Pourquoi pas
Yvan Levaï, dans son Kiosque sur Inter ce dimanche, citait longuement Bruno Frappat, directeur de La Croix, dans son éditorial, saluant l’arrivée de sa petite fille. Quoique ému, Frappat n’a pu s’empêcher de décrire le monde dans lequel la petite allait vivre. Pour faire bref, l’endroit n’est pas engageant, les problèmes nombreux et sans solution.
Ce beau texte, émouvant, m’a rappelé qu’il est quasi-impossible de parler avec des parents en devenir ou confirmés de leurs motivations. On s’aperçoit qu’ils y ont rarement réfléchi et leurs raisons – quand ils en ont – sont peu convaincantes. En fait, le domaine est celui de l’irrationnel. Les bonnes raisons de ne pas avoir d’enfants, il faut les chercher ailleurs, par exemple dans le livre de Corinne Maier « No Kid », paru en 2007 avec succès et scandale.
Pour le seul plaisir – petit et mesquin – de titiller les bonnes consciences, d’offusquer ceux qui veulent toujours plus de maternelles et d’encolérer curés et sages-femmes, j’en avais ajouté quelques autres.
L’annonce récente que la France allait compter 70 millions d’habitants dans quelques années me convainc que je ne mettrais pas la nation en danger en vous les soumettant.
Corinne Maier a publié No Kid (Ed. Michalon). Dans ce livre, très politiquement incorrect, elle démontre en 40 chapitres pleins de verve et de logique, les bonnes raisons de ne pas avoir d’enfants.
La liste de Corinne Maier est longue. Je trouve amusant de la prolonger.
- Écoutons John Brunner. Le génial auteur de Tous à Zanzibar fait dire à son héros, Chad Mulligan : « Il n’y a rien en vous de si fameux que cela mérite d’être perpétué physiquement dans votre propre descendance ».
Il suffit de se regarder, de pratiquer un minimum d’autocritique pour que l’évidence de sa médiocrité s’impose et fasse renoncer au risque de lancer dans l’existence un énergumène doté du même bagage génétique et qui aura la malchance de nous ressembler. L’autocensure devrait servir de permis de paternité et de maternité et être le meilleur des contraceptifs.
- De Cioran l’extralucide, dans son essai De l’inconvénient d’être né (Gallimard) : « J’étais seul dans ce cimetière dominant le village quand une femme enceinte y entra. J’en sortis aussitôt, pour ne pas avoir à regarder de près cette porteuse de cadavre ni à ruminer sur le contraste entre un ventre agressif et des tombes effacées, entre une fausse promesse et la fin de toute promesse ».
La peine de mort est donc une abomination et même le serial killer le plus épouvantable ne la mériterait pas. Quelle allégresse, quel bonheur pourtant à l’arrivée du nouveau-né, ce condamné à mort qui n’a commis que l’erreur d’avoir des parents amnésiques de la peur qu’ils ont de leur fin ou qui n’ont trouvé que ce moyen de se croire immortels.
NB : toute l’œuvre de Cioran est un long réquisitoire contre l’espèce humaine et son besoin irrésistible de se répandre, faisant d’elle le « cancer de la Terre »
- Les croyants, les catholiques – et cette réflexion ne peut intéresser que ceux-là – auraient – pour moi – une autre raison, encore plus impérieuse, de s’abstenir de faire des enfants. Je ne résiste pas à l’envie de m’appesantir quelque peu. Croissez et multipliez-vous était l’injonction qui faisait les familles nombreuses au nom de l’amour de Dieu. Cette obéissance à l’Ordre divin avait certainement pour corollaire – la plupart du temps – l’amour des enfants. Mais, n’était-ce pas qu’un moyen, parmi d’autres, de prouver sa dévotion et le respect du dogme ?
Le devoir du parent ne se limite pas à l’élevage de l’enfant, à son éducation. Il englobe le souci de ce qu’il va faire, de ce qu’il va être. Cette préoccupation devrait s’étendre même à son devenir post-mortem. Pour le catholique, pendant des siècles le choix était simple : paradis ou enfer. Aujourd’hui le mot enfer est devenu politiquement incorrect. Des pratiquants interrogés m’ont dit que le terme n’était plus employé. L’enfer, pourtant, n’a pas disparu du catéchisme. On le trouve dans la Première Partie (Deuxième section, Chapitre troisième, article 12, paragraphe 6, IV).
Si l’église ne le représente plus comme pendant les siècles passés où elle assurait son emprise sur les corps et les âmes par la terreur que sa représentation imagée imposait, les mots qu’elle continue d’employer en font un lieu qui reste inhospitalier. Tous les termes des évangiles sont repris : géhenne, feu qui ne s’éteint pas. Il y est dit que l’enseignement de l’Église affirme l’existence de l’enfer et son éternité. En fait le discours est alambiqué mélangeant l’amour miséricordieux de Dieu à sa condamnation pour ceux qui peinent à voir ses manifestations dans la vie qu’on les oblige à endurer. Si une catéchiste nous a dit ne pas parler de l’enfer aux enfants auxquels elle veut ouvrir les portes du ciel, le catholique pur et dur, élevé dans sa peur, ne devrait-il pas, par charité chrétienne - et mise à part l’envie de punir l’athée de son hérésie - éviter à sa progéniture le risque de faire le mauvais choix pour une éternité tandis que lui, décédé en état de grâce, la passera dans la béatitude de la proximité divine ? L’âme la mieux trempée devrait être effrayée de cette perspective, de cette responsabilité rendant impossible ce « bonheur infini », dans la « cité sainte de Dieu », « lieu de bonheur, de paix et de communion mutuelle ».
On pourrait encore justifier le refus par le souci de ne pas ajouter quelques innocents aux milliards qui s’entassent sur une planète exténuée par tant de succès. L’état des lieux devrait inciter à la circonspection. Les perspectives écologiques, climatiques, démographiques sont dissuasives. Le lieu risque de devenir de plus en plus malsain, avec des jungles urbaines tentaculaires et une nature en ruines. Feindre de l’ignorer participe du refus de réfléchir, d’un besoin atavique, archaïque, organique, d’une obéissance à un conformisme social dominant et d’un plaisir égoïste.
- J’attends avec impatience et intérêt le livre-réponse au travail de Corinne Maier. Il s’intitulera certainement Les 40 Bonnes Raisons d’avoir des enfants. Il faut en effet contredire avec rigueur, avec vigueur, tous ces fous, toutes ces folles qui veulent l’extinction de l’humanité en une génération et qui y travaillent sans vergogne, sans respect pour rien ni personne.
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