Outreau : pour la confrontation des pouvoirs
Il aurait fallu attendre. Avoir la patience d’attendre. Il aurait fallu laisser passer l’orage.
Cette polémique des deux derniers jours est prématurée et inutile. Qui peut soutenir, sur le plan des principes, qu’une commission parlementaire n’aurait pas le droit d’analyser les dysfonctionnements de la justice et, rudement parfois, de questionner des magistrats qui ont été mêlés à une procédure calamiteuse ? Qui peut prétendre que le juge Burgaud, s’il l’avait pu, s’il l’avait voulu, n’aurait pas eu la faculté, durant ses longues heures d’audition, de s’expliquer autrement, plus vigoureusement, donnant de lui-même et du corps qui nous est commun une image plus pugnace et plus enthousiasmante ? La séparation des pouvoirs, en l’occurrence, n’a pas à être invoquée, comme l’affirme de manière pertinente le professeur Carcassonne dans Le Monde d’aujourd’hui. Rien, sur le fond, ne vient battre en brèche les fondements de notre Etat de droit.
Pour la forme, c’est autre chose. Il faudra boire le calice politique jusqu’à la lie. C’est normal, c’est nécessaire. Pour une raison évidente et irréfutable. Sans les politiques, les vrais, les sincères, pas ces étranges députés à cheval sur deux mondes, jamais la justice ne se serait penchée sur elle-même. Si la représentation nationale n’avait pas assumé sa responsabilité en se saisissant, pour le bien de la démocratie, de la tragédie collective et du désastre judiciaire d’Outreau, inutile de se leurrer, personne, aucun responsable, aucune instance n’en aurait pris l’initiative dans notre institution. Si le corps judiciaire ne répugnait pas tant à s’interroger puis à se corriger, le monde politique, aussi discutable qu’il puisse être en certaines de ses manifestations, n’aurait pas besoin de combler ce vide qui sépare un service public pétrifié d’une société haletante de curiosité et d’angoisse. Les politiques occupent la place des juges, parce que ceux-ci voudraient, à la fois, demeurer immobiles et rester intouchables. C’est une heureuse surprise que cette séparation des pouvoirs "nouvelle manière" : confrontation enrichissante des pouvoirs, dialogue institutionnel musclé. Les politiques ont le droit et le devoir de nous bousculer, nous avons toute licence pour leur répliquer. Que les premiers n’oublient pas, toutefois, que la magistrature a déjà accompli un immense effort pour accepter qu’on débatte de sa responsabilité en des termes nouveaux. Cette prise de conscience mériterait, pour le moins, une forme de politesse civique et, en tout cas, une infinie modestie de la part de ses contempteurs.
On aurait pu dire au rapporteur Houillon, qui s’en gargarise tant, que la culture du doute aurait dû bénéficier à notre collègue Burgaud. On aurait pu rappeler au même qu’il n’était pas obligé de confondre, sous une même casaque, le député en vigilance démocratique et l’avocat en démagogie judiciaire. On aurait pu inviter tel ou tel député à ne pas compenser la pauvreté de la question par la violence du ton. On aurait pu. Mais tout cela est derrière nous. Inutile d’y revenir. Attendons la suite, le rapport d’étape, les conclusions définitives. Ne donnons pas l’impression d’avoir peur en niant la qualité de l’outil. L’ouvrage viendra, et on verra ce qu’il faudra en penser.
Il faut attendre. Avoir la patience d’attendre. Laisser passer l’orage.
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