en question, dégageant ainsi des économies pour l'état.
- Le chomage et la précarité pourront diminuer ce qui est bon pour les comptes sociaux.
- Si le déménagement sera potentiellement difficile, un meilleur bien être social s'ensuivra rapidement.
L'alternative probable qui sera choisie par le gouvernement sera de densifier sans offrir de programme de relogement pour les gens de la périurbanité lointaine. En clair, cette nouvelle offre de logement sera utilisée en priorité par les jeunes urbains. C'est une erreur car si cela évitera des départs, cela va renforcer les inégalités géographiques et pourrait conduire à des situations difficiles à gérer à l'avenir. Ce qui s'est passé dans nos banlieues pourrait demain se passer dans nos campagnes. Une telle situation serait extrémement difficile à gérer et il y a urgence à réfléchir à comment reconcentrer la population autour des centres urbains.
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