Les syndicats de fonctionnaires contre le CDI
Vous avez bien compris le titre : les syndicats de fonctionnaires ont mené une bagarre contre les contrats à durée indéterminée. Et avec succès. Petite histoire triomphale du corporatisme qui se satisfait de la précarité dans le secteur public, avec la complicité des élus locaux, du ministre délégué Hortefeux du ministre d’Etat de l’Intérieur Sarkosy du gouvernement Villepin. Le législateur a approuvé une restriction du principe de la protection des salariés sous contrat dans le secteur public territorial le 19 février 2007 pour résister à la directive européenne du 28 juin 1999.
Le secteur public emploie les salariés les plus protégés, on en parle beaucoup mais aussi les plus précarisés qui soient, et on en parle beaucoup moins. Cela représente plus de 100 000 emplois dans le secteur public territorial. Dans une mairie où il faut gérer souvent un grand nombre de métiers par rapport aux effectifs, on constate l’effet pervers de la protection de certains salariés de manière très transparente. La protection des uns provoque directement la précarité des autres.
Pour prendre un exemple, pas spécifiquement public, le bénéficiaire du congé parental d’éducation peut réintégrer tous les ans son poste ; en conséquence, l’employeur renouvelle des contrats et maintient une autre personne en situation précaire aussi longtemps...
Du personnel absent ? Hop, un arrêté municipal et on prend du personnel remplaçant pour 3 jours, ou 10, ou un seul. Dans les services d’accompagnement à la personne, en particulier dans les écoles maternelles et les centres de loisirs, on évite de multiplier les intervenants et donc les employeurs locaux entretiennent une petite noria mobile, souple et précaire. Plusieurs dizaines de contrats à l’année pour le même salarié, vive le chômage des uns qui assurent le joint entre les droits des uns et la continuité du service public des autres ! Je vous avoue que j’aurai bien du mal à assurer, dans ma commune, sans cette réserve de précaires. Nous sommes tous unis dans ce système : confort des fonctionnaires, exigence des parents, quiétude des élus locaux. Et même les précaires sont contents d’avoir du travail !
Incapacité à anticiper
Les syndicats de fonctionnaires s’intéressent peu à ces parias. Il y a en revanche d’autres concurrents du point de vue des syndicats, beaucoup plus gênants. Ce sont les contractuels, particulièrement nombreux parmi les cadres des grandes collectivités publiques. C’est une vieille concurrence, et chaque nouveau métier provoque une invasion de salariés hors statut : informaticiens il y a 25 ans, webmaster ou techniciens de l’environnement depuis quelques années. Les filières et les grilles ne prévoient jamais l’arrivée de ces nouvelles qualifications, jamais. Le système de la carrière ne prévoit pas non plus les mouvements du marché du travail : que le BTP reparte à la croissance, et voilà nos collectivités publiques en panne de cadres dans ses services techniques ; qu’il freine et les difficultés se calme. Le problème récurrent du statut de la fonction publique, c’est la difficulté à anticiper.
Et puis, il y a le cas le plus symbolique de la précarité en milieu territorial, ce sont les emplois dits fonctionnels. Cela concerne les directeurs des services dans les collectivités de plus de 3500 habitants et les directeurs des services techniques dans les communes de plus de 10 000 habitants. Ces salariés, au sommet de la hiérarchie, peuvent être licenciés sans motif. Ils sont protégés, mais chaque renouvellement de mandat est devenu un jeu de chaises musicales. Sous la pression syndicale, la loi a interdit le licenciement dans les 6 mois qui suivent l’élection. Résultat : un nombre important de directeurs des grandes collectivités font signer une acceptation de démission à leur patron, avec une date en blanc, juste avant les élections. Ils la gardent sous le coude ou s’en servent pour pouvoir partir immédiatement sur un autre poste en cas d’alternance ! C’est décidément très difficile d’anticiper !
Tant d’hostilité à si peu d’Europe sociale
Alors donc, voici l’histoire : l’Europe demande de mettre fin à l’utilisation abusive de CDD par sa directive du 28 juin 1999. Le 27 octobre 1999, le Conseil d’Etat décide que tout contrat à durée indéterminée dans la fonction publique doit être requalifié en contrat à durée déterminée ! La loi du 26 juillet 2005 stipule que « la durée des contrats successifs ne peut excéder six ans », c’est la mise en oeuvre de la directive européenne. Sauf qu’il y a une situation bien particulière de l’emploi public territorial qui fait cohabiter un statut unique mais une multiplicité d’employeurs. Le tribunal administratif de Nantes décide donc le 15 décembre 2005 que le calcul des 6 années se fait toutes collectivités confondues. Les syndicats de fonctionnaires se battent. L’article 26 de la loi 2007-209 du 19 février 2007 contredit la juridiction administrative bretonne et réduit le bénéfice du cumul des 6 ans « au sein de la même collectivité ou du même établissement » et ajoute une contrainte inédite en considérant que la fonction doit être la même : « si les nouvelles fonctions définies au contrat sont de même nature que celles exercées précédemment ».
On voit par cette affaire
que l’Europe sociale n’est pas totalement inexistante, et que ses
contradicteurs réels ne sont pas toujours ceux qu’on pense. On
remarquera aussi que cette directive européenne ne distingue
absolument pas les secteurs privés et publics, et que
l’application de cette norme sociale minimaliste ne pose problème
que dans le secteur public. L’auriez-vous cru ? Est-il légitime
d’avoir un droit du travail si différent entre le secteur
public et le secteur privé ? On ne sait pas très bien
par quoi ces différences sont justifiées, mais elles
dévorent la solidarité entre les salariés.
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