Pourquoi le pic pétrolier est un sujet tabou ?
Pourquoi une telle absence des médias ? Pourquoi n’y a-t-il aucune prise en compte publique du problème ? Pourquoi les seuls discours officiels à ce sujet sont-ils édulcorées et sans communes mesures avec les réelles conséquences qu’aura le pic pétrolier sur nos modes de vie ?
Essayons de répondre à ces questions car elles influencent énormément la prise de conscience populaire et provoquent l’immobilisme que nous connaissons.
Le scepticisme
Depuis le début de « l’ère pétrolithique », il y a toujours eu cette croyance forte que les quantités de pétrole étaient telles, que nous ne pouvions en imaginer la fin. Aux USA, tous les plus grands spécialistes, hommes politiques ou économistes américains ont systématiquement refusé de croire que leurs réserves étaient limitées. Ce n’est qu’en 1971, lorsque la production s’est mise à décroitre et qu’une enquête a été menée pour analyser la situation, que tous ont dû se rendre à l’évidence : les Etats Unis ne produiraient plus jamais autant de pétrole que cette année là.
Nous sommes en train de revivre le même phénomène, à l’échelle mondiale cette fois.
En France, c’est lors du choc pétrolier de 1973 que l’Etat prend conscience du risque que représente une telle dépendance aux approvisionnements énergétiques étrangers. Ce sera le lancement du grand programme électronucléaire que nous connaissons tous. Cependant, cette décision n’était pas liée à un problème de quantité disponible mais uniquement à des paramètres géostratégiques et politiques.
A la fin des années 90, l’ASPO commence à alerter les décideurs sur les dangers que le pic pétrolier représente. Pourtant, rien ne sera fait dans le monde pour changer les choses et diminuer notre dépendance.
Aujourd’hui, malgré les rapports et conférences des spécialistes français comme les experts de l’IFP, c’est le doute qui prime. Comme pour le réchauffement climatique, vous trouverez toujours quelques sceptiques qui, pour exister médiatiquement, sèmeront le doute dans les esprits par pur esprit de contradiction.
La conscience des limites de nos ressources planétaires est finalement très récente. Elle ne concerne pas que le pétrole mais toute la biodiversité, l’eau et toutes les ressources minérales. Et cela n’est pas encore suffisamment ancré dans les esprits pour que la transition devienne nécessaire aux yeux de tous.
La confusion
Lorsque le pétrole est abordé dans les médias par de nombreux journalistes, économistes ou politiciens, il y a très souvent un mélange dans les termes et chiffres employés. Ce mélange génère une confusion permanente auprès des profanes qui ne savent plus vraiment qui croire et ce qu’il faut croire.
Ainsi, un grand nombre de personnes ne savent pas différencier les ressources, les réserves ultimes ou les réserves prouvées. Ces notions techniques ne sont pas forcément simples à comprendre et elles sont pourtant fondamentales pour déchiffrer les propos tenus dans les médias.
Aujourd’hui, la découverte d’un gisement de 3 milliards de barils sera présentée comme un évènement majeur et donnera l’impression que l’on découvre encore plein de pétrole de nos jours.
Or, ces gisements sont dérisoires comparés aux 30 à 50 milliards de barils découverts tous les ans entre 1955 et 1980, et les 1300 milliards qu’il nous reste dans les réserves prouvées ! Cela ne change donc pas grand chose au problème.
évolutions des découvertes de gisements de pétrole depuis 1930
Cette manière de présenter les choses, hors de leur contexte, oriente donc considérablement le point de vue du public et ne permet pas de distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas.
La désinformation
La première désinformation qui me vient à l’esprit est celle du délai que nous avons pour agir. Ce chiffre est probablement celui dont on parle le plus, celui qui fait le plus débat. C’est pourtant une énorme supercherie mais tout le monde semble s’en accommoder.
Encore aujourd’hui, la plupart des non-spécialistes qui s’expriment dans les médias parlent de 40 années de pétrole disponible à consommation constante. Ce chiffre calculé par le ratio R/P (réserves/production) ne correspond à aucune réalité physique. C’est pourtant le chiffre que tout le monde à en tête, éloignant de nous la nécessité d’engager une transition profonde.
Cette désinformation arrange finalement tout le monde, tant les gouvernements qui n’ont pas à répondre aux inquiétudes de la population, que les citoyens eux-mêmes qui n’imaginent pas que la société dans laquelle ils vivent sera bientôt profondément transformée.
La foi en la science et la technique
Les avancées considérables que certains pays ont connues depuis la révolution industrielle ont donné à l’Homme le sentiment qu’il n’avait plus de limites. La thermodynamique a démultiplié nos capacités de progrès, supprimé les tâches ingrates libérant ainsi nos cerveaux et capitaux pour générer encore et toujours plus de progrès dans tous les domaines.
Nos générations n’ont donc jamais connus de difficultés insurmontables et la technologie a toujours apporté, d’une manière ou d’une autre, des solutions à nos problèmes.
Comment concevoir alors que quelque chose puisse survenir sans que nous puissions y apporter une solution technique ? Chaque jour qui passe est le témoin de nouvelles avancées et découvertes énergétiques, des milliards sont investis pour tenter de trouver LA solution qui fournira l’énergie à l’humanité, sans polluer, sans gaspiller, et accessible à tout le monde.
Chaque avancée est une lueur d’espoir qui vient allonger la longue liste des petits progrès qui font avancer les choses … mais qui ne changeront pas le problème ! Réussir une expérience dans une éprouvette de laboratoire n’a absolument rien à voir avec les millions de barils de pétrole par jour qu’il va bientôt manquer au monde.
Pourtant, c’est encore une bonne raison pour ne pas se poser les bonnes questions, pour laisser faire les spécialistes et attendre, impassibles, que le problème soit réglé.
L’absence de solution
Lorsque vous demandez des solutions à des experts de l’énergie, ils essaient de mettre tout cela en équation et ils vous répondent qu’on ne peut rien faire à part diminuer considérablement nos consommations (sans forcément savoir comment) et construire des centrales nucléaires car c’est la seule source d’énergie dont les ordres de grandeur peuvent être comparés à ceux du pétrole.
Malheureusement ce scénario se heurte aux nombreux problèmes que cela implique : coûts et délais de la recherche pour développer la quatrième génération de réacteur, surcoûts et incertitudes pour la fabrication des centrales actuelles, démantèlement, pic de l’uranium, sécurité des sites, gestion à très long terme des centrales et des déchets, production centralisée etc …
Quant aux énergies renouvelables, elles doivent être développées mais ne compenseront pas le manque de pétrole.
Du côté des politiciens, ils doivent composer avec tout le monde et ne fâcher personne. Transformer nos modes de vie passera forcément par la suppression progressive ou brutale de certains piliers actuels de notre économie. Or, dans notre démocratie, les gens ne sont pas prêts à voter pour une personne qui forcera le changement et qui imposera des reconversions professionnelles.
Imaginer l’après pétrole reviendrait donc à sacrifier certains métiers comme les transporteurs routiers, les plateformes logistiques et la grande distribution, la production de masse, les industries délocalisées ou les constructeurs d’avions pour leur imposer une urgente reconversion. Il y aura du travail pour tout le monde, mais surement pas le même qu’aujourd’hui ! Quel chef d’Etat serait prêt à un tel suicide politique ? Mieux vaut ne rien dire et laisser cela au prochain élu !
Si nos décideurs et nos ingénieurs ne sont pas capables de nous proposer des solutions durables, équitables et réalistes, il est donc normal que le sujet reste tabou !
La solution sera humaine avant tout
Nous avons atteint les limites du système. Le pétrole ne pourra pas être remplacé, techniquement, dans les délais dont nous disposons.
Si par miracle nous y parvenions, toutes les autres ressources viendraient à manquer car nous continuerions à les surexploiter, c’est mathématiquement certain.
Pourtant, il y a une solution et elle ne sera pas globale. Cette solution est la vôtre, celle de votre quartier, de votre ville ou de votre village. Il existe un objectif que chacun doit se fixer et viser en permanence, c’est la résilience. Et cela n’a rien d’idéologique, c’est au contraire très concret et mesurable.
Augmentation de la diversité et de la redondance des sources, mise en place de circuits courts et d’une monnaie locale pour favoriser les échanges vertueux au sein du territoire, modification des pratiques énergétiques, agricoles et sanitaires, investissements collectifs pour les infrastructures indispensables, ateliers de partage d’expériences et de savoirs, choix économiques basés sur les besoins de la population etc …
Il existe des outils permettant de comprendre ce qu’est la résilience et d’analyser pourquoi nous ne sommes plus résilients. Il faut maintenant se recentrer sur l’essentiel et mettre en place une gestion réellement durable et efficace des ressources locales pour répondre à nos besoins primaires.
Ne soyons pas naïfs non plus, la transition ne sera pas simple et imposera des sacrifices pour beaucoup d’entre nous. Mais des solutions existent pour préparer notre avenir et il n’est plus utile de s’enfoncer la tête dans le sable !
Le tabou tombe alors, la date du pic est sans importance lorsqu’on a compris qu’il arrivera de toute façon.
Nous pouvons tous passer à l’action mais pour cela, il est indispensable de remettre en marche la machine humaine qui s’est endormie progressivement, bercée par le doux ronronnement de nos moteurs à explosions.
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