Réunie le lundi 13 octobre, la Commission de révision des condamnations pénales a refusé la remise en liberté de Loïc Secher, condamné en 2003 puis en 2004 à seize ans de réclusion et à près de 350 000 € d’indemnités et frais de justice pour un crime de viol dont il s’est toujours déclaré innocent. La jeune fille qui avait accusé Loïc Sécher de ce crime, il y a huit ans alors qu’elle n’avait que 13 ans, a écrit à la justice en avril 2008 pour signaler qu’elle avait menti et demander la libération de l’innocent qui a déjà accompli six ans de détention injustifiée. Qui est responsable de ce gâchis ?
Loïc Sécher a déclaré qu’il n’en voulait pas particulièrement à la jeune fille car elle était elle-même une victime du « système ». Il suffit de lire le témoignage de Virginie Madeira pour comprendre le piège tendu aux enfants ou adolescents qui, un jour, ont eu la mauvaise idée d’inventer une agression sexuelle pour se valoriser. (J’ai menti – V. Madeira)
Si Loïc Sécher a pu comprendre la fragilité psychologique de la prétendue victime, il est probable qu’il ne pardonnera pas aussi facilement à l’entourage de cette dernière de l’avoir immédiatement désigné comme coupable.
Mais, au-delà de l’entourage, ce sont tous ceux qui ont contribué à fabriquer, depuis le milieu des années 90, le « système » de la dictature de l’émotion qui doivent être montrés du doigt. Ils sont responsables des dérapages et bavures qui se sont succédé jusqu’au chaos d’Outreau.
Tout commence avec l’affaire Dutroux en Belgique au milieu des années 90. La peur s’installe dans toutes les couches de la population en Belgique, mais aussi en France et dans d’autre pays. Toute la société exige des mesures pour assurer la sécurité des enfants face aux agresseurs sexuels et aux réseaux de pédophilie.
La classe politique française entend le message et veut démontrer qu’elle est capable d’ériger des murs de protection pour tendre vers la suppression totale de l’inacceptable. Chacun y va de sa propre déclaration : le 4/09/1996, le Premier ministre Alain Juppé déclare à L’Express :« Il faut parfois mettre entre parenthèses les droits de l’homme pour protéger ceux de l’enfant ». En 1996, François Bayrou, ministre de l’Education nationale promet au sujet des soupçons pesant sur le milieu scolaire : « Si dans l’enquête quelqu’un est soupçonné, on suspend sa présence auprès des élèves ». Le 11 juin 1997, Ségolène Royal déclare à Europe1 : « Il faut que la parole des enfants soit entendue, qu’ils soient crus ». En 1999, le conseiller Hayat affirme à une délégation syndicale au nom des ministres Allègre et Royal : « Si un enfant peut être préservé au prix de neuf enseignants accusés à tort, l’objectif est rempli ».
Le temps de l’action a rapidement suivi celui des promesses. Ce fut d’abord la circulaire Royal de 1997 qui obligea le personnel de l’Education en cas de rumeur à « s’extraire au plus vite » de cette situation en informant sa hiérarchie (donc en colportant la rumeur) afin de procéder à une enquête interne (plutôt difficile à mettre en œuvre dans le cas d’une rumeur) puis à une dénonciation au procureur de la République. Il fut clairement rappelé au personnel de l’Education que « Tout manquement à cette obligation légale l’expose à être poursuivi en justice pour non-empêchement de crime, non-dénonciation de mauvais traitements, omission de porter secours ou non-assistance à personne en péril, selon les cas et à faire l’objet de poursuites disciplinaires ». Le personnel de l’Education apprit très vite à ouvrir les parapluies et les résultats des ordres de Mme Royal furent à la hauteur de ses ambitions. Le nombre de mis en cause dans l’Education explosa en quelques années.
Les Officiers de Police judiciaire firent preuve d’un talent particulier pour augmenter la pression sur les « présumés coupables » d’agressions sexuelles sur enfants. Tout cri d’innocence fut systématiquement interprété comme une circonstance aggravante. Il suffit de lire les témoignages des innocents d’Outreau ou d’ailleurs qui ont subi les 48 heures de torture pour comprendre que le seul objectif recherché, c’était de faire du chiffre et du spectacle. Les mises en examen furent automatiques. Le statut de témoin assisté créé en 2001 par la loi sur la présomption d’innocence fut très souvent laissé de côté dans les dossiers traitant des accusations d’agressions sexuelles sur enfant. L’incarcération suivait la mise en examen dans la plupart des cas. Comme tant d’autres, Loïc Sécher n’y échappa pas. Il n’était plus question pour les magistrats de prendre le moindre risque de remise en liberté d’un « présumé coupable d’agressions sexuelles sur un enfant ». A leur tour, les médias comprirent très vite que le sujet faisait vendre. Radios, télévisions et presse écrite se ruèrent sur les scoops pour entretenir la peur et attirer l’attention. Les associations de défense des enfants ajoutèrent leur grain de sel pour crier au scandale chaque fois qu’un « présumé coupable » était libéré, innocenté ou bénéficiait d’un non-lieu. Le monde politique applaudissait. Il suffit de se remémorer l’attitude de la ministre Royal après le suicide de Bernard Hanse en 1997 ou du ministre Lang lors du lynchage d’Alain Hodique en 2001.
C’est ainsi que les années 1997-2005 furent des années de terreur pour les innocents victimes d’une simple rumeur ou, pire, d’une dénonciation mensongère provenant d’un enfant qu’on ne savait pas écouter ou qui était lui-même manipulé par un entourage avide de vengeance dans certaines familles en crise. La prétendue victime de Loïc Sécher était fragile psychologiquement. Au lieu de tenter de comprendre son mal-être, la justice utilisa cette fragilité contre Loïc Sécher.
Certains innocents ont pu sortir de la galère avant la condamnation définitive. Le blog des innocents en donne quelques exemples. Mais de nombreux innocents ont été condamnés entre 1997 et 2005 sur de simples présomptions de culpabilité. Loïc Sécher en fait partie. Bien qu’il ait toujours crié son innocence même sous la torture psychologique dont il n’a probablement pas dû être épargné en garde à vue, bien qu’il n’existait pas d’éléments probants de sa culpabilité, le juge d’instruction a tout simplement refusé d’organiser une confrontation avec la prétendue victime avant de le renvoyer devant les assises. Et avec la dénonciation mensongère d’un enfant, fragile psychologiquement, pour seul élément à charge, le ministère public n’a pas hésité à demander la condamnation définitive. Pire que cela, il l’a obtenu de deux jurys d’assises composés de 9 et 12 membres. Espérons que ces 21 jurés ont aujourd’hui, au nom du peuple, un début de conscience de leur propre responsabilité dans les rouages de la machine à broyer.
Il ne fait donc aucun doute que, pendant cette période de terreur, l’institution judiciaire est devenue le bras armé de la dictature de l’émotion ! Et aujourd’hui, la question doit être posée. Combien d’autres innocents croupissent dans nos prisons dignes du Moyen Âge avec un statut de pointeur qui les réduit à être des sous-hommes parce qu’un jour ils ont été tout simplement victimes de cette dictature ?
Mais il semble évident que l’institution judiciaire peine à reconnaître ses probables erreurs. La fragilité psychologique de la prétendue victime n’a pas été jugé suffisante pour ouvrir la porte du doute lors des deux condamnations de Loïc Sécher. Par contre, elle est utilisée, aujourd’hui, par la cour de révision comme un élément de doute sur la rétractation de la jeune fille qui est pourtant majeure et déclare souffrir de savoir qu’un innocent est en prison pour rien. Si un doute doit être exprimé par Loïc Sécher, c’est bien celui de la confiance dans la justice de cette dictature de l’émotion.
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Très bonne démonstration de la logique de mise en place d’une dictature en s’appuyant sur les bons sentiments populaires. Vous écrivez « C’est ainsi que les années 1997-2005 furent des années de terreur pour les innocents victimes d’une simple rumeur ». Vous êtes optimiste lorsque vous pensez que les années de terreur ont pris fin en 2005. L’affaire d’Outreau n’a été qu’un accident de parcours, pas une fin de la période de terreur. La preuve, c’est la réaction de la cour de révision vis à vis de LoÏc Sécher.
Cet été, France Culture à diffusé pendant une semaine une série de reportage surOutreau.
Il y a une chose à savoir qui n’a pas été relayé par les medias, c’est qu’une majorité des enfants qui ont été ammené à accuser leurs parents innocenté aujourd’hui continue de croire qu’ils ont été effectivement violé, et qu’une minorité seulement sont retourné vivre dans leur famille. Pour ma part, ça m’a particulièrement fait réfléchir.
Deuxièmement, il faut savoir que cet état de fait n’est pas présent uniquement chez nous mais qu’il s’agit d’un phénomène qui touche énormément de pays de part le monde. Aux USA, on condamne des gens à des peines extrèmement lourdes uniquement sur d’éventuelle intentions qui pourrait leurs être prété, au Brésil il y a eu un cas de lynchage d’un homme après qu’une femme ait crié dans la rue que son conjoint avait abusé de sa fille. Il semblerait que ça touche surtout les pays à forte culture judéo-chrétienne, dans un pays comme le Japon on ne remarque pas cette culture de l’émotion, malgrès des affaires qui ont marquées l’opinion publique japonais (comme l’affaire Miyazaki, équivalante à Dutroux en europe), ça ne s’est pas traduit par des actions politiques.
Parmi ceux qui ont largement collaboré à l’élaboration de la dictature de l’émotion, il ne faut surtout pas oublier les experts psychologues qui ont toujours considéré les paroles des enfants comme crédibles quelles que soient les circonstances. Loïc Secher en a été victime comme ceux d’Outreau et tant d’autres. Dans le cas de Loïc Secher, 4 experts ont considéré que la jeune fille était crédible alors qu’ils savaient qu’elle était "fragile sur le plan psychologique". Aujourd’hui, il serait nécessaire d’expertiser les experts pour connaître leur degré d’incompétence dans ce type de dossier et les poursuivre en correctionnelle pour faute professionnelle.
A votre tour, LS.B., vous commettez l’erreur commune consistant à mettre, en matière de pédo-criminalité, tous les problèmes sur le dos des experts au motif qu’ils déclarent la parole d’un enfant « crédible », erreur largement reprise par les médias lors d’affaires récentes pour se dédouaner de leurs propres comportements aberrants.
Une « parole crédible » chez un enfant ne signifie pas qu’il a dit la vérité, mais que rien dans son expression n’a permis d’établir avec certitude le contraire. Autrement dit, rien n’a montré lors des entretiens avec les praticiens qu’il a affabulé, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne l’a pas fait ! En résumé, cela peut se traduire par « rien ne démontrant le contraire, il est possible que cet enfant ait la vérité ».
Les experts sont à cet égard devenus très prudents dans l’explication de texte qui accompagne désormais ce type de formulation « clinique » lors d’un procès. Explications en général complétées lors des débats et renouvelées lors des délibérations par les magistrats.
N’oublions pas, de plus, que le rôle d’un expert n’est pas de déterminer les responsabilités, mais d’apporter un éclairage médical, psychlogique ou psychiatrique, rien de plus, éclairage qui devra être ensuite digéré par le jury d’assises à la lumière des faits et des nombreux autre témoignages.
Cela dit, je vous concède bien volontiers qu’il existe de très mauvais experts, comme il existe de mauvais magistrats et de mauvais jurés !
Il est exact que crédibilité ne signifie pas vérité mais vous devez reconnaître que la confusion a été volontairement entretenue pendant des années. Les experts se sont bien gardés d’expliquer la différence dans leurs rapports et les juges se sont beaucoup appuyés sur cette notion de crédibilité pour en faire un élément à charge alors qu’il ne s’agissait que d’une simple information non déterminante. Par ailleurs, on peut être surpris que 4 experts aient considéré que la jeune fille qui dénonçait Loïc Sécher était crédible alors qu’elle était « fragile sur le plan psychologique ». Aujourd’hui, au contraire, il semble que la cour de révision s’appuie sur cette fragilité pour considérer que sa lettre peut ne pas être crédible et exiger d’autres éléments ! La crédibilité attestée par les experts ne fonctionnent donc que dans un seul sens. C’est plutôt regrettable !
Non, Calach, vous ne pouvez pas écrire, concernant la "parole crédible", que "la confusion a été volontairement entretenue pendant des années". Cette notion faisait déjà l’objet d’une explication et d’une mise en garde au public et aux jurés par des présidents d’assises il y a dix ou vingt ans !
Le principal problème est venu d’Outreau où la parole des experts a été largement utilisée, et sans le moindre recul, comme pierre angulaire d’une accusation à charge. Mais ni Outreau ni l’affaire Sécher ne sont représentatifs de l’ensemble des affaires de pédo-criminalité. Et la "parole crédible" d’un témoin ou d’une victime ne joue, fort heureusement, pas toujours dans le même sens !
Permettez moi de répondre qu’Outreau n’a pas été un phénomène exceptionnel dans l’utilisation des expertises mais un révèlateur de ce qui se pratiquait depuis de nombreuses années. Le procés de Loïc Sécher s’est tenu en 2003 et 2004 avant Outreau et en pleine terreur vis à vis de tous ceux qui pouvaient être soupçonnés de pédophilie. Il est fort probable que la crédibilité annoncée par les experts a été largement utilisée par l’accusation pour convaincre les jurés que la prétendue victime disait la vérité.
L’écoute des innocents qui ont supporté la galère de la procédure pénale aboutit à généraliser ce que décrit Mako dans son cas particulier. Les experts ont été utilisés comme appui de l’accusation et je ne pense pas que les OPJ et les magistrats ont fait un effort particulier pour distinguer crédibilité et vérité.