Les responsables de la crise ne seront jamais inquiétés
Les sociétés occidentales sont en crise. Pour les uns, il s’agit de crise économique, comparable dans sa puissance à celle de 1929. Mais pour d’autres analystes sans doute plus avisés, la crise est surtout sociale et morale. Les élites intéressées, qu’il s’agisse de Jacques Attali ou de Nicolas Sarkozy, n’hésitent pas à évoquer une crise d’une « violence inouïe », la pire depuis 1945 ou même depuis un siècle. Une crise, c’est des hommes, des industries et des flux monétaires. La crise de 29, même si elle a été accompagnée d’une crise morale, fut causée par un système économique instable. La crise de 2008 a été causée par des instabilités financières mais au vu de la puissante interconnexion des structures, la capacité de rééquilibrage a été très forte. Les intervenants médiatiques nous ont vendu un risque de crise systémique pas si tangible qu’on ne le croit et si crise systémique il y eut, c’est bien après 1929. Tout cela pour signaler que la crise est plutôt sociale et morale qu’économique. On comprend pourquoi des petits entrepreneurs se suicident en Italie, qu’un citoyen grec se soit immolé, que des Espagnols vivent dans ces caravanes alors qu’un millions de logements neufs sont disponibles et que les ventes des voitures de luxe ne se sont jamais aussi bien portées dans un contexte où le volume des ventes automobile affiche un plus bas depuis 1998.
Si la crise est sociale et morale, essayons alors d’en chercher les causes sans porter de jugement moral particulier mais en traçant quelques constats. L’homme n’est pas parfait. Le monde contemporain est déstabilisé. Les attitudes ne semblent pas portées par un sens de la justice, de l’équité, du souci accordé à un improbable bien ou intérêt public, sorte d’arlésienne sociologique qui s’est perdue dans le tsunami du consumérisme et des flux médiatiques. Deux pistes à étudier. L’une évidente, celle de l’individualisme, de l’égoïsme et de la cupidité ; l’autre s’orientera vers les comportements narcissiques.
Cupidité et individualisme. Vénalité et cupidité vont de pair. Il s’agit de rechercher le profit quitte à sacrifier des valeurs morales ou même mettre en péril des humains. La vénalité est plus personnelle. Elle caractérise un rapport à l’argent conduisant à se vendre en dévaluant les valeurs essentielles. La femme vénale se lie à un homme pour avoir un niveau de vie conséquent. Mais on trouvera aussi des hommes vénaux, tels ce beau sexagénaire, comédien au verbe appuyé n’économisant pas ses tirades socialisantes sur les plateaux mais prêt à jouer les commensaux pour faire la promotion d’un grand cru ou bien célébrer les œuvres d’un grand bijoutier. Mais nul n’est lésé. Les notables de ce monde ont souvent concilié le goût du luxe et les discours républicains. La cupidité a pour résultat la voracité des marchés mais elle se loge dans nombre de détails qui, mis bout à bout, tendent à déséquilibrer la société. Quelques exemples. Ces célébrités de la culture pop ou du sport qui amassent des gains en se servant de la structure du pays mais vont payer leurs impôts en Suisse. Ces médecins demandant des honoraires supplémentaires. Ces institutions vouées à la santé et qui sont gérées pour faire du profit. Parfois, c’est carrément du chantage aux soins, comme il y a du chantage au logement. C’est légal mais certainement pas moral. Parfois, les limites du droit sont franchies. Dans les affaires de corruption ou bien des tas de petits arrangements comptables qu’on trouvera dans les secteurs privés et publics. La cupidité s’exerce dans une société en perte de valeurs, livrées aux désirs effrénés, où l’argent est roi et où la quête de profit est un ressort qui balaye les freins et moteurs sociaux de la république, de l’intérêt collectif, de la solidarité.
Carriérisme et individualisme. Ce sont les ingrédients connus de ce travers contemporain qu’on nomme carriérisme et qui lui aussi, mine la société, faisant perdre beaucoup d’argent aux entreprises, tout en créant des désordres dans le monde du travail et des altérations dans la qualité des services publics lorsque le carriérisme se loge dans les bureaux où s’affairent des cadres prêts à toutes les compromissions pour monter en grade. Le carriérisme est né une nouvelle fois dans les années 1960 en s’amplifiant avec la puissance des systèmes industriel et étatique.
Narcissisme et individualisme. Ce trait de caractère est le plus insaisissable car ses conséquences sont souvent masquées, intangibles. Et pourtant, ce défaut apparemment anodin peut se révéler être un fléau comme le sont les précédents traits sommairement décrits. Un narcissique, c’est quelque-un qui ne veut pas m’admirer aurait dit Desproges. Le narcissique insiste en effet sur son image et désire ne pas être forcément admiré mais plutôt flatté. L’admiration est un sentiment profond accordé à une personne dont on perçoit la qualité authentique dans ses actes. La flatterie suffit au narcissique qui au fond est un être affectif portant une attention toute particulière à son image. Depuis les études de Lasch, le narcissisme est devenu un trait dominant des sociétés occidentales. Le phénomène semble être apparu au Etats-Unis dans le courant des années 1970. Il s’est répandu et en France, bien que discret, le narcissisme est assez répandu, surtout dans les milieux où l’image est importante. Ce qui est le cas dès lors que la profession exercée repose sur une visibilité médiatique. Ce phénomène sociologique rappelle par certains ressorts le processus ayant conduit à produire cette société de cour chère à Norbert Elias. Une société issue de l’Ancien Régime où chaque comportement se doit d’être réglé selon un ordre immuable. Les gens de la cour font société. Le narcissique ne fait pas société. C’est l’inverse. Il se fait lui-même en se reflétant dans une société dont il veut être admiré, flatté, reconnu comme une image respectable, notable, sans aspérités, convenable, correcte ou parfois rebelle. L’homme de cour fait société, le narcissique se fait en société. Mais la cour du roi n’est plus. Le lieu où le narcissique s’exerce à façonner son image, c’est le champ médiatique.
Une société où le narcissisme se répand finit par perdre ses valeurs et ses liens sociaux. Le comportement narcissique relève de l’individualisme, du souci de sa personne, placée comme valeur suprême dont le souci devient une priorité presque absolue. Moi d’abord. Les effets du narcissisme sont diffus, subtils, peu aisés à identifier car dans toute manifestation de l’individualisme se détermine un ensemble d’action visant à servir l’individu au détriment d’une ouverture pouvant être accordée à une autre personne plus talentueuse ou méritante, au sens noble du terme et non pas dans l’acception vulgaire qu’en donne le président qui confond mérite et obéissance à des règles arbitraires. Le narcissisme aboutit à une bureaucratisation de l’esprit, pour reprendre un constat tracé par Lasch. Les esprits visionnaires et talentueux n’ont pas de place dans un tel système qui finit par s’appauvrir. Parfois, le narcissique occupe l’espace médiatique et ne laisse pas de place à ceux qui pourraient lui porter ombrage car plus talentueux. Ses écrits et attitudes finissent par le trahir. Exemple de ce journaliste politique qui, sur son blog, en pleine affaire Merah, ne trouve rien d’autre à publier que son agacement d’avoir été piégé par un journaliste au service de Pierre Carles avec lequel il a entamé une explication qu’on peut lire en détail. On le retrouve sur un plateau de télé plus que courroucé après avoir été rappelé à l’ordre par un candidat pour ses revenus et son éloignement des préoccupations des Français. Les narcissiques exercent leur capacité de nuisance non seulement dans le domaine économiques mais aussi dans le champ des visibilités culturelles. Ils prennent la place d’individus plus respectables et méritants.
Autocrates et individualisme. Le comportement autocrate ressemble à celui d’un tyran ou d’un dictateur mais il en diffère car l’autocrate est adapté au système démocratique qui ne tolère pas les tyrans. L’autocrate est tout simplement un individu égocentré, sûr de lui-même, qui veut tout diriger, souvent parce qu’il ne reconnaît pas le talent de ses subordonnés et parfois, parce qu’il veut récupérer les avantages liés à sa situation quitte à léser ou phagocyter le travail des gens qu’il dirige. Les autocrates sont aussi un fléau pour la société. Le président Sarkozy est connu pour son comportement autocrate. Tout décider, tout régenter. Il est un président en phase avec son temps et plus exactement en phase avec tous les vices de la société qui sont invertis en vertus et jugés favorables à la force de la France. La France forte de Sarkozy est une France cancérisée par tous les fléaux qui viennent d’être mentionnés.
Il n’y aura pas de conclusion car l’impact des vices individualistes ne peut pas être chiffré ni évalué. Disons que les causes anthropologiques de la crise viennent d’être élucidées en partie. Reste à savoir quel est le pourcentage de cette « partie ». Mais une chose est certaine, ces gens ne seront jamais inquiétés. Ce qui est légitime puisque nous sommes dans un Etat de droit. Un seul enseignement à tirer. C’est que l’éclatement de la société est envisageable et que le modèle social reste un rempart contre la férocité de tous ces individus que la sélection darwinienne dans ce monde culturel et économique a transformés en prédateurs. Vaste réflexion ontologique et téléologique à mener.
Cupidité, prédation dans la finance.
Narcissique, prédation dans le système de la reconnaissance et de l’image.
Carriérisme, prédation dans la stratégie du travail.
Autocratisme, prédation dans le système de la direction.
Crise de 2012, instabilité engendrée par l’ensemble des prédateurs et qui risque de durer des décennies
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