Principe de précaution et technophobie
Le principe de précaution en France s’impose depuis février 2005 comme un principe constitutionnel et il n’est pas de sujet d’inquiétude, des OGM aux antennes des réseaux des téléphones mobiles, qui ne soit l’objet d’une controverse qui ne fasse usage de ce principe pour obtenir soit un moratoire, soit une limite, soit une interdiction de certaines technologies jugées menaçantes pour l’environnement et/ou la santé publique.
Or toute incertitude sur un possible dommage dû à une nouvelle technologie est susceptible de nourrir le refus subjectif de toute technologie nouvelle ou technophobie au prétexte qu’elle ferait courir un risque non encore avéré à l’environnement . Ainsi, en étendant le sens du principe de précaution à l’extrême, toute nouvelle technologique serait par définition inquiétante et donc justifierait qu’on limite, voire que l’on renonce à son usage plus ou moins indéfiniment au regard de risques potentiels, non encore envisagés ou reconnus, qu’elle pourrait faire courir à la population et à nos conditions dites « naturelles » de vie. De fait, le principe de précaution deviendrait un obstacle constitutionnalisé à l’évolution technique ou technologique en général. Il ne serait plus qu’une justification du conservatisme des technologiques et des modes de vie passées, c’est à dire passéistes.
Or que dit ce principe, peut-il permettre de faire de l’inquiétude subjective, non validée objectivement, un motif public suffisant d’interdiction ou de limitation d’une nouvelle technique, voire d’une nouvelle technologie ? Les pouvoirs publics doivent-ils se soumettre à l’expression de cette inquiétude au risque de nourrir la technophobie subjective (ou peur imaginaire de la technique), voire obscurantiste (anti-scientifique), d’une partie de la population ?
« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » (article 5).
Une première lecture du texte semble permettre d’écarter ce risque de technophobie paralysante et passéiste dès lors qu’il suspend toute décision publique définitive éventuelle, qu’il faut distinguer d’un moratoire temporaire, d’une évaluation scientifique et donc technique des risques objectifs en vue de parer la réalisation d’un dommage avéré. L’inquiétude purement subjective ne peut être qu’un motif temporaire de poursuivre les études sur d’éventuels dommages avérés, mais en aucun cas une raison suffisante pour renoncer à tout progrès scientifique et technologique. Ce qui veut dire que le principe de précaution ne peut être, au terme d’une étude objective de la réalité d’un dommage, qu’un principe de prévention et non pas une réponse positive à une simple inquiétude subjective sans fondement scientifique déterminable. En ce sens le principe de précaution n’est qu’un principe de maîtrise technique et scientifique du risque objectif grave et irréversible donc compromettant la santé publique sans correctif ultérieur possible.
Mais, précisément, l’incertitude dont parle le texte n’est-elle pas le fait même de l’évolution des sciences et des techniques ? Celles-ci peuvent-elles la réduire au point de la faire cesser ?
Si ce n’est pas le cas, seul un temps indéfiniment long pourrait permette d’écarter tout dommage éventuel et donc d’y parer. Cette insuffisance de la maîtrise scientifique dans la prévention des risques de l’évolution technologique serait alors constitutive des sciences et serait suffisante pour justifier la menace et la méfiance subjectives dans la mesure ou celles-ci seraient la conséquence subjective d’un risque potentiel inscrit objectivement dans la pratique scientifique et technique elle-même. Toute nouvelle technologie serait par nature risquée dans la mesure où elle serait incapable de mesurer à long terme les risques réels encourus. Le principe de précaution devrait donc devenir un principe de renoncement à toute évolution technologique, des comportements et des modes de vie qu’elle génère.
Il est fallacieux de citer à ce sujet l’usage de l’amiante dans le mesure où le risque pour la santé publique était scientifiquement connu depuis le fin de du XIXème siècle et que les pouvoirs publics ont refusé pour des raisons économiques et politiques d’en tenir compte. En ce sens le principe de précaution comme principe de prévention (prévenir un risque avéré et reconnu), doit s’imposer à la puissance publique et n’est du reste pas l’objet du texte constitutionnel cité. C’est plutôt l’exemple dit de la vache folle qui pourrait nous servir de modèle. Il n’était, en effet, pas possible de prévoir le mode de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob de la vache à l’homme en l’état des connaissance de l’époque. Aucun soupçon du risque n’était scientifiquement fondé et c’est la réalité du dommage qui a entrainé la recherche et la découverte de son enchainement causal et qui a révolutionné au passage l’idée antérieure trop limitée d’infection. Cet exemple serait-il emblématique et justifierait-il une inquiétude subjective générale à l’égard de l’évolution technologique et la confusion entre risque objectifs et risques subjectifs que le texte constitutionnel prétendait écarter ?
Sauf à prétendre renoncer à tout progrès technique et donc à l’évolution de l’espèce humaine elle-même il nous faut refuser cette prétendue valeur exemplaire générale de l’exemple de la vache folle. Sauf à verser dans un obscurantisme passéiste et mythique, le problème est donc politique avant que d’être technique :il ne s’agit pas de promouvoir le risque zéro, impossible sauf nier la condition d’existence et de survie avérée de l’espèce humaine, ni le refus de tout dommage potentiel, car c’est aussi par le dommage avéré que nous pouvons progresser dans la connaissance du monde et de nous-même -et ceci est la seule leçon rationnelle à tirer de la maladie dite de la vache folle-, mais il convient de mettre les sciences et les techniques au service des hommes et non d’intérêts économiques privés prédateurs de nos conditions de vie.
La question essentielle est donc de savoir quelles procédures démocratiques, lesquelles doivent inclure l’expertise scientifique indépendante de ces intérêts privés, faut-il mettre en place pour décider du développement contrôlé de telle ou telle technologie innovante.
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