M..., le maudit !
Segpa ... toujours possible !
Vous avez dit Harcèlement ?
Dans le climat si peu propice au travail et aux apprentissages, il y a fort heureusement des exceptions, des élèves ordinaires qui désirent apprendre et respecter l'adulte qu'ils ont en face d'eux . Malheureusement ils doivent se tenir à carreau, se montrer discrets pour ne pas encourir les foudres des agitateurs et agitatrices, élèves hostiles à l'effort , à la règle et encore plus à la bonne image de ceux qu'ils désignent bien vite par la redoutable appellation de « Fayots ».
M ... est de ceux-là, pire même, il affirme à haute voix vouloir travailler. C'est une faute qu'on ne peut pardonner au royaume du cancre. M... est alors l'objet de moqueries et de brimades, de petits coups tordus jamais très méchants mais si répétés et retors que cela en devient insupportable. M... souffre de cette situation qu'il faut bien qualifier de harcèlement scolaire, ce virus insidieux et sournois à incubation lente.
M … vient d'arriver dans la classe. Les autres élèves s'étaient habitués à ne rien faire, à ne jamais rendre un devoir. La force du groupe était inscrite dans cette inertie collective qui lasse les adultes et rend dérisoires les punitions. Puisqu'aucun ne veut se donner la peine, à quoi bon s'évertuer à user son énergie pour rien ?
M … est venu briser ce cercle infernal et vicieux. Il constitue l'exception qui confirme que tout espoir n'est pas perdu. Si l'enseignant en est flatté, le pauvre garçon paye au prix fort son allégeance aux règles ordinaires. Il est d'abord le vilain petit canard, celui avec qui on ne se range pas, à côté duquel on ne s'assoit pas, en compagnie duquel on n'accepte pas la plus petite activité. C'est la redoutable mise en quarantaine qui désarme le professeur.
Impossible de contraindre ses camarades : la pauvre victime n'en récolterait qu'injures et coups. Fermer les yeux alors ! Mais ce serait une lâcheté indigne , honteuse, infâme . La marge est étroite ; il faut repérer ceux qui, n'étant que que des suiveurs , ne se feront pas à leur tour bourreaux. Il faut avancer sur des œufs pour aborder le problème, dire les mots qui conviennent pour décrire ce rejet impitoyable sans placer celui qu'on évoque au rang de modèle, de héros ou de victime.
Mais ce n'est jamais fini. Les coups et les brimades ne tardent pas. Les vols, les cahiers cachés ou détériorés, les traces indélébiles sur les vêtements, la chaise qu'on retire, les moqueries qui fusent … La liste des petites atrocités est longue et les réponses si difficiles. Car nous en sommes réduits dans nos établissements, à la logique démente de la preuve. Sans celle-ci, il est bien compliqué de poser une parole, plus délicat encore de donner une sanction.
La force d'un groupe quand il se ligue contre un seul, c'est le poids du silence, la dilution des mauvais actes, la solidarité des tortionnaires. C'est une expérience douloureuse pour celui qui constate sans jamais prendre sur le fait, qui voit la douleur , juste capable de parer les coups sans jamais être en mesure d'y mettre un terme.
M … est costaud, la vie l'a habitué aux mauvaises passes, aux circonstances douloureuses. Il supporte bien des coups durs, vivant dans une famille d'accueil, loin d'une mère qu'il chérit mais qu'il ne peut voir. On se demande parfois s'il ne fait pas exprès d'attirer à lui tous les malheurs du monde. Pourtant, il se dresse fièrement devant cette adversité, il fait front tant qu'il le peut avec une opiniâtreté qui m'impressionne.
Mais parfois, il se décourage car les monstres sont sans pitié. Alors, il se raconte un peu, vide son sac à misère pour mieux repartir. Quel bel exemple de volonté ! Mais quelle saloperie immonde que de ne pouvoir infléchir autant que je le voudrais cette mécanique funeste. M … me fait confiance ; j'apprécie sa foi en ma bienveillance et en mon soutien mais dans le fond de moi- même , je sais mon impuissance à changer ce mal qui le ronge.
Le Harcèlement c'est si facile d'en parler à la télévision ou dans de jolis colloques ; c'est bien plus difficile de devoir faire face à ce mal insidieux, à cette saloperie abominable. Comment faire évoluer les opinions, comment briser l'anathème qui a frappé le bouc émissaire ? Les punitions ne font que renforcer les raisons infondées des bourreaux, les explications touchent rarement les consciences, les familles sont si peu présentes qu'il est illusoire de compter sur elles.
Que les spécialistes de la chose viennent m'expliquer comment faire. Je ne vois que la fuite, le départ de celui qui souffre pour lui donner un peu de répit. J'ai déjà réclamé cette mesure, d'autant qu'il habite à 30 kilomètres de là. Mais hélas, il n'y a pas de place (le sempiternel argument de l'enseignement spécialisé ) dans l'établissement proche du domicile familial d'accueil . Que faudra-t-il pour que l'administration trouve enfin une réponse ? J'écris ce billet dans l'espoir que le martyre silencieux de M … ne soit pas tu. Le jour où le pire arrivera, qui se verra montré du doigt ? Les acteurs de terrain, une fois de plus. Pourquoi n'ont-ils rien fait ? C'est si facile à dire …
Harcèlement sien.
18 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON