Selon la fondation « Abbé Pierre », au 1er février 2010, 100 000 personnes n’ont pas de domicile, autant vivent en camping ou dans un mobil home toute l’année et plus de 640 000 vivent dans des meublés. Deux millions de personnes vivent dans des logements inconfortables ou surpeuplés.
Les misérables de France
Selon la Fondation "Abbé Pierre", au 1er février 2010, 100 000 personnes n’ont pas de domicile, autant vivent en camping ou dans un mobil home toute l’année et plus de 640 000 vivent dans des meublés. Deux millions de personnes vivent dans des logements inconfortables ou surpeuplés.
Je songe également aux miséreux qui de plus en plus longent nos rues, errent à travers la capitale et ses environs toute la journée dans le but de se réchauffer lorsque les températures atteignent les limites de l’insupportable en hiver. Pour ceux qui vivent dans les grandes agglomérations au milieu de la modernité où même les refuges de fortune restent inaccessibles, s’engouffrer dans les couloirs du métro pour y passer la journée est on peut le dire presqu’une bénédiction. Certaines nuits de grands froids, les plus débrouillards à la recherche de chaleur, sont quelquefois autorisés à franchir les rares stations souterraines des transports parisiens pour y dormir : enfin c’est beaucoup dire ! D’autres un peu moins chanceux se réfugient dans des abris improvisés ou s’entassent sous les bâches qui font office de tentes, recroquevillés dans des cartons. Nous avons même pu constater récemment qu’ils seraient de plus en plus nombreux à prendre le large, loin des villes pour s’aménager de vrais petits campements dans les forêts avoisinant l’Ile-de-France pour se constituer en colonies marginales, sans doute une façon de refuser la fatalité de l’isolement et les multiples invitations au misérabilisme humanitaire. Ils sont pauvres certes, mais ils veulent rester dignes et c’est au moins de notre part le droit le plus légitime que l’on devrait respecter.
Les exclus du partage sont réveillés le plus souvent au petit matin à cause de leur difficulté à s’installer dans un sommeil profond et paisible dans de telles conditions. Trop de dérangement, trop de vis-à-vis, trop de menaces, trop de honte, trop de mépris, trop de douleurs, trop de souffrance. Le regard des autres, ceux qui n’ont rien à se reprocher ; au début c’est sans doute difficile mais on finit sûrement par s’y accommoder.
Il faut rappeler qu’en 2006, 100 000 SDF à Paris avaient une espérance de vie de 45 ans. En 2005 toujours, 8 millions de personnes en situation de pauvreté monétaire dans notre pays. Le rapport du 14 mars 2010 nous montre que 40 à 45% du salaire part dans les charges pour les travailleurs pauvres. 500 000 ménages connaissaient des impayés de loyers et ceci bien avant la crise. La situation des impayés à l’heure actuelle explose. Des milliers de logements restent insalubres en ville comme à la campagne. La cherté des loyers, le manque de logements sociaux génèrent des situations insupportables où l’on assiste à l’entassement des familles dans des logements trop petits et vétustes. Les parents sont en galère (chômage), les enfants sont en galère (chômage). De plus en plus parents et enfants voire grands parents habitent le même logement à la charge bien trop souvent des grands-parents. 3 millions et demi de mal logés, surpeuplement, précarité, voilà le malaise de la société. C’est une description de la situation qui n’est pas exhaustive puisqu’il reste les bidonvilles qui surgissent un peu partout en Ile-de-France où des familles entières d’exclus, de pauvres gens, étrangers ou non ne se sont pas résolus à vivre à même les trottoirs et s’abritent comme ils peuvent en se construisant de misérables cabanons un peu comme des cabanes de jardins sous les ponts, au bord des autoroutes ou des périphériques justement à la périphérie des grandes villes et des banlieues parisiennes.
Est-ce que tout est normal ? Quand tirerons-nous la sonnette d’alarme avant de basculer au point de non retour ?
J’avoue avoir énormément de respect pour tous ces gens qui visiblement n’ont pas choisis ce mode de vie décadent et qui sont indubitablement les victimes d’un système qui s’est affolé à un moment donné en écartant les plus faibles. Sont-ils sûrement aussi les victimes mal préparées à la société de consommation qui offre un plateau bien garni de tentations sans qu’aucun garde-fou ne soit installé pour limiter les dangers de la consommation excessive. Aujourd’hui les raisons sont multiples pour fabriquer à vitesse grand V de la misère en cascade. Il semble même que l’on soit entré dans un cercle infernal avec d’un côté l’extrême prudence des consommateurs aux lendemains incertains et de l’autre les entreprises qui licencient leurs employés consommateurs pour cause d’insuffisance de commandes. Qu’on se le dise ! Cela ressemble fort bien à une spirale de la décadence qui finira par entrainer même les plus forts.
Victor Hugo si il était encore vivant pourrait écrire une nouvelle version des "Misérables", actualisé sur les ruines du vingt et unième siècle.
Quelle image de leur humanité offrent les philanthropes humanistes parcourant le monde avec beaucoup d’énergie à la recherche de la pauvreté ailleurs très loin de notre magnificence ? Ici même juste au pas de nos portes. Les pauvres sont en train de mendier pour gagner leur pain, d’autres vendent quelques petits objets pour tenter de se faire un insignifiant pécule, j’ai même vu des malheureux rendre service pour rien. Ils ne peuvent pas tous devenir des troubadours de carrière du métro parisien. Il n’y aura jamais autant de place pour toute cette misère en sans cesse augmentation. c’est vrai nous ne pouvons évidemment pas sous-évaluer le travail de certains particuliers qui s’investissent pour tenter d’apporter un minimum de soulagement aux sans abris : couverture, nourriture, compagnie et hygiène. Leurs moyens sont bien maigres par rapport à l’immensité de la tâche, mais ils sont toujours là avec un courage au-delà des standards. Pendant ce temps, on ne peut s’empêcher de penser à ces sommes pharaoniques dépensées uniquement pour le plaisir des plus riches ou la sécurité excessive et coûteuse au service de la vanité et de l’omnipotence orgueilleuse.
Il m’arrive d’aller à la rencontre de ces pauvres gens bien sympathiques. Je fais toujours de mon mieux pour ne pas me présenter les mains vides. J’ai exactement la même attitude lorsque je suis invitée dans la bonne société dit-on fréquemment. J’ai rencontré un jour un couple au bord du canal Saint-Martin, ils s’aimaient, ils avaient une tente et dormaient depuis six mois dehors, six mois de rue et pourtant si plein de vie, lui avait tout juste vingt ans et elle en avait dix neuf. Je leur avais apporté quelque vaisselle et du savon car l’hygiène était ce à quoi ils se rattachaient tous deux. J’ai bavardé un peu avec eux et le jeune homme m’a posé une question que je n’oublierai jamais : il m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit ceci : "Je me sens vieux, fatigué et sale, je n’ai pas de miroir, je dois être laid, est-ce que j’ai l’air vieux madame, est-ce que j’ai des rides ?". Bien évidemment que oui, mais je n’ai pas osé lui dire, étant donné son âge je ne voyais rien de semblable autour de moi à l’ordinaire. Je suis revenue deux jours après et je lui ai apporté un miroir et des affaires de toilette. Après une bonne toilette, ils étaient contents et rassurés de voir finalement qu’ils n’avaient pas tant vieilli que ça. C’est sûr, je me suis laissé dire que dans la rue, on vieillit de dix ans chaque année. L’année suivante, j’ai appris que ce jeune homme n’a pas eu le temps de vieillir de dix ans, il est mort de froid, une pneumonie l’a emporté au courant de l’hiver, il n’avait pas de projet à long terme dira sa jeune compagne. j’en pleure encore souvent.
Je suis certaine qu’avec un peu de volonté collective nous pouvons arrêter ce massacre social...
Danièle LONY