Pourquoi un pétrole à bas prix est une aubaine pour la transition énergétique et la paix ?
L’inquiétude grandit dans le monde de l’énergie alternative aux énergies fossiles, et les raisons semblent évidentes. Avec un pétrole à 25 dollars et l’entrainement dans son sillage du prix du gaz et du charbon, plus aucune énergie alternative ne reste compétitive face à ces immuables ressources fossiles, dévastatrices pour l’effort d’extraction que pour leur consommation. Par souci d’optimisme, prenons le problème à l’envers.
En sollicitant la loi du marché pour donner de la viabilité économique aux énergies alternatives, nous n’avions pas réussi à pallier à un problème de taille : l’investissement dans l’innovation. Lorsque le pétrole était à son plus haut niveau, des sommes phénoménales ont été investis dans de nouvelles technologies pour réduire la consommation, notamment dans le transport. Ces innovations ont permis aux sociétés les plus avancées technologiquement d’améliorer l’efficience énergétique de leurs appareils productifs. En parallèle, le gain de compétitivité automatique des énergies renouvelables par rapport aux fossiles ont incité certains industriels à parier sur le vert, dans l’espoir de concurrencer frontalement le pétrole et le gaz dans des secteurs très rentables.
Mais cette logique évidente n’a pas été vérifiée, du moins pas dans les dimensions espérée. Car sur cette même période de pétrole onéreux, jamais l’investissement dans la technologie d’exploitation et production de pétrole et de gaz n’a été aussi élevé. Le secteur parapétrolier a connu une croissance d’activité sulfurante, dans un contexte économique, financier et fiscal, très avantageux. En effet, les pays émergents semblaient galoper vers une consommation pérenne, et les investisseurs financiers étaient en quête de nouveaux leviers alors que l’Europe, le Japon et les Etats-Unis sortaient péniblement de la crise de 2008. Il y a eu la bulle en Chine, en Asie du Sud-Est, mais aussi une euphorie pour le secteur pétrolier et parapétrolier. Le niveau de marge des entreprises de ce secteur explosait les records, au moment où les plans de réduction d’actifs s’enchainaient. Ces centaines de milliards de dollars annuels ont permis au système productif pétrolier de dépasser ses limites avec l’exploitation intensive du Gaz de Schiste, du sable bitumineux, l’offshore profond et l’exploration naissante vers des latitudes polaires jusqu’alors inatteignables. Jamais nous n’avions autant cherché de pétrole. Ce niveau des prix permettait l’impossible.
La comparaison avec l’expansion des énergies vertes est frustrante : entre 2005 et 2013, le secteur pétrolier est passé 300 à 700 milliards de dollars annuels d’investissement dans l’exploration/production, tandis que le secteur du renouvelable de 65 à 215 milliards de dollars sur la même période. L’évolution n’est pas comparable, mais les volumes révèlent le décalage. Autre signe, l’investissement dans le renouvelable a diminué de 23% entre 2011 et 2013, période durant laquelle la moyenne du prix du pétrole a été la plus élevé de l’histoire de cette ressource. La corrélation entre baisse de compétitivité du pétrole et hausse de l’investissement dans le renouvelable n’est alors pas vérifié.
Aujourd’hui, la priorité dans le secteur du renouvelable réside dans la transformation de son offre, grâce à un élan d’investissement, avec pour objectif collectif d’améliorer sa compétitivité et sa commodité. Mais cet effort peut aussi s’aider de la perte de rendement des investissements dans le marché pétrolier. Ces quelques 700 milliards de dollars investis en 2013 existent sur les marchés financiers et doivent aujourd’hui trouver un nouveau point d’ancrage, puisque le secteur pétrolier ne rapporte plus. C’est grâce à l’implosion du secteur pétrolier que l’investissement du renouvelable peut rebondir, avec le soutien financier et fiscale des pouvoirs publics, grâce à leurs pouvoir d’incitation ainsi que leurs outils d’innovations, portés par la force de la recherche universitaire. Puisque ceux-ci peuvent désormais profiter de la baisse du prix du pétrole pour faire émerger une vraie politique de lutte contre l’émission de carbone, sans pour autant asphyxier le système économique de taxes supplémentaires. Le pétrole ne valant plus rien physiquement du fait de l’abondance d’offre, il est temps de revaloriser son cout environnemental, au profit de l’investissement public dans les énergies alternatives.
A l’heure où les Etats-Unis décident de rapatrier les capitaux étrangers avec un adoucissement de la politique monétaire, il est temps pour ce pays, historiquement à la pointe, d’investir dans des technologies nouvelles. A la suite de quoi, le monde industrielle suivra la tendance, comme il l’a toujours fait. Le Brésil, le Venezuela, l’Algérie, le Mexique, le Nigeria, la Russie, l’Arabie Saoudite, ces grandes puissances en difficulté financière n’auront d’autres choix que de diversifier leurs économies pour ne pas s’engouffrer dans la dynamique inflationniste qu’une crise pétrolière durable leur ferait subir, si celle-ci n’a déjà pas commencé. Leur intérêt pour les énergies alternatives encouragerait l’évolution des marchés à l’échelle mondiale.
Dans les pays importateurs comme en Europe ou en Asie, l’aubaine offerte par un pétrole à prix cassé libère une quantité importante de capitaux grâce à un rééquilibrage de la balance des paiements. Ce rééquilibrage pourrait être pérennisé si ces pays se réapproprierait leur production d’énergie grâce à des alternatives plus locales, mises en réseaux, et destinées à un circuit production/consommation régionalisé plutôt qu’en étant dépendant d’un marché mondialisé et volatile. En plus d’être un gain environnemental, la conversion vers une énergie renouvelable relocalisée réduirait l’implication néfaste de certaines puissances dans la quête de stabilité entre nations, tel qu’en Amérique Latine, en Afrique ou encore au Moyen-Orient. Producteurs et consommateurs regagneraient en souveraineté, en stabilité politique et en autonomie économique, ce qui peut aider au développement sociétal des régions les plus touchés par les méfaits de l’or noir en termes d’inégalités et de sécurité.
Enfin, ce déséquilibre mercantiliste imposé par le marché des matières premières réduirait la nécessité pour les pays importateurs de réduire leurs déficits commerciaux avec une politique poussive d’exportation (et tous les efforts de gain de compétitivité du travail qui va avec ainsi que la guerre des monnaies), ce qui aura pour conséquence une dé-mondialisation du commerce de biens au profit d’une régionalisation des échanges au sein de systèmes monétaires et économiques unifiés. Cette réduction de la croissance des échanges commerciaux aura un impact certain sur la pollution industrielle et les désastres écologiques qu’ils engendrent. En résumé, la perte d’influence d’un marché pétrolier mondialisé au profit d’énergies renouvelables régionalisées rééquilibrerait l’indépendance économique et politique des nations du globe, réduira l’influence du système financier à l’échelle mondiale, tout en réduisant l’activité de transport de marchandises, l’une des plus polluantes parmi beaucoup d’autres.
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