Pauvre consultation
Je suis joie. Je suis fête. Je suis pure allégresse. Faute de créer une commission, notre gouvernement a décidé de se pencher sur le sort des pauvres et de lancer une grande consultation numérique pour trouver de bonnes idées pour lutter contre la pauvreté.
Hasard du calendrier, Oxfam nous annonce hier qu’on est vraiment tous très très forts et très très productifs et que nous avons collectivement créé tout plein de cette sacrosainte croissance qui nous manquait tant.
Selon le rapport d’Oxfam, 3,7 milliards de personnes, soit 50% de la population mondiale, n’ont pas touché le moindre bénéfice de la croissance mondiale l’an dernier, alors que le 1% le plus riche en a empoché 82%. Depuis 2010, c’est-à-dire peu après le début de la crise en 2008, la richesse de cette « élite économique » a augmenté en moyenne de 13% par année, a précisé Oxfam, avec un pic atteint entre mars 2016 et mars 2017, période où « s’est produite la plus grande augmentation de l’histoire en nombre de personnes dont la fortune dépasse le milliard de dollars, au rythme de 9 nouveaux milliardaires par an ».
Source : Les plus riches ont accaparé 82% de la richesse mondiale créée en 2017, Le Temps, 22 janvier 2018
C’est ballot, quand même : depuis le temps qu’on nous serine que la meilleure façon de lutter contre la pauvreté, c’est de travailler toujours plus pour produire toujours plus de richesse, qu’il nous faut de la croissance — plein de croissance — pour financer la solidarité nationale, voilà qu’on s’aperçoit bêtement que la croissance renforce les inégalités et nourrit toujours les mêmes.
Les pompes à phynances
Cela dit, ne boudons pas notre plaisir : nous tenons là la preuve que la théorie du ruissellement est vraie, c’est juste que nous n’avions pas compris dans quel sens elle fonctionnait !
…il est important de savoir comment fonctionne l’argent pour comprendre son complément nécessaire, la pauvreté. Les deux choses sont inséparables. John Ruskin affirme que si les ressources étaient réparties équitablement, il n’y aurait ni pauvres ni riches. Aussi, enrichir quelqu’un n’est possible qu’en en rendant pauvre un autre. Et pour enrichir énormément quelqu’un il convient d’appauvrir toute une population. La pauvreté est l’envers de l’argent, l’autre face de la pièce.
Source : Jerusalem, Alan Moore, Livre Trois, Chapitre 4 : D’or brûlant.
D’ailleurs, tout ce chapitre est un résumé brillant du rôle de la monnaie comme système confiscatoire des ressources communes au profit d’une toute petite minorité, une grosse escroquerie qui a plus de 1500 ans de construction derrière elle et qui arrive à son apogée de nos jours avec sa virtualisation et son accélération.
Les surnuméraires
Ce qui est amusant, c’est que plus ce détournement planétaire prend de l’ampleur, plus cette orgie destructrice bousille notre écosystème et plus de nombreux penseurs bien établis pointent du doigt la populace, l’énorme masse des cocus de la croissance et du progrès social pour les désigner comme coupables et suggérer à mots de moins en moins couverts, qu’il serait bon pour la planète que les gueux fussent moins prolifiques, voire nettement moins nombreux… afin que les premiers de cordée puissent continuer impunément à vivre et penser comme des porcs !
Pendant ce temps, on peut continuer à amuser la galerie en faisant croire avec des questionnaires absurdes que la guerre contre les pauvres serait soi-disant une lutte contre la pauvreté.
en aparté
Consultation publique sur la pauvreté
https://pauvrete.typeform.com/to/aCMXOa
Vous aussi, jouez au petit jeu des questions-réponses pour amuser la galerie ! Voici mes réponses.
Quels sont selon vous les facteurs qui sont les plus susceptibles de faire basculer une personne dans une situation de pauvreté ?
Le manque d’argent.
Autrement dit : les boulots de merde à temps partiel, salaire partiel, les périodes de maladie à 50 % du salaire (sur un demi-SMIC, ça ne fait pas lourd), la perte d’un emploi, les droits sociaux restrictifs.
Mais les mauvais salaires sont probablement les plus grands pourvoyeurs de pauvreté → précarité, droits réduits, etc.Quels sont les éléments qui ne sont aujourd’hui pas suffisamment pris en compte dans les politiques de lutte contre la pauvreté ?
Les bas salaires, la déflation salariale réelle depuis 30 ans, l’effet ciseau avec le poids croissant du logement, des transports et des besoins essentiels sur les budgets de plus en plus étriqués.L’accueil professionnel de la petite enfance
L’accueil collectif des enfants est une clé de l’accès des femmes à l’emploi : prix raisonnables, horaires larges.
Pourtant ce sont les accueils individuels, plus chers et réservés à une certaine catégorie de parents (les imposables, ce qui les place automatiquement dans la moitié la plus aisée de la population) qui sont le plus aidés sous prétexte de création d’emploi (des emplois de nounous, souvent de mauvaise qualité, des emplois féminins, déqualifiés, eux-mêmes pourvoyeurs de pauvreté !).La réussite scolaire
Déjà, on pourrait arrêter de fermer des classes, des écoles pour de basses questions comptables. L’accueil des 2-3 ans n’est pratiquement plus assuré alors que la scolarisation précoce est un facteur d’égalité pour les enfants des classes populaires. Sans compter que retarder l’accueil des enfants revient à retarder le retour des mères sur le marché de l’emploi et donc favorise la pauvreté maternelle.
Ensuite on repense vraiment le système scolaire qui est dédié au tri social et qui reproduit et amplifie les inégalités familiales de départ.Le soutien à la parentalité
Plus spécifiquement des parents isolés, essentiellement des femmes, une fois de plus, qui cumulent faibles rémunérations, manque de disponibilité (du fait qu’elles s’occupent massivement des enfants) et de perspectives. Elles ont besoin d’argent en premier lieu et de services rendant leur vie de mère compatible avec une activité professionnelle.
Il n’y a pas d’enfants pauvres (aux dernières nouvelles, les enfants n’ont pas de travail, de fiche de paie, de compte en banque), il y a des familles pauvres, pour beaucoup des mères de famille qui doivent élever seules leurs enfants.L’insertion sociale et professionnelle
Avec 6 millions de chômeurs, dont une grande partie expérimentée et qualifiée, je vous souhaite bien du bonheur pour résoudre la quadrature du cercle.
Il n’y a pas d’insertion professionnelle sans emplois de qualités disponibles.
En finir avec les stages à rallonge qui dans certains secteurs d’activité constituent 80 % des offres d’« emploi ».
Des gisements d’emplois, il y en a : remplacer les fonctionnaires qui manquent à présent partout pour assurer les fonctions sociales de notre pays, arrêter de subventionner les entreprises polluantes et multinationales pour financer enfin notre grande transition écologique : des tas de nouveaux emplois à créer et développer, des emplois réellement d’avenir et pas des niches occupationnelles démotivantes.L’accès des jeunes en situation de pauvreté à un revenu
Les limitations d’âge sont iniques : si tu es assez vieux pour t’enrôler, voter ou conduire une voiture, tu es assez vieux pour obtenir une aide sociale… mais aussi un vrai métier avec un vrai salaire, ce qui est encore le meilleur remède contre la pauvreté.La prévention des ruptures de vie
C’était bien le job dévolu à la Sécurité sociale, non ? Un filet de sécurité contre les aléas de la vie ? Pourquoi réinventer l’eau tiède : la solidarité nationale n’est pas un vain mot, il faut par contre peut-être cesser de lui couper les financements sous prétexte d’économie. Les vraies économies, c’est quand on intervient avant que les gens basculent dans la précarité, la pauvreté ou la misère. Plus on les laisse s’enfoncer, plus il est difficile et couteux de les récupérer.
Une rupture de vie, c’est souvent aussi des problèmes de logement démultipliés. Éviter que les gens perdent leur logement est moins couteux que de les laisser partir à la rue. Loger durablement est moins couteux que bricoler de l’accueil d’urgence de merde qui profite surtout aux marchands de sommeil (qui vont très bien, eux, merci).Mieux accompagner la vie des familles (conseil budgétaire, précarité énergétique, mobilité)
Les conseils budgétaires quand on doit gérer une poignée d’euros par jour, c’est au mieux insultant.
Les pauvres n’ont pas besoin de conseils, ils ont besoin d’argent.
Les dernières expériences sur le revenu universel confirment qu’avec la perspective d’un revenu garanti, les familles pauvres sont parfaitement capables de planifier toutes seules des projets et d’équilibrer leur budget. Elles peuvent mieux se soigner, s’éduquer, se loger, elles perdent donc moins de temps et d’argent à gérer la précarité, l’incertitude et les mauvaises conditions de vie qui dégradent leur santé, mentale et psychique. D’où une baisse aussi des comportements addictifs.L’accès aux biens et aux services essentiels
Qui définit l’essentiel ? Ceux qui en ont besoin ou ceux qui leur font la charité en prenant toujours bien soin qu’aucune convergence des modes de vie ne soit possible ? Comment garantir un logement décent et suffisant sans politique du logement ? Comment garantir une éducation juste et accessible à tous dans un contexte d’austérité et de ségrégation ? Comment garantir une bonne santé quand on réduit année après année les services de santé, partout sur le territoire ? Comment parler nutrition quand on laisse le secteur de l’agroalimentaire vendre absolument n’importe quoi aux gens ?
La question de l’accès aux biens et services essentiels est une question posée par le montant du dividende universel. Une somme suffisante allouée à tous sans condition est la seule garantie possible. Sinon, il ne s’agit, une fois de plus, que de paternalisme et de charité.Le développement d’un accueil social de qualité
Toujours les mêmes causes pour les mêmes effets : la suppression de nombreux postes de fonctionnaires dédiés aux services sociaux a créé logiquement du chômage (un fonctionnaire non remplacé, c’est un emploi en moins pour un chômeur) et bien sûr, d’importantes carences de services.
Là où il y avait 5 agents d’accueil formés et assermentés devant les demandeurs, il n’y a plus que des halls vides avec des bornes informatiques.
Qui a sérieusement pensé que des bornes automatiques pourraient répondre aux besoins de ces publics de plus en plus nombreux, en détresse, perdus devant la technologie excluante, face à des logiques administratives de plus en plus complexes, avec des droits variables dans le temps, fluctuants et hélas, souvent, dépendant du bon vouloir ou de la bonne compréhension d’agents surchargés de travail ?Le repérage des situations de pauvreté
Dans la mesure où les fichiers des banques, des impôts et des services sociaux sont croisés, ça ne devrait vraiment pas être difficile à trouver.
Mauvais salaires, pas de salaires = pauvres.L’accès de tous aux droits et aux services
Des agents en nombre suffisant, des critères moins abracadabrantesques… plus de bienveillance, aussi… avec juste un peu de bonne volonté politique, ce devrait être assez facile d’y arriver.La lutte contre l’isolement
L’isolement social, c’est une question de manque d’argent → quand on ne peut plus sortir, inviter des amis, échanger. Donc, c’est facile à résoudre.
L’isolement géographique → des transports en commun.L’accès aux soins (y compris santé mentale) des personnes sans logement
Déjà, leur filer un logement.
Le reste sera tout de suite beaucoup plus facile, surtout avec une vraie politique de santé publique.
La sécu universelle, c’est pour quand, déjà ?La prise en charge des enfants et des familles sans logement
Leur filer un logement. Ce n’est pas comme si ça manquait, les logements inoccupés. Bien sûr, il faudrait s’attaquer à la spéculation immobilière et deux ou trois petites choses de ce genre, collectiviser les biens immobiliers laissés à l’abandon, avoir une politique de logement qui sert à moins à gonfler les bas de laine et plus… loger les gens.
Dans des pays plus au nord, ils y arrivent très bien. Une fois de plus, c’est juste une question de volonté politique.
Ah oui, sinon : commencer par ne pas expulser les familles pauvres de leur logement ! Un bon début, déjà !L’accès et le maintien dans le logement des personnes les plus vulnérables
Oui, c’est bien ce que je dis : pour ne pas gérer les problèmes de sans-abris, le plus judicieux, c’est d’arrêter d’en créer. Donc, investir dans le logement pour tous et déposséder une bonne fois pour toutes les marchands de sommeil.
Faire en sorte qu’ils aient assez d’argent pour payer le loyer sans être obligés de sauter deux repas sur trois.Le rôle de l’Etat social
Insuffler les politiques de solidarité, collecter et redistribuer les ressources pour réduire les inégalités, lancer des projets économiques et sociaux à grande échelle, légiférer pour lutter contre les bas salaires (pas vraiment le cas en ce moment, hein ?), garantir à chacun un revenu inconditionnel pour en finir avec la pauvreté.Le rôle des collectivités territoriales
Quand on aura fini de leur pomper leurs ressources tout en chargeant leurs compétences, elles pourront surement retrouver un peu de marge de manœuvre pour accompagner les politiques de lutte réelle contre la pauvreté (et non pas contre les pauvres, comme maintenant !) qui ne peuvent être décidées et financées qu’au niveau national. Sinon, on ne fait qu’accentuer les profonds déséquilibres entre les territoires, lesquels sont en train de craquer sous le poids de la métropolisation forcenée.L’innovation sociale sur le terrain
Le secteur associatif et militant est important, tout comme les petits élus de terrain (les maires), mais ils ne feront pas le job de l’État, surtout ces derniers temps où leurs propres sources de revenus ont sérieusement été amputées.
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