Mariage et famille
Historiquement, la famille nucléaire n'a émergé que lors de la sédentarisation. Les nomades avaient - ont, à en croire les multiples études anthropologiques - des structures plus complexes.
Si les tribus se servaient des unions matrimoniales comme stratégie d'unification du groupe. La cellule familiale traditionnelle s'est imposée au contraire comme vecteur de transmission du lignage, de la propriété privée, d'un usage exclusif de biens. Le mariage devenait alors un vecteur de distinction, de séparation par rapport à la société.
Si le mariage tribal imposait de lourds dédommagements à la famille de la mariée, le mariage "familial" impose au contraire à la famille de la mariée une dot. C'est que l'homme prend alors la tête du lignage, il hérite de ses parents - de son père, en fait - et la femme, dénuée de tout droit à l'héritage, doit apporter son dû via la dot.
La famille moderne a hérité de cette genèse une triple névrose :
- le désir de batifoler - aussi présent chez la femme que chez l'homme - est entravé par la nécessaire pureté du lignage, par la préservation de l'héritage au travers des générations, par son caractère exclusif
- le désir de s'appartenir en tant qu'individu, en tant qu'être entier, incomplet, fragile, en tant qu'être désirant - y compris et notamment dans sa dimension sociale - disparaît dans les marécages du statut, du propriétaire - ou d'une de ses extensions familiales.
- le lignage reproduit l'autoritarisme social, il incarne la violence sociale dans son fonctionnement propre. La violence de la propriété est celle que subissent peu ou prou les dépossédés, la violence du fonctionnement familial est directement proportionnelle à la respectabilité qu'implique le statut. Globalement, une structure de maintien de patrimoine correspond psychiquement à une pulsion de mort, à une nécessité de conservation. Si la prégnance de cette pulsion de mort empêche la pulsion de vie de s'épanouir, elle doit lui faire violence : l'éducation pseudo-bienveillante, les coups, la maltraitance psychique construisent alors l'ossature de l'éducation opposée aux pulsions de vie de l'enfant.
Comme les pulsions de vie sont refoulées, comme le désir sexuel et l'épanouissement social ou individuel sont directement compromis par la politique du lignage, le sujet encadré par la famille traditionnelle développe des névroses (ou, plus rarement des psychoses, mais le sujet n'est pas là).
Ces psychoses sont une incarnation du refoulé. Le refoulant est déifié, phallifié, c'est le dieu solitaire et tout puissant. La créativité, la douceur, la puissance et - aussi - la férocité de la vie mises à mort par l'éducation familiale prennent une place totémique à géométrie variable. Un dieu, une patrie, un "surmoi", une culpabilité, une dette plus ou moins honteuse à des ancêtres, à des pairs.
Les incarnations ultimes du totem sont l'obéissance, la famille et la nation. "Travail, famille, patrie" scandaient les turiféraires de l'extrême droite il n'y a guère.
Ce faisant, il révélaient un fonctionnement psychique assez pervers, une espèce de syndrome de Stockholm à la puissance dix : le totem incarnant leur puissance perdue devenait un absolu, un devoir impératif catégorique. Comme s'il fallait se complaire de la veulerie de ce qui nous met dans la fange.
Ce qui nous amène au mariage "naturellement" hétérosexuel. Pendant les millions d'années du paléolithique, la seule forme de famille qui existât était tribale. La reproduction se faisait en quelques minutes (ou davantage, je vous le concède, mais, à l'échelle d'une vie, dans un laps de temps relativement restreint) par des partenaires qui n'étaient souvent pas monogames ou hétérosexuels stricts. L'acte de reproduction n'était en tout cas en aucune façon lié à l'éducation d'un enfant ou à la constitution de jure d'une cellule familiale fixe.
La reproduction est donc "naturellement" le fait de deux individus de sexes opposés mais la "famille" n'a aucune réalité "naturelle". C'est une invention culturelle qui connaît autant d'acceptions qu'il n'y a de cultures.
Par contre, le débat autour de la famille, le fait qu'il soit posé en terme de normalité en dit long sur notre culture : elle se cherche une naturalité (elle se sent donc illégitime) ; elle prétend régir, normer son cadre intime (c'est que l'intimité échappe à toute normation, que la normation est un besoin).
Ce qui amène l'ultime question : que veut dire une société qui cherche des cadres ? Qu'elle en manque ? Elle en regorge, au contraire, et n'en a sans doute jamais eu autant. Et si cette recherche de cadre n'était qu'un signe d'un manque de société, je veux dire de société incarnée, réelle, d'interaction concrète ? Si c'était une démarche désespérée pour maintenir le signe d'une existence commune à défaut d'existence commune ?
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