Ô France, douce France
Le débat sur les sectes fait quelques vagues dans la presse ces derniers temps. Au-delà du débat politique primaire, essayons de comprendre ce phénomène typiquement français.
En voulant faire dire à Mme Mignon que les sectes en France sont un non-problème, le Nouvel Obs’ nous a fait un présent : il nous a forcés à réfléchir sur l’ouverture intellectuelle de la société française.
Secte - objet social non identifié
« Secte », « culte », des mots qui en effraient plus d’un, mais avant de partir à la chasse aux sorcières voyons comment se définit le terme « secte ». Il existe différentes approches. Tout d’abord, Wikipédia, l’encyclopédie dont vous êtes l’expert, nous donne la définition suivante, en français dans le texte :
« Le mot secte a d’abord désigné soit un ensemble d’hommes et de femmes partageant une même doctrine philosophique, religieuse, etc., soit un groupe plus ou moins important de fidèles qui se sont détachés de l’enseignement officiel d’une Église et qui ont créé leur propre doctrine. » Cette définition qui peut tout aussi bien être celle d’un parti politique a le mérite de ne pas être sexiste, vous noterez que l’auteur nous dit « les hommes et les femmes ».
Allons voir un autre expert. Nathalie Luca, chargée de recherche au Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) disait dans une interview au journal Le Monde, à la date du lundi 25 février :
« On peut dire qu’un groupe devient sectaire lorsqu’il se ferme. Il y a plusieurs niveaux sur lesquels un groupe peut se fermer : le mariage, d’abord. Lorsqu’un groupe tout jeune, qui vient d’être fondé, refuse le mariage, les relations sexuelles, il a le plus grand mal à se développer sur le long terme, ce qui peut l’amener à dériver parce qu’il voit qu’il n’a pas d’avenir. Lorsqu’un groupe se ferme sur tout échange économique avec la société, il refuse l’argent, il préfère cultiver ses propres légumes plutôt que d’en acheter, dans ce cas, le groupe empêche ses adeptes de pouvoir se réadapter facilement à la société le jour où ils désirent en sortir.
Enfin, le plus grave certainement : lorsqu’un groupe utilise un langage qui n’est compréhensible que de lui seul, alors il n’y a plus d’échange intellectuel possible entre lui et son environnement social. On constate que les groupes qui se ferment sur ces trois niveaux - le mariage, l’économie, le langage - sont ceux qui ont connu les dérives les plus dramatiques. La plupart du temps, les groupes ne se ferment que sur l’un ou l’autre de ces niveaux. Cela leur permet de rester liés avec la société. »
Une population fermée qui parle une langue que seuls les membres du groupe connaissent et qui font leurs propres légumes ? Cette magnifique définition peut également être celle de la Bretagne profonde, avec tout mon respect pour cette région que j’aime beaucoup et que je n’ai citée que pour le besoin de l’exemple. Tout ça pour dire que nous nageons tous dans le flou absolu quant à la définition d’une secte.
Combattre - oui mais quoi ?
Devant notre incapacité à définir l’ennemi, plusieurs tactiques. La première consistant à tirer sur tout ce qui bouge, ce qui a donné la fameuse liste de 1995, et nous savons aujourd’hui l’efficacité de cette tactique qui a surtout coûté à de pauvres individus de passer quelques jours en prison avant d’être relâchés pour non-lieu.
L’autre tactique consiste à éviter les dérives. C’est encore en projet, il reste à espérer que les paysans bretons ne se verront pas confisquer leurs tomates sous prétexte de pièces à conviction de dérive sectaire.
Le problème dans le combat contre les sectes est le flou absolu de ce que nous cherchons à combattre. Si l’on se concentre sur les dérives sectaires, le mal à traiter prend la forme de l’escroquerie, l’abus de bien social, l’abus de confiance. Or, ces délits ne sont pas caractéristiques des sectes mais de tout système social ou organisme qu’il soit politique, religieux, ou encore humanitaire.
Alors, appelons
un chat, un chat, et si nous cherchons à lutter contre ces phénomènes d’abus,
qui sont présents dans de nombreux domaines sociaux car caractéristiques de la
nature humaine, davantage que la fonction idéologique ou spirituelle que vient
remplir ce que l’on classifie comme secte, alors pourquoi une législation spéciale doit-elle venir se placer contre les mouvements idéologiques hors normes ?
Autrement dit, le point qui n’est pas clair, c’est notre acharnement contre les mouvements dont l’idéologie ne peut pas être mise en boîte, classée, cataloguée, étiquetée, et sagement mise sur les étagères du haut afin de ne pas trop servir.
En effet, en France plus qu’ailleurs, tout objet pensant non identifié est automatiquement qualifié de sectaire, et devient par conséquent un ennemi de la société. La liste de 1995 n’est pas tombée du ciel, elle est le résultat de notre propre suspicion contre toute forme de pensée étrangère. Nous ne sommes pas armés contre notre propre incapacité à comprendre l’autre, ce qui nous rend agressifs envers toute forme nouvelle de comportement. La liberté de penser s’arrête là où l’autre cesse de comprendre. En France, cette liberté semble très restreinte.
Une parenthèse sur les sectes qui ont réussi
Cette absence d’ouverture, de débats et de réflexion se révèle dans un autre fait d’actualité, à savoir le débat sur la laïcité. La violence de la levée de boucliers des défenseurs de la laïcité est très similaire à celle d’un mouvement religieux dominant qui se sent menacé. C’est comme si nous avions ici une nouvelle religion, « L’Église de la laïcité ». Ce qui devait être le garde-fou de la pluralité des religions est en train de devenir leur tombe. Certaines réactions qui eurent lieu dans le cadre de ce débat rappellent davantage certains discours antireligieux de l’ex-URSS qui, de façon très politiquement correcte, venaient expliquer que la religion n’est pas l’ami de la société. Le moyen de résoudre le problème de la religion est tout simplement de supprimer cette dernière.
Ces deux débats qui touchent des problèmes spirituels, sont assez caractéristiques de la France.
Pense et
tais-toi
Les problèmes du XXIe siècle amènent les gens à réfléchir, et nombreux sont ceux qui s’interrogent. L’homme dès qu’il est un peu évolué ressent le besoin de résoudre ses problèmes existentiels, pour lui-même et pour les autres. Or, aujourd’hui, il existe une tendance qui consiste à interdire le débat sur des sujets qui pourtant sont typiquement humains et s’élèvent un peu au-dessus de notre fonction de robots producteurs, et font de nous des êtres pensants.
Ô France, douce France...
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