Pour un Conseil supérieur de l’équité (CSE) ?
Il est très instructif de laisser le hasard vous guider, une fois la télévision allumée. Ce soir, sur la 3, je vois Fogiel assis par terre en train de questionner Pascal Sevran. Les réponses de celui-ci - qui ne m’a jamais laissé indifférent tant le courage intellectuel est rare de nos jours - pleines de talent, de provocation, d’ émotion, retiennent l’attention du téléspectateur fortuit qui se dit qu’après tout, Fogiel, ce n’est pas si mal.
Puis nous revenons au plateau où se trouvent Bigard, Véronique Jannot, Isabelle Mergault, bientôt rejoints par le ministre Hortefeux. Je passe sur ce qui précède, qui constitue l’habituelle offensive anti-Sarkozy . Elle donne au moins aux artistes l’impression qu’ils pensent, et que leur parole est nécessaire et sulfureuse. Ils ont Bush pour l’international et Sarkozy chez nous. Le ministre, qui croit participer à une émission normale où il aura sans doute le droit de parler, essaie tant bien que mal de montrer que le langage de Sarkozy a été, pour les banlieues, celui du peuple, et qu’un homme politique doit s’assigner pour objectif d’être compris. La phrase que je viens d’écrire pourrait laisser espérer que, quelques secondes, Brice Hortefeux a pu s’exprimer sans être interrompu. Il n’en a rien été évidemment. Le ministre a dû arracher de haute lutte les bribes qui sont sorties de sa bouche. Mais là n’est pas l’important.
Au fil de son argumentation, gagnée à la sueur de son esprit et avec l’énergie d’une voix qui refusait de capituler, Hortefeux fait référence au propos du général de Gaulle sur la "chienlit", au mois de mai 1968. A peine a-t-il prononcé cette phrase et cité ce qui appartient à notre mémoire collective que l’inénarrable Guy Carlier juge bon d’intervenir. Guy Carlier qui, protégé par son physique, se moque souvent de l’apparence des gens. Il se permet de reprendre le ministre, en lui assénant que de Gaulle a évoqué "la chienlit" en 1958, et qu’en 1968, il a proféré "moi ou le chaos". Hortefeux, qui a raison, et qui à l’évidence connaît mieux son histoire de France que Carlier, non seulement est condamné au silence, mais en plus, doit subir un sarcasme du genre : il faut que ce soit un clown qui apprenne les choses à un ministre de la République !
Et tout le monde de rire. Mais que faire de cet incident si significatif où l’inculture de l’un, appuyée sur l’ignorance de presque tous les autres, aboutit à instiller dans l’esprit des téléspectateurs nombreux d’abord une erreur - chienlit date de 1968 , ensuite une provocation de bas étage ? La vérité et l’équité, au sujet de ce point certes mineur, ne seront assumées par personne. Demain, sur des sujets infiniment plus importants, le processus se renouvellera, qui verra des anarchistes confortables prétendre se "payer" des ministres en affirmant pour vrai ce qui est faux, et en ne laissant jamais le loisir de répliquer.
Pour être favorable à la liberté d’expression, convient-il qu’elle donne d’elle-même une si piètre image et qu’elle soit servie par des auxiliaires si médiocres ? Ne faudrait-il pas créer un Conseil supérieur sinon de la vérité, du moins de l’équité ? Il ne s’agit en aucun cas d’interdire le débat ou de favoriser tous les conformismes. Mais si l’ignorance triomphe et si nous laissons, par indifférence ou lâcheté, prospérer de tels mécanismes, ce n’est plus seulement la télévision honorable qui périra - c’est sans doute déjà accompli - mais le droit à la contradiction et l’exigence de vérité.
Il n’y a pas de petits combats. Si on les méprise, c’est qu’on n’ose pas s’y engager.
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