Les enfants de Charlie
Depuis le 7 janvier 2015, les manifs se suivent et se ressemblent, dont celle du 10 janvier, dates qui resteront dans les mémoires probablement aussi longtemps, sinon plus, que celle du 11 septembre, et il est intéressant d’analyser les conséquences de cette cruelle journée, suivi par le sursaut citoyen que l’on sait…
Au-delà du journal lui-même, pour lequel 7 millions d’exemplaires ont été vendus, ou sont en passe de l’être, du prix Daniel Pearl 2015 du courage en politique qui lui a été décerné, (lien) du million d’euros provisoirement récolté pour l’instant pour aider cet hebdo, et du débat discutable entre ceux « qui sont Charlie », et les autres, attachons-nous à nous demander comment on a pu en arriver là, et surtout à ce qui en a suivi.
Il faut d’abord rappeler que le créateur discret du « je suis Charlie » a un nom, c’est un journaliste du magazine Stylist, appelé Joachim Rancin, et qui a été le premier à tweeter le message qui a fait aujourd’hui le tour de la planète, sans vouloir en tirer le moindre bénéfice. lien
Le tour du monde quasi unanime de la presse est aussi à noter, puisque du New York Times, titrant : « sans humour, nous sommes tous morts », à l’Orient le Jour écrivant : « la tragédie de Charlie Hebdo a fait brusquement sortir du bosquet une palanquée d’ahuris patibulaires qui vidaient leur joie et leurs chargeurs à l’air libre », en passant par le quotidien japonais Asahi Shimbum affichant en une : « cet acte terroriste nous laisse sans voix », ou par le chinois Quotidien du Peuple écrivant : « cette attaque barbare est un signal d’alarme pour le monde entier » ou encore l’australien The Advertiseur « nous ne pouvons avoir peur en silence »…malgré quelques couacs comme celui de l’égyptien Al Shoruk qui affirmait : « insulter le Prophète, c’est attiser le feu », le ton général était à la logique réprobation.
D’ailleurs le Hamas publiait un communiqué clair : « un différent d’opinion ne peut justifier un meurtre », confirmé par le Hezbollah du Sud Liban qui allait plus loin en écrivant : « à travers leur actes immondes, violents et inhumains, ces groupes ont porté atteinte au prophète et aux musulmans plus que ne l’ont fait leurs ennemis ».
On peut noter au passage quelques initiatives originales, et généreuses, comme celle prise par Google qui a donné 300 000 dollars à Charlie, ou celle de la boulangerie Mathieu de Hem, dans le Nord, (ainsi qu’une autre à Lille) qui a lancé le « pain Charlie », mix de 400 grammes de seigle et de campagne, et dont la recette ira aux victimes du drame. (lien)
D’autres hommages ont été discutables comme celui de Wall Street, affichant sur le panneau dédié au Nasdaq « je suis Charlie » en lettres géantes, ce qui pourrait faire retourner dans sa tombe l’Oncle Bernard.
À noter qu’il est probable que, depuis le janvier 2015, les nouveaux nés seront de plus en plus nombreux à porter le prénom Charlie. lien
Plus discutables sont les vaines tentatives d’une centaine de personnes tentant de confisquer le logo « je suis Charlie », ou celle du FN, profitant de l’émoi populaire en demandant le rétablissement de la peine de mort, quand Jean Marie Le Pen, jamais à l’abri d’une provocation déclarait : « je ne suis pas Charlie du tout, je suis Charles Martel, si vous voyez ce que je veux dire ! ». lien
Par contre il est intéressant de relever le pavé dans la mare lancé par le Canard Enchainé dénonçant les pressions policières qui, par le biais du syndicat « alliance police nationale » ont tout fait pour rendre obsolète la protection dont profitait les locaux de Charlie Hebdo, et ses occupants.
Le syndicat avait exigé en 2013 l’arrêt de la surveillance du journal, qualifiant cette protection « d’inadmissible et de luxe », en publiant le 4 avril 2013 un tract exigeant l’arrêt immédiat de la mission « Charlie Hebdo », suite à une audience auprès du directeur de la DOPC.
Le préfet n’avait pas répondu favorablement à la demande, mais depuis quelques mois, le dispositif s’était assoupli, comme ont pu le remarquer les frères Kouachi, puisque les 2 agents de protection laissés sur place n’étaient manifestement pas équipés pour résister à l’attaque que l’on sait.
Contactés par Rue89, Pascal Disant, membre de ce syndicat policier à répondu qu’il n’y avait en la matière « aucune erreur d’appréciation (…) et que si 3,4 ou 5 policiers avaient été postés devant les locaux, il y aurait eu simplement plus de policiers tués »…
Ajoutons pour la bonne bouche que ce Pascal Disant avait assuré à tort que la complice d’Amedy Coulibaly était présente parmi les otages, et avait pu prendre la fuite, alors que l’on sait maintenant qu’elle n’était pas sur place à ce moment et qu’elle était déjà hors de portée des éventuelles poursuites. lien
Toujours grâce au Canard Enchainé, on a appris que le 30 décembre, procès verbal à l’appui, Amédy Coulibaly, en compagnie d’Hayat Boumeddiene, en fuite aujourd’hui, avait été contrôlé par hasard sans être autrement inquiété alors qu’ils étaient fichés à l’antiterrorisme…lien
Les gendarmes qui avaient contrôlé les 2 terroristes avaient fait un rapport dans ce sens, rapport qui n’a pas eu de suite, mais la hiérarchie n’a pas été pour autant inquiétée…lien
À Davos, actuellement, il y a 3000 policiers suisses pour protéger les 2500 nantis de ce monde…gageons qu’il ne leur arrivera rien. lien
Profitons-en pour rappeler que c’est la 1ère fois qu’un président socialiste est présent dans ce forum…étonnant pour un homme qui affirmait que son ennemi était le monde de la finance.
C’est peut être l’occasion de rappeler que les agressions de terroristes contre la presse ne sont pas une nouveauté : en octobre/novembre 2004 contre l’Humanité, en juillet 1988 à Globe, laquelle a fait un blessé, en novembre 2013 contre Libération (avec un blessé en prime) et BFM, et bien sur celle de Charlie Hebdo en novembre 2011….
Revenons aux « jours d’après »…et regardons de plus près les décisions prises en haut lieu, comme par exemple la mobilisation de 10 000 militaires dans les rues de nos villes pour rassurer les populations.
Il est admis que seulement 3000 terroristes perdus dans les limbes d’un fanatisme aveugle seraient prêts à faire couler le sang (lien)…la réponse de ce déploiement militaire est-elle adaptée ? N’est-ce pas utiliser un éléphant pour écraser une puce, sans pour autant en assurer la réussite ?
Autre décision, faire entrer l’apprentissage de la citoyenneté dans les écoles…qui pourrait contester pareille décision ?...Mais est-ce vraiment une mesure prioritaire ?
Bien évidemment, l’école ne doit pas être seulement le lieu ou l’on s’instruit, mais aussi celui ou l’on apprend la citoyenneté, la solidarité, les valeurs de notre république laïque… (lien) mais est-ce que ce sera de nature à changer la donne dans les meilleurs délais ?
Était-ce prémonitoire ce projet porté par Najat Vallaud Belkacem qui, fin novembre 2014, évoquait la lutte contre les inégalités scolaires ? Projet qui en suivait d’autres, mais qui n’ont jamais étés vraiment appliqués. lien
Quelles décisions sérieuses ont été prises pour lutter contre la discrimination qui frappe les jeunes, et les moins jeunes, de nos banlieues, où l’on sait que ces derniers, harcelés par les forces de police, pour délit de facies, par des contrôles incessants, alors qu’ils ont, pour beaucoup, écourtés leurs études, laissés à eux-mêmes, sans espoir d’un emploi pérenne et plongeant pour nombre d’entre eux dans la délinquance, le trafic de drogue, voire le trafic d’arme ?
Lorsqu’il était ministre de l’intérieur, en 2012, Manuel Valls avait timidement tenté de changer la donne, souhaitant par exemple que les policiers utilisent le vouvoiement lors de contrôles d’identité…les mois ont passés sans beaucoup de résultats probants. lien
On sait que pour beaucoup ce rejet qu’ils ont subis parce qu’ils ont eu la « chance » d’avoir des parents issus de l’immigration, a poussé certains à tomber dans le fanatisme religieux, avec les conséquences que l’on sait.
N’y a-t-il pas d’autres mesures à prendre, en punissant par exemple ceux qui, dans les forces de police, pratiquent des contrôles journaliers et humiliants ? Punir aussi les chefs d’entreprises qui à la seule lecture d’un prénom à consonance étrangère se refuseront à engager le candidat à l’embauche, sans même avoir étudié ses compétences ?
En d’autres mots, le gouvernement a-t-il pris des décisions courageuses et efficaces aptes à faire que « ça ne puisse plus arriver » ?
Ce sont les questions que pose avec beaucoup de pertinence le sociologue Laurent Mucchieli, se demandant si l’Etat nous protège, (ou pas) des menaces terroristes, sur la façon dont les médias nous informent (ou pas) de la réalité, et sur le conflit latent que la société française entretient avec (ce qu’elle appelle) ses « minorités » avec le processus de ghettoïsation, que nous connaissons. lien.
Comme dit mon vieil ami africain, lequel l’avait emprunté à l’Abbé Pierre : « l’intégrisme est un refuge pour la misère, il offre un sursaut d’espérance à ceux qui n’ont rien. Que leur mal disparaisse et l’intégrisme perdra ses troupes »
L’image illustrant l’article vient de madamereveparis
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Charlie Olivier Cabanel
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