« Pourquoi tout va s’effondrer » de Julien Wosnitza
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Pendant que nos médias-milliardaires amusent le peuple avec des pseudos-scandales faisant semblant de traiter avec subversion des affaires d’État (Benalla) qui s’avèrent « étonnement » inoffensives, et que les zéros sociaux se délectent avec un plaisir à peine dissimulé de règlements de compte dans un Duty Free entre pseudo-rappeurs illettrés multi-millionnaires, idoles d’une jeunesse qui ne pourra pas s’enfoncer plus qu’elle ne l’est déjà, quelques hurluberlus, probablement de confession « scientifique », continuent invariablement de nous alerter sur l’imminence qui semble se resserrer toujours plus d’un effondrement de notre civilisation, pardonnez-nous du peu. Un sujet dont on pourrait penser qu’il pourrait au moins intriguer un peu plus que le temps de lecture du marronnier estival à propos du « jour du dépassement » des ressources mondiales, qui cette fois-ci était le 1er aout mais pourrait dans quelques courtes années advenir un 1er avril, ce qui ne serait pas pour autant une blague de bonne facture....
Tout a été dit sur le déni, ce biais cognitif voulant faire occulter à un individu ou un groupe une réalité par trop dérangeante. Par exemple lors d’un décès, la première réaction d’un proche pourra-t- être de continuer à croire que la personne est toujours vivante, malgré les annonces des médecins...
« - Madame, votre mari est mort hier soir d’un arrêt cardiaque, je suis désolé... »
« -Oui, je comprends, vous êtes sûr ? Quand est-ce que je pourrai le voir j’ai des affaires à lui donner ? »
Cette réaction d’incompréhension, souvent observée par les psychologues, se mue parfois en colère, suivie par une phase de tentative de marchandage avec la réalité, de tristesse assez profonde, et enfin d’acceptation, 5 étapes qui constituent le déroulement du deuil établi par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross à la fin des années 60.
L’on imagine aisément que la maladie mentale guette lorsqu’une personne se retrouve bloquée à un stade sans avoir la possibilité de pouvoir évoluer vers le suivant et que l’énergie de vie nécessaire à l’adaptation au changement en pareille circonstance se sclérose en dépression chronique, folie ou autre somatisation invalidante...
Ce qui est le cas individuellement, se constate évidemment à l’échelle collective, c’est d’ailleurs là que le problème se corse, l’inertie des foules- qui est plus ou moins grande en fonction de leurs tailles et de la gouvernance qu’elles se sont choisies (ou imposés)- pouvant retarder toute prise de conscience, non pas de quelques jours ou semaines, mais de plusieurs décennies, voire de plusieurs siècles, si bien que l’on pourrait se demander si certaines civilisations qui nous ont précédées et qui ont disparu s’en seraient même alors rendu compte…
Supputations intellectuelles, peut-être, mais si l’on observe le comportement actuel de bon nombre de nos contemporains qui ne sauraient même pas situer leur trou de bal sur une carte, on peut se demander si la conscience commune, qui se manifeste de manière biaisée -certes- à travers les centres d’intérêts médiatiques, mais avec une certaine ressemblance malgré tout, en seraient arrivée au stade du déni, que ce ne serait pas un simple pas pour l’homme mais bien un grand pas pour l’humanité, avant d’enclencher le suivant, qui nous permettrait- au moins légèrement- de pouvoir réagir, ne serait-ce qu’avec une certaine force d’indignation à ce qui est en train de se jouer de manière - il faut le dire- dramatique...
Car pour être dans le déni, il faut déjà un diagnostic clair et implacable, et force est de constater que ce constat n’est pas fait, ou pour le moins noyé dans le flot perpétuel d’informations contradictoires, divertissantes, propagando-consumériste, ou autres faits divers qui n’ont que pour effet de faire diversion (Bourdieu).
L’objectif de cet article, inspiré par le (bien trop) petit ouvrage de Julien Wosnitza ("Pourquoi tout va s’effondrer", LLL, 2018, 70 pages sans les pré et postface) qui ne nous apprend pas grand-chose de plus que Pablo Servigne et Raphaël Stevens ("Comment tout peut s'effondrer", Seuil, 2015) mais qui a au moins l’avantage de posséder un titre tout aussi "accrocheur" et un sujet qu'il serait original de proposer au bac, est de faire réinvestir l’espace qui lui est dû à un thème difficile à appréhender, nous le reconnaissons, le jeune essayiste annonçant la fin probable de notre mode de vie actuel non pas pour 2100 comme se plaisent à l’imaginer certains experts es-réchauffement climatique de seconde partie de 20h de TF1 ou de France 2, c’est à dire supposément à l’époque de nos petits enfants qui se démerderont tant bien que mal avec la patate chaude qu’on leur aura refilé (la planète), mais plutôt pour 2030, selon les recherches scientifiques auxquelles il se réfère (notamment le célèbre rapport Meadows sur les limites de la croissance qui semble selon lui faire foi chez de nombreux chercheurs), et tout cela, crise financière exclue…
2030, c’est demain…. Mais 2040 ou 2050 aussi...
Autant dire que l’effondrement, nous y sommes déjà, nous le savons et les évènements vont aller selon toute vraisemblance en s’accélérant :
Concrètement, d’après l’auteur, et pour piqûre de rappel, surtout pour ceux qui ne suivent pas l’actualité ou qui en douteraient encore :
Nous vivons :
-Avec une population mondiale en augmentation vertigineuse : de 1,5 milliards en 1915 à 7,2 milliards en 2015, c’est à dire multipliée par 5 ans en cent ans, et la courbe croit de manière quasi-exponentielle.
-La sixième extinction de masse des espèces vivantes :
la moitié des animaux aurait disparu en 40 ans sur Terre, 1/3 des espèces d’oiseaux, 75 % des insectes en Europe en 30 ans qui sont pourtant à l’origine de 80 % de la pollinisation des plantes, fruits et légumes que nous consommons compris. Un taux de disparition des espèces 1000 fois supérieur à la moyenne dans le monde.
90 % des baleines et requins disparus en quelques décennies, disparition du phytoplancton et du krill et toutes les espèces surpêchées dont la moitié rejetées à moitié mortes en mer car non comestibles. Extinction presque totale de la faune marine sauvage prévue de manière optimiste dans 25 ans.
- Asphyxie progressive des océans (surpêche, acidification, réchauffement, pollution, montée des eaux,...) qui ne peuvent plus au passage fixer le CO2 et délivrer son oxygène (pourtant estimé être à l’origine de 50 % de l’oxygène atmosphérique) normalement.
-95 % de la vie des sols perdue en 50 ans en raison de l’agriculture moderne.
-En dépit des beaux discours, 92 % de l’énergie mondiale est toujours d’origine fossile. Les pics de gaz et de pétrole auraient été dépassées selon certains experts en 2010 et 2006. Le pic de charbon le sera en 2020. Les énergies dites « renouvelables » (1 % dans le monde), point d’appui des promesses électorales, peu rentables et grosses consommatrices de métaux et d’énergie à l’installation et l’entretien, ne sont pas adaptées à notre mode de consommation actuel. La filière nucléaire, polluante et dangereuse, fait appel à des gisements non-renouvelables.
-Les métaux rares ne sont pas recyclables. Seuls 1 % des métaux d’un smartphone est recyclé et réutilisé. La plupart des pics de production des métaux ont déjà été franchis. Les principales réserves de certains métaux se trouveraient en Corée du Nord.
-60 % des terres agricoles le sont pour nourrir ou élever le bétail, gros générateur de gaz à effet de serre et consommateur d’eau, et autres ressources énergétiques. Malgré la focalisation de l'opinion sur les ravages de l'huile de palme, 85 % de la déforestation amazonienne se fait pour libérer des terres destinées à produire l'alimentation bovine.
-Malgré les sommets et les accords internationaux qui s’enchaînent concernant le réchauffement climatique, c’est le scénario d’augmentation à 5 ° qui semblerait se profiler de plus en plus. Pour en rester aux préconisations du GIEC à une limitation à 2 ° maximum, il faudrait diviser notre niveau de vie collectif par 6 immédiatement. 10 pour les occidentaux. 15 pour les américains. Autant aller se faire cuire un oeuf ! Par ailleurs, les effets accélérateurs et vicieux cumulés de la fonte des pôles et de leur effet miroir, des glaciers et du pergélisol, entre autres, sont imprévisibles, de par les réactions en chaîne qu’ils pourraient générer. La montée des océans, et les changements de climat risquent de déplacer des millions de personnes et provoquer d’énormes tensions et conflits sociaux. Ne parlons pas de l'instabilité géopolitique, déjà très élevée.
-Les politiques mondiales d'orientation très libérale menées actuellement vont à l’encontre des mesures drastiques qu’il faudrait entreprendre. Aux crises écologiques et démographiques, s’ajoutent l’instabilité financière et économique du système mondialisé, assis sur une faille tectonique.
-Nos systèmes "démocratiques" ne sont pas adaptés à la prise de mesures politiques contraignantes de long terme qui demandent une vision à long terme. Et les dictatures en ont largement rien à cirer...
-etc etc...
En gros : les fuites étant bien plus nombreuses que les colmatages, avec de l’eau déjà jusqu’à la taille, le navire est bel et bien voué à sombrer inéxorablement.
La position de Wosnitza, des plus pessimistes quant aux échéances, est donc, vous l’aurez compris, que notre sort est scellé, qu’il ne s’agit plus d’éviter l’effondrement, mais de "limiter la hauteur de la chute", ce qui nous paraît aujourd’hui une approche plutôt censée et pragmatique, bien qu’a priori déprimante.
L’auteur dresse selon nous une liste un peu rapide de mesures qu’il serait selon lui nécessaire d’entreprendre dès à présent.
Nous pensons ajouter qu’un travail urgent de deuil individuel semble nécessaire quant aux dernières illusions que nous pourrions entretenir sur la durabilité de notre société d’opulence, y compris de notre vivant. Alors, plutôt que de faire l'autruche indéfiniment, pourquoi ne pas entamer sérieusement notre propre révolution intérieure ?
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