Logement social : un chanoine et un abbé que tout oppose
Vous aurez beau vous faire élever à la dignité de chanoine et proclamer l’espérance religieuse, ce que l’on retiendra de vous, c’est votre action réelle, celle de tous les jours. Maire de la ville la plus riche, puis président d’un grand pays qui nourrit à coups de cadeaux fiscaux des fortunes gigantesques, ce chanoine-là n’aura rien fait pour les mal-logés. Un abbé, du haut du ciel, vient le lui rappeler...
"Faites pression sur les élus pour qu’aucun ne s’abaisse à cette indignité de ne pas respecter la loi", avait déclaré un abbé Pierre à bout de forces devant l’Assemblée nationale, pour convaincre les députés UMP de ne pas vider de sa substance la loi SRU. La droite renonça à modifier cette loi, mais le texte reste inappliqué dans la réalité. Le premier à donner le mauvais exemple par sa totale désinvolture est le chef de l’Etat lui-même qui ne s’est jamais soucié de respecter le quota imposé par la loi, la loi étant pourtant l’expression de la volonté générale.
Aujourd’hui l’abbé Pierre est mort mais la Fondation veut respecter sa mémoire et son action en publiant, le 13 février, un palmarès 2008 des communes soumises à l’article 55 de la loi SRU (*). Il s’agit d’interpeller les candidats à l’approche des échéances électorales.
[obligation pour les communes rattachées à une agglomération de plus de 50 000 habitants d’atteindre au moins 20 % de logements sociaux d’ici 2020 : VOIR ANNEXE en fin d’article].
La Fondation a passé à la loupe 720 communes. Parmi les 29 communes concernées de plus de 50 000 habitants, les mauvaises élèves sont, par ordre : Saint-Maur-des-Fossés, Neuilly-sur-Seine, Hyères, Toulon, Nice. Il y a des cancres : 67 villes "n’ont financé aucun logement social en cinq ans !", pointe l’étude. Les bons élèves sont : Montauban, Annecy, Dijon, Versailles et Paris.
Pour procéder à ce palmarès, la Fondation dit avoir eu recours à des "sources diverses", car "l’Etat ne diffuse pas ces chiffres. Il a mis le couvercle dessus", selon le délégué général de la fondation, Patrick Doutreligne. Christine Boutin, ministre du Logement, s’inscrit en faux et affirme qu’elle a donné, dès son arrivée au ministère, des consignes de fermeté aux préfets pour tancer les communes récalcitrantes.
Ire partie - Les communes respectant l’objectif légal :
- Montauban : des logements et des golfs.
Montauban semble être un cas à part. Sa maire, Brigitte Baregeest (UMP), a hérité de son père (Dr Jean-Paul Taurines, médecin de campagne à Réalmont, "humaniste, érudit, l’ami de tous" certaines valeurs. Elle s’intéresse même au social puisque, après avoir lu Chiens perdus sans collier de Gilbert Cesbron, elle rêve de devenir juge pour enfants. Elle suivra finalement une autre voie en devenant avocate et en défendant en particulier les agriculteurs victimes de faillites et de saisies. Bien qu’on la dise autoritaire et adepte du népotisme, elle a fait de l’urbanisme et du logement son domaine de prédilection. Avec l’appui de Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Cohésion sociale, elle réhabilite les quartiers et veut faire surgir en vingt ans un vaste et nouveau quartier sur 400 hectares : le Bas-Pays. Soit 4 250 logements en mesure d’accueillir à terme 12 000 habitants, le cinquième de la population actuelle de l’agglomération.
Pour l’anecdote, le projet est conçu autour d’un golf de 18 trous, un "investissement de snobs", ironise la gauche locale. Madame le maire est une pratiquante assidue de ce sport et a promis de le démocratiser. Et après tout, pourquoi pas ? Puisqu’elle ne néglige pas, loin de là, la construction de logements sociaux.
- Annecy : Plus belle la ville !
Bernard Bosson (UDF) a été le maire de cette ville pendant vingt-quatre années avant de se retirer en 2007 et de laisser la place à Jean-Luc Rigaut (UDF). En 2006, quand Rigaux n’était encore que premier adjoint, il résumait sa conception : le réaménagement de la ville, le logement social ("Dans une optique de mixité, la ville réalise des acquisitions foncières et des ZAC comportant un tiers de logements sociaux"), la protection de l’environnement ("Un environnement privilégié comme le nôtre impose de mener parallèlement une politique active de développement des modes doux en termes de pistes cyclables et de lignes de bus, car l’utilisation de la voiture augmente de 3 ou 4 % par an. L’équilibre entre la ville et l’environnement doit rester constant et c’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes attachés à la loi Littoral sous sa forme initiale. Il y a urgence à régler le problème de son éventuelle refonte.")
Dommage qu’à l’approche des élections le camp centriste se déchire et que le parti de Nicolas Sarkozy pourrait en profiter, ce qui pourrait mettre un frein à la politique sociale. On se souvient que Bosson avait soutenu la candidature de François Bayrou à l’élection présidentielle de 2007, puis rallié le Nouveau Centre, ce qui, selon des observateurs locaux, lui aurait fait perdre son poste de député dans une ville où Bayrou avait fait près de 25 % des voix au premier tour. Le MoDem sera représenté par Patrick Humbert contre Jean-Luc Rigaut.
- Dijon : La mayonnaise a bien pris.
Maire de Dijon, François Rebsamen (PS) n’est lui pas opposé à une alliance avec le moDem. Il a déclaré que "les candidats présentés par le Parti socialiste doivent chercher le rassemblement le plus large (...) sur la base de propositions communes". "On ne dirige ni une ville ni un pays replié sur son camp". En 2001, François Rebsamen a été élu maire de cette ville traditionnellement à droite depuis depuis 1935.
Dijon fait partie des villes ayant fait le plus d’efforts en logements sociaux sur la période concernée. Il était prévu qu’elle construise 780 logements sociaux en cinq ans et elle en a fait presque le double. Mais elle n’a pour le moment atteint que le taux de 15,4 % de logements sociaux. Quelques chiffres : 589 logements à loyer modéré produits sur le territoire du Grand Dijon (408 PLUS, 55 PLAi, 126 PLS), 1 870 519 € de subventions attribuées par le Grand Dijon pour soutenir la production de l’offre locative publique auxquelles se sont ajoutés, à hauteur quasi-identique, les concours mobilisés par les communes, 305 réhabilitations de logements anciens ayant reçu un accord de financement du Grand Dijon (objectif délégation 2006 : 160) dont 117 logements à loyers encadrés. La mixité sociale a été renforcée.
- Versailles, la ville Pinte :
Étienne Pinte est député-maire (UMP) de Versailles depuis 1995 ). Il a annoncé en décembre 2007 qu’il ne se représenterait pas pour un troisième mandat à la mairie de Versailles lors des élections municipales de mars 2008. Très imprégné de convictions catholiques, il a voté contre toutes les réformes progressistes en matière de moeurs (IVG, contraception, etc.).
Dans Le Nouvel Obs du 24/08/2006, Etienne Pinte évoque la mixité à Versailles. "Pour atteindre les 20 % requis, il nous faudra vingt ans...", déclare-t-il. Le logement locatif social fait l’objet d’une politique discrète car elle fait l’objet de rejet dans cette ville bourgeoise. "Nous avons des contraintes architecturales lourdes, qui renchérissent et ralentissent les réhabilitations à poursuivre pour retrouver une mixité sociale", précise Monique Lehuard, maire adjoint chargée du logement et présidente de l’Opac de Versailles. "Tout se déroule en centre-ville, et les logements sociaux n’y posent aucun problème : les trois quarts des habitants qui passent devant ignorent qu’il s’agit de HLM. D’ailleurs, 60 % de la population versaillaise pourrait prétendre, par son niveau de revenus, à ce type de logement..." Le logement social de cette ville a également été décrit dans L’Express du 24/01/2005 qui assure que la ville ne ménage pas ses efforts. Mais l’opposition, notamment la droite extrême, s’oppose à cette politique de mixité forcée selon elle idéologique. Elle refuse ce développement du logement social au nom du respect de l’identité de Versailles, de son esthétique et de son architecture. Dans les rares quartiers périphériques où il est encore possible de construire, la municipalité essuie recours sur recours.
Paris :
En tenant compte de l’analyse par la Fondation Abbé Pierre des progrès accomplis plutôt que le résultat final (ce qui exclut du palmarès certaines villes pourtant actives), Paris comme Versailles a largement dépassé le quota prévu.
IIe partie - Les communes qui ne respectent pas la loi :
- Saint-Maur-des-Fossés ou comment se défausser :
Cette ville du Val-de-Marne figure en tête des "mauvais élèves". Rien d’étonnant, son maire, Jean-Louis Beaumont (divers droite), élu depuis 1977, s’est toujours battu contre les constructions de logements sociaux ! Il lui incombait de construire 1 236 logements sociaux en cinq ans. Il n’en a fait que 30. Et encore il a fallu la pression du préfet.
- Neuilly-sur-Seine :
On n’est guère étonné de trouver en tête des contre-modèles la ville dont Nicolas Sarkozy fut le maire. Non seulement la loi n’y a jamais été appliquée, mais en plus on y fait de la propagande ! Ainsi, en mai 2007, le journal Neuilly indépendant publie des informations mensongères : "La ville de Neuilly s’est acquittée de ses engagements en matière de logements sociaux. Les réalisations et les projets en cours lui permettent de ne pas payer la pénalité au titre de la loi SRU. Le nombre de logements sociaux sur la ville va passer de 391 en 2001, à 1 165 en 2007 puis 1 344 en 2008". Neuilly-sur-Seine compte actuellement 800 habitations HLM, soit à peine 2,5 % de son parc immobilier. Pour pérenniser cette exclusion de politique sociale, c’est David Martinon, porte-parole de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, qui est devenu maire en 2007. On sait aujourd’hui que Jean Sarkozy aussi veille au grain : il n’y aura pas de prolétaires ni de pauvres dans des logements sociaux dans cette bonne ville...
- Hyères : c’est pas pour demain !
Le maire, Léopold Ritondale, est UMP et défend la classe aisée de la Côte d’Azur...
- Toulon : ce sera tout long...
Hubert Falco (UMP) brigue un nouveau mandat à Toulon. Mais sa tâche prioritaire de redresser l’image de la ville après six ans de gestion du Front national...
- Nice : N’y songez pas !
Jacques Peyrat, maire UMP est un ami de longue date de Jean-Marie Le Pen. Il fut même député du FN de 1986 à 1988. Il ne quitte le FN qu’en 1994, mais pas ses idées... Il est élu sous l’étiquette fallacieuse de "Divers droite" en 2001. À l’automne 2007, il annonce qu’il est candidat à sa propre succession à la mairie de Nice, pour un troisième mandat, alors que l’UMP a investi Christian Estrosi. Ce dernier, très sarkoziste est plus soucieux de son luxe personnel que du logement social. L’épisode récent de la location d’un Falcon 900 de l’avionneur Dassault pour un montant de 138 000 euros montre assez bien le personnage...
Comme pour le pouvoir d’achat, la politique du logement social de Sarkozy est faite de formules magiques et de promesses répétées qui n’accouchent que de déceptions et de maigres résultats. Le rôle de la Fondation Abbé Pierre était bien ici de rappeler ce fait aux candidats et aux électeurs à l’approche des municipales.
Annexe pour bien comprendre : L’article 55 de la loi SRU :
La loi SRU (loi sur la Solidarité et le renouvellement urbain), du 13 décembre 2000, est surtout connue pour son article 55 qui impose aux communes une obligation de disposer d’au moins 20 % de logements sociaux. La loi SRU ne traite pas que du logement, mais traite aussi de l’urbanisme (le PLU - Plan local d’urbanisme - vient remplacer le POS - Plan d’occupation des sols) et de transports (création des PDU - Plans de déplacements urbains).
La loi portant l’Engagement national pour le logement (ENL) : (loi du 13 juillet 2006), qui vise d’abord à relancer la construction de logements, a assoupli le dispositif coercitif visant à la réalisation de logements sociaux dans les communes où ces logements n’atteignent pas 20 %. La liste des logements locatifs sociaux pris en compte pour le décompte du quota de 20 % a ainsi été élargie. En outre, le législateur a assoupli les modalités de calcul des pénalités imposées aux communes déficitaires.
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON