Les associations de victimes : de lieux communs en dérives
Sans contester la validité du combat des associations dans leur postulat de base, il est néanmoins intéressant d’analyser les mécanismes de ces dernières pour légitimer une cause qui s’apparente le plus souvent à une action. Au-delà de cette confusion grandissante, force est de constater que la présence de plus en plus accrue des associations dans le monde judiciaire favorise l’expression victimaire, non au bénéfice des victimes, encore moins de la société, mais de l’association elle-même. Les fonctions des associations ne sont pas simplement l’accueil, l’écoute, l’information ; leur force est d’avoir fait passer l’état de victime de l’ignorance à la reconnaissance. Les médias n’y sont pas étrangers, le culte de l’opprimé fait recette. Sentimentalisme, pessimisme, stéréotypes, réinvention du droit, les associations ont en leur possession une kyrielle d’armes pour faire pression, pour fausser leurs revendications, s’immiscer dans les débats idéologiques. Les exemples ne manquent pas. A travers certains manifestes, certains de leurs communiqués de presse, en suivant l’actualité, il est possible de montrer que derrière un bouclier de bons sentiments, les dérives de ses organismes prennent le pas au détriment de la victime.
Remarque préliminaire :
La France regorge d’associations en tous genres, certaines au nom ronflant. Chacun devient une exception où le code devrait s’adapter, les associations n’échappent pas donc à la règle. La Belgique en compte aussi, mais beaucoup moins. De part la taille du pays bien sûr mais aussi par un manque de visibilité. C’est ainsi que les exemples se borneront à une majorité d’associations françaises, tout en montrant celles sur le territoire belge quand matière il y a.
Les associations de victimes existent réellement depuis 1983. Chacune a sa spécificité. Les médias n’ont de cesse de les mettre en scène à chaque débat, chaque affaire judiciaire. Certains journalistes n’hésitent pas à faire passer leur parole comme une sorte de bonne nouvelle prêchée à l’ignorant. Le subjectif devient objectif. La voix de l’opprimé semble être la seule qui vaille. Et pourtant, quand on se penche sur de grandes associations, on peut mesurer combien cette « objectivité » peut être dangereuse si on y porte une adulation aveugle. Certaines « réinventeraient » bien le droit. L’APEV – l’aide aux parents d’enfants victimes – se fait le chantre d’une justice rendue à travers le prisme de la victime. Ainsi, cela va du « détail » de la désignation des dossiers par le nom des victimes (ce qui pose tout le problème de la chronologie, on est victime à l’issue du procès, pas avant) jusqu’à la mesure absurde de créer une partie civile secondaire destinée seulement aux associations, « certains droits devant être réservés aux seules victimes ».Vu les demandes – propositions pour reprendre leur terme – on ne doit guère s’étonner de lire cela. Les victimes ne peuvent pourtant devenir juges et parties. D’ailleurs, l’association pose directement la question : pourquoi la partie civile n’a-t-elle pas les mêmes droits que la défense ? Il faut à leur sens, un lieu de repos pour les victimes, la partie civile doit pouvoir réfuter les jurés, il ne faut plus la présence d’un avocat en garde à vue pour les auteurs de viols, le délai d’instruction doit être diminué car cela « profite bien entendu aux agresseurs ». Enfin, au centre des débats, la modification du délai de prescription : 30 ans pour les crimes, 20 ans pour les délits.
On peut se demander si cette exigence est vraiment dans l’intérêt des présumées victimes si longtemps après les faits, alors que les preuves sont quasiment impossibles à apporter. L’AIVI – l’association internationale des victimes de l’inceste – est encore plus radicale puisqu’elle demande dans son manifeste l’imprescriptibilité des crimes et délits sexuels sur enfants plus de 40 ans plus tard ! L’ABEVA – l’association belge des victimes de l’amiante – demande aussi la suppression de « toute notion de délai de prescription entre l’exposition à l’amiante et la déclaration de la maladie », ce qui semble ici tout à fait pertinent car la différence réside dans le fait que la maladie peut apparaître quelques 50 ans après l’exposition à l’amiante. Tout est donc question de mesure entre ces différentes revendications.
C’est là que le bât blesse. En se nourrissant des injustices passées, les associations vont dans le sens d’une répression accrue. Reprenons l’AIVI car son manifeste est l’incarnation de tout un fonctionnement. A l’entendre, les agresseurs emprisonnés « bénéficient de plus de droits que les victimes ». En effet, il faudrait supprimer la présomption d’innocence ainsi que les soins gratuits. Le plus dangereux est quand tout ceci s’accompagne d’un discours culpabilisateur, mensonger, des plus subjectifs comme dit plus haut et pessimiste. Les stéréotypes pleuvent à chaque page : « les ¾ des prostitués sont des victimes d’inceste », « 90% des victimes sont exposées à un potentiel suicide » ; en plus de chiffres invérifiables dont l’association avoue elle-même qu’ils sont flous, les photos provocatrices invitant à la compassion s’invitent feuilles après feuilles. C’est le triomphe de la désinformation, la dictature de la surinterprétation, du pessimisme et de la peur. Bien sûr, les associations ne dénonceront pas ces ravages liés à la surestimation. Il n’est pas rare de voir des innocents emprisonnés par les paroles sacralisées de l’enfant ou plus généralement de la pseudo-victime.
Si on peut logiquement parler au nom de la victime par définition, réfléchir de manière intelligente et rationnelle semble la seule issue de secours afin de conférer au statut noble des associations quand on voit le discours tenu du début à la fin à travers le prisme de la victime. C’est le procès pour la victime et non de l’accusé.
Malheur à ceux qui oseront défier ou critiquer les associations, on ne leur veut que du mal…elles sont dès à présent doublement victimes : en témoigne le tollé généré par la condamnation du Dal – Association Droit au logement - pour avoir installé illégalement des tentes sur les trottoirs pour sans-abris. La justification de l’incompréhension de ce jugement tend en un seul mot, fourre-tout, dont on sait la subjectivité qui l’entoure : la morale. Le communiqué du 4 mars 2009 explique que le « Dal a toujours été soutenue par des personnalités morales et artistiques irréprochables. Cette décision a été rendue pour décourager les associations et les sans-logis qui relèvent la tête ». Théorie du complot, manichéisme primaire : la bonne association, la méchante société. Classique. Sentimentalisme, interprétation littérale de mauvaise foi du jugement – Le dal a été condamné en vertu de l’article R644 du code pénal « Le fait d’embarrasser la voie publique en y déposant ou y laissant sans nécessité des matériaux ou objets quelconques qui entravent ou diminuent la liberté ou la sûreté de passage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe. » où « objets quelconques » est assimilé aux sans-abris - tout y passe quand l’engagement parait être de si bonne intention et « injugeable ».
L ère de la banalisation victimaire a trouvé son porte-parole fétiche : le milieu associatif. S’il n’est pas difficile à travers ces derniers exemples de montrer le substituant tenté à la justice dans le rôle des associations, il est en revanche plus malaisé d’en tirer les conséquences pour la victime elle-même. La victime a tout à gagner dans un soutien associatif sauf quand celui-ci devient le porte-parole d’une idéologie, d’un quasi « pouvoir » de pensée où toute opinion dissidente devient impossible et fausse le débat dans l’opinion publique. La victime est choyée, se complait, ne se sent pas seule, mais n’avance pas et ne sort pas de cette posture victimaire. Au contraire, et c’est là à mon sens une très grande dérive, la victime s’érige en censeur, légitimée par l’action de l’association et le mal vécu personnel. Elle n’a plus son libre-arbitre et devient elle-même un fragment de l’idéologie mise en place. Ainsi le mythe égalitaire refait surface : là où l’association combat louablement une inégalité, on passe à une inégalité inverse – nivelant par le bas – au nom du principe démocratique mais dévoyé de l’égalité. C’est de nouveau ce prisme de la victime : plus je suis victime, plus la surinterprétation doit devenir objective, plus la répression doit être forte. Il n’est pas étonnant de voir certaines associations féministes – minoritaires - revendiquer clairement plus de droits pour la femme au point d’ériger l’homme en « grand-méchant loup » et de secrètement désirer féminiser la société. Un point paradoxal à souligner est la présence de l’Etat aux côtés des associations pour défendre l’intérêt général. C’est une dérive au principe qu’elles ne peuvent être juges et parties. L’association représente un intérêt particulier, là où l’Etat représente l’intérêt général, et où le ministère public représente la société. C’est donner aux associations l’illusion de la satisfaction par un gouvernement qui se défausse sur elles pour justifier une politique répressive. Les exemples aux Etats-Unis ne manquent pas, les mouvements victimaires étant récupérés par les politiciens les plus conservateurs.
La religion des persécutés est aimée par les médias, le commun des mortels en demande. Mais les associations touchent à des problèmes de société complexes. On fait de l’exception une généralité où chacun est différent. La Halde – Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité - l’a bien compris : les minorités ne doivent plus se définir comme telles, quitte à réinventer la société. Faisons fi des différences pour mieux en avoir droit. Ainsi, dans un rapport intitulé "La place des stéréotypes et des discriminations dans les manuels scolaires", l’organisme n’hésite pas à préconiser la suppression de « Mignonne allons voir si la rose » de Ronsard dans le cursus éducatif car ce texte véhicule une image somme toute très négative des seniors. Il reproche aussi aux livres scolaires de ne pas assez valoriser l’islam, car « elle est montrée comme une religion étrangère à la France ». On croit rêver. C’est le parfait exemple de la machine de guerre idéologique qui nivelle par le bas au nom de l’égalité.
Plus généralement, ce type d’agissement des associations nuit aux victimes du fait de cette « humanité » sans fin, de bons sentiments. La démocratie se résume de plus en plus à la permission de faire ce que l’on veut : le droit comme protection des faibles disparait derrière la promotion des associations habiles et des causes invraisemblables. En effet, ces dernières agissent parfois sans même l’autorisation des personnes considérées comme « victimes » : le Mrap - Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples - n’a pas hésité en 2005 à prendre position de manière positive sur le voile sans l’accord des musulmans, tout comme le Mrax en Belgique - Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie - a intenté une action en justice pour que le voile soit porté à l’école sans consultation des musulmans, et se faisant par la même occasion le rempart de la morale. Tout s’entremêle.
Il ne faudrait pas faire de ces cas une généralisation hâtive. Bien des associations sont éminemment respectables. Cependant, la tentation est grande. La médiatisation à outrance ouvre une porte facile pour faire entendre sa voix, quitte à rayer le disque du discours initial. On l’a remarqué, le rôle des associations atteint parfois des conséquences dangereuses tant pour les victimes en premier lieu que pour la société. Là où l’intention de bonne foi ne peut être remise en cause, les dérives sont hélas légions. Le prisme de l’opprimé demande nuance. Tout ce qui aura pour but d’inscrire dans la réalité les associations recueillant les personnes traumatisées ne peut que produire un bon résultat. Ainsi évolueront les mentalités vers moins de manichéisme et plus d’intelligence. Tous ont à y gagner.
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