Pouvoir d’achat : un terme trop marketing pour être honnête ?
Quand la terminologie politique s’inscrit (durablement) dans le crâne des citoyens.
Il est intéressant de constater que les mots et plus encore les expressions toutes faites (entreprises citoyennes, débat participatif, développement durable…) surgissent tout à coup dans notre vocabulaire quotidien au point qu’on retrouve leurs occurrences de manière prononcées dans le paysage médiatique et politique alors que leur inexistence jusqu’alors ne dérangeait personne. Comme les prénoms en quelque sorte, ces expressions ont une période exotique, pionnière, dans le vent et conformiste avant de devenir éventuellement ringardes.
A la frontière entre le politiquement correct, la novlangue et l’hexagonal, ces expressions sont fabriquées en accolant deux termes au point que l’entité crée pourrait presque devenir un mot à part entière où il ne manque plus que le trait d’union. Pour une part de ces expressions, on notera l’analogie avec les phrasals verbs anglais. Des termes qui, une fois accolés prennent une signification différente. Par exemple, « to get on with » signifiera : être ami avec ; signification bien différente de « to get ».
Ainsi, « débat » est démodé, un « débat participatif » fait beaucoup mieux. De même, accolez citoyen à n’importe quel terme bateau (au hasard : media, entreprise, votation…) pour l’auréoler d’une emphase nouvelle dont la définition n’est dans aucun dictionnaire ce qui permet de faire croire à peu prêt tout et son contraire.
Car ces manipulations linguistiques sont également là pour favoriser la manipulation mentale. N’oublions pas que les mots ont un sens et qu’ils permettent de faire passer des idées. Prenons pour exemple le terme « pouvoir d’achat » dont l’occurrence a montré une croissance fulgurante ces derniers mois.
Il est présent partout, sauf peut être, paradoxalement, chez ceux qui en ont besoin. Un peu trop présent me répète mon cerveau quand son temps disponible le permet. La saturation est proche : une pub télé nous annonce « cela nous concerne tous : le pouvoir d’achat recule » mais grâce à l’enseigne, à condition d’aller chez elle, ça va changer ! Peu de temps avant, le distributeur concurrent essayait de nous prouver par A+B qu’il devrait vendre des médicaments pour sauver le budget des ménages français (cette campagne a fait l’objet de différentes plaintes, et d’une : contre-attaque elle a été retirée).
A la radio, sur les affiches, dans les préoccupations des instituts de sondages, dans la bouche de nos dirigeants : le pouvoir d’achat est omniprésent. Un terme galvaudé comme cela en concept marketing pour marchands de lessive ou assimilés ; ça devient de l’aliénation visible.
Mais d’où provient cette aliénation médiatique ? Peut être une explication en lisant ce document :
A la fin, dans les commentaires, nous pouvons relever ceci :
[...] M. Jérôme Chartier a souligné que le pouvoir d’achat est devenu la première préoccupation des Français, comme le montrent plusieurs sondages d’opinion récents. Le débat sur le pouvoir d’achat s’est progressivement substitué à celui sur le coût de la vie. Ce changement de vocabulaire représente une première victoire : l’expression « pouvoir d’achat » est volontariste et proactive, tandis que la référence au « coût de la vie » révèle une attitude passive et fataliste. »[...]
Et voilà le truc, le pouvoir d’achat n’est pas né par hasard, il remplace le terme coût de la vie, bien trop négatif ! Un peu comme « personne de couleur » peut remplacer « noir ». De là à dire que la situation économique vécue d’un ménage est surtout dans la tête des personnes qui le composent…
En tout état de cause, voilà qui nous rappelle singulièrement la positive attitude !
Signe des temps qu’une expression majeure de campagne présidentielle en soit arrivée à être adulée par les créatifs de slogans publicitaires pour panier de la ménagère (de moins de 50ans). Mais on ne s’étonnera pas une fois de plus que les politiques nous mettent en tête de nos préoccupations ce qui les intéresse (l’insécurité hier, le pouvoir d’achat aujourd’hui…)
Nous ne pouvons améliorer la condition des gens, faisons simplement en sorte qu’ils aient le moral, qu’ils soient dans le « move » présidentiel du combat permanent, quitte à ce que les expressions, qui à la base ne sont pas fausses mais orientées, et constamment martelées jouent le jeu d’une certaine forme de pouvoir… mais politique cette fois.
Jusqu’à l’écoeurement ?
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