Marciac, symbole des peurs françaises
Les opérations anti-drogue très musclées de la gendarmerie dans quelques collèges ont inquiété bien des parents. Paradoxalement, la drogue leur est aussi un grave sujet de préoccupation. Le tout-sécuritaire inquiète ou rassure, suivant de quel côté du miroir on se place… mais il ne laisse jamais indifférent.

"Ai-je consommé de la drogue étant jeune ? Non, mais je n’en avais pas eu l’occasion non plus"… Par ces mots simples et d’apparence sincère, un candidat à l’élection présidentielle de 1995 avait répondu (en substance) fort habilement en préservant la morale (il n’a pas consommé de drogue) tout en admettant ne pas y avoir être confronté (il aurait pu en consommer donc). Ce candidat, c’était Lionel Jospin ou Jacques Chirac, j’ai un doute entre les deux (et je n’ai rien retrouvé de l’époque), mais qu’importe, Chirac voulait être le candidat de la jeunesse, Jospin celui de la gauche et les deux auraient pu prononcer cette phrase.
Si on me posait cette question, j’aurais sans doute répondu la même chose, mais j’aurais ajouté pour être plus clair que probablement, si on m’avait proposé de la drogue, je l’aurais refusée comme j’aurais refusé de discuter avec un inconnu m’offrant des bonbons, car c’était dans les préceptes que mes parents m’avaient transmis.
Drogue vs jeunesse
Dans des enquêtes récentes, il semblerait établi qu’un jeune sur deux aurait touché à la drogue au moins une fois. Cela paraît très élevé comme taux, mais engendre chez les parents une peur bien normale : celle qui pourrait lier son ou ses enfants à ces substances.
Alors, la guerre contre la drogue, par tous les moyens, durs ou doux, est forcément dans les priorités des parents.
Les pouvoirs publics n’ont pas forcément, d’ailleurs, toutes les connaissances sur le sujet. Une anecdote que j’avais entendue à l’époque (sous réserve de véracité, je n’ai pas retrouvé de source fiable, mais en tout cas, elle circulait à l’époque et était fort plausible) à propos d’Édouard Balladur alors Premier Ministre en disait d’ailleurs long : alors que ses ministres chargés de la santé, Simone Veil et Philippe Douste-Blazy, faisaient un plan de substitution aux drogues, Balladur, dans des conversations privées, confondait "méthadone" avec "méthanol".
Et quand un responsable politique en a les connaissances, il n’a pas le comportement politique adéquat (c’est ce qui a valu à Léon Schwartzenberg d’avoir été, avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, l’un des ministres les plus brefs de la République, deux semaines).
Les moyens de lutter contre la drogue sont multiples, puisqu’ils sont à la fois diplomatiques auprès des pays "exportateurs", répressifs (contre les narco-trafiquants), médicaux (auprès des drogués qui voudraient s’en sortir), psychologiques (auprès de ceux qui pourraient y succomber) etc.
Du coup, que des chefs d’établissements scolaires souhaitent sensibiliser leurs élèves aux dangers de la drogue, c’est une chose non seulement normale mais nécessaire.
Opérations musclées scandaleuses et contreproductives
Apparemment, cela s’est passé depuis plusieurs années (au moins sept) et dans plusieurs dizaines d’établissements.
Mais les récits des dernières "sensibilisations" sont pour le moins inquiétants. Il y a eu le centre d’apprentis de Pavie le 17 novembre 2008 avec le témoignage d’un professeur et le collège de Marciac le 19 novembre 2008 avec le témoignage d’une élève.
J’ai lu le témoignage accablant de la jeune collégienne le 28 novembre 2008 qui avait été mis en ligne le 25 novembre 2008. "La Dépêche du Midi" avait d’ailleurs fait état de ces problèmes dès le 21 novembre 2008. Bizarrement, le témoignage de la jeune fille s’est répandu sur le net jusqu’à ce que vers le 2 décembre 2008 les médias nationaux s’en saisissent et entraînent des réactions officielles, molles et tardives, tant de la Ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie que du Ministre de l’Éducation nationale Xavier Darcos.
Entre temps, sur Agoravox, deux articles ont vu le jour, un reprenant simplement le témoignage de l’enseignant et un autre apportant une éclairage intéressant par son approche originale.
Évidemment, le témoignage de Zoé David, la collégienne de 13 ans, paraît le plus émouvant et éprouvant car elle donne le regard non seulement de l’élève mais aussi, en quelques sortes, d’une victime. Entre parenthèses, l’écriture est avenante et montre, après Alex Joubert, jeune rédacteur d’Agoravox de 13 ans lui aussi en classe de 4e, qu’une belle écriture n’a pas besoin d’attendre le poids des années.
Colère
La première réaction, c’est évidemment la colère.
Imaginer son enfant aux prises avec un chien méchant (sans muselière de surcroît) maître total dans une salle de classe (je me souviens de ma peur terrible des bergers allemands à l’âge de 10 ans) est déjà difficile à admettre.
Mais l’imaginer subissant une fouille corporelle jusqu’à des pseudo-attouchements de parties intimes dans un couloir ouvert et devant d’autres camarades et adultes, c’est proprement révoltant. Chez les apprentis deux jours avant, des garçons se sont retrouvés en caleçon devant leurs camarades.
Quatre confusions
Inutile d’épiloguer sur ces opérations (elles ne sont pas isolées), de nombreux détails montreraient que les gendarmes présents n’auraient pas respecté ces enfants (ne serait-ce qu’en cassant l’ordinateur d’un enfant et en exprimant un sentiment d’impunité à la suite de cela).
Il y a eu à mon sens une quadruple source de confusion :
- la première qui confond prévention/sensibilisation (des gendarmes viennent parler tranquillement aux élèves) avec répression/démonstration de force (où l’on sort les bêtes féroces) ;
- la deuxième qui confond des enfants/mineurs de moins de 15 ans avec des adultes : un adolescent est très sensible, il faut être particulièrement psychologue (ce n’est pas pour rien que des films sont interdits aux moins de 12 ans et aux moins de 16 ans) ;
- la troisième qui laisse entendre que des élèves sont présumés coupables de consommation de drogue même s’ils n’ont rien fait (le reniflement d’un chien aurait-il plus de crédit que la parole d’un adolescent ?) ;
- et enfin, la quatrième qui confond le comportement à adopter auprès d’un consommateur (éventuel) de substances illicites avec celui auprès d’un trafiquant lié au grand banditisme international.
De plus, la recherche fut infructueuse, mais même si de la drogue avait été découverte, cela n’aurait pas plus justifié la brutalité de telles opérations.
Réputation de l’autorité
C’est sans doute toute la profession des gendarmes qui est atteinte au moment où on la réforme, car, excepté les contraventions routières, la gendarmerie jouit plutôt d’une belle réputation, faite de courage, d’abnégation et de sang-froid.
Par ailleurs, il est un peu vain de rendre responsable Nicolas Sarkozy de telles opérations, sous prétexte qu’il est Président de la République ou qu’il a été Ministre de l’Intérieur, ce qui laisserait croire que le Président de la République serait derrière tous les faits et gestes de tous les fonctionnaires de l’État… d’autant plus que ces opérations avaient commencé du temps du gouvernement dirigé par le socialiste Lionel Jospin.
L’État doit garantir la liberté des citoyens mais aussi protéger sa sécurité
J’ai eu aussi une seconde réaction beaucoup plus contrastée.
En effet, que veut l’honnête citoyen ? Sa sécurité. Que l’État le protège, lui et surtout, les siens.
Mais le problème, c’est que, s’il veut plus de répression contre les "méchants" (c’est-à-dire ceux qui seront considérés et jugés comme des coupables, mais avant, ils devront être présumés innocents), n’ayant rien à se reprocher, il veut conserver sa propre liberté, pour lui et les siens, qui, eux, sont "gentils", forcément.
C’était d’ailleurs tout le sens de l’appellation de la "loi Sécurité et Liberté" de janvier 1981, défendue par Alain Peyrefitte, Ministre de la Justice, sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing.
Protéger le citoyen tout en lui préservant sa liberté, ce qui est chose peu facile.
Pourquoi ? Parce que "sécuriser" de plus en plus sa vie quotidienne va réduire sa liberté d’agir. Par le traçage, par le fichage… et de plus en plus, par l’éventualité que l’honnête citoyen pourrait… ne plus être honnête.
Car rapidement, l’esprit suspicieux risque de l’emporter sur l’esprit sécuritaire : chacun devenant des contrevenants potentiels…
Partisan de la répression, l’honnête citoyen pourrait alors se retrouver de l’autre côté du miroir, suspecté à son tour de ne pas être honnête. C’est cet argument qui commence à refroidir le soutien des citoyens américains pour la peine de mort. Oui mais uniquement appliquée aux vrais coupables… (ce qui n’est pas une position morale, mais pragmatique).
Contrairement à ce que peuvent imaginer des gens dits "ouverts", personne ne souhaite l’être vraiment quant il s’agit de ses propres enfants : là, sur le sujet, on serait plutôt moralisateurs et conservateurs (heureusement d’ailleurs).
Et c’est là où je voudrais en venir.
Interrogations sur l’autorité et sur la consommation de drogues
Ce qu’il se passe depuis plusieurs années dans les classes scolaires est assez éloquent. Il y a de véritables zones de non-droit. L’autorité de l’enseignant est depuis longtemps bafouée.
Les professeurs ne sont pas des policiers ; les directeurs d’établissements non plus mais ont la responsabilité d’assurer la sécurité de tous les élèves qu’ils accueillent. Et donc, le devoir d’éviter la consommation de drogue.
Le problème, c’est qu’en général, les transactions ont lieu en dehors de l’enceinte formelle de l’établissement scolaire. Alors, que peuvent faire les directeurs d’établissement s’ils observent des comportements "louches" ?
Il y a un pas entre faire peur et ne pas respecter des adolescents, c’est évident, mais en se révoltant contre ces opérations dans le pays d’Auch, on ne résout rien, et surtout, on ne répond pas à la question : comment éviter qu’un jeune sur deux touche à la drogue ?
Je n’ai pas la réponse non plus, mais puisqu’on en est à de grandes causes nationales, celle de la lutte (sans brutalité) contre la drogue aux mineurs devrait en devenir une, vous ne croyez pas ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 décembre 2008)
Pour aller plus loin :
Deux témoignages troublants (novembre 2008).
La réforme de la gendarmerie (8 mai 2008).
Réactions ministérielles aux opérations anti-drogue dans les collèges.
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