La polémique sur les quotas d’entrée aux grandes écoles fait rage. La vraie question posée est la suivante, un pays qui compte 65 millions d’habitants peut-il recruter ses élites dirigeantes dans les 10% des catégories sociales les plus favorisées ?
Comment faire face à la compétition mondiale des cerveaux avec une base sociale aussi étroite ? Le constat est sans appel en 40 ans l’ascenseur social s’est déglingué. Au-delà de l’injustice flagrante que cela représente pour tous ceux qui se voient du coup boucher des perspectives de projet de vie, cette glaciation en haut de la pyramide présente un danger mortel pour la cohésion sociale de la France et à terme pour sa position dans le monde.
Où situer la responsabilité d’une telle injustice économiquement suicidaire, comment y remédier ? Voilà une question qui concerne à la fois la démocratie et l’entreprise au sens large.
Situer le mal uniquement au niveau des modalités de concours d’entrées dans les écoles les plus prestigieuses de la Nation serait démagogique et masquerait le fait essentiel, c’est sur la totalité de la chaine de valeur de notre enseignement qu’il faut travailler.
Pour autant faut-il attendre le grand soir d’une réforme de rêve pour agir partout où cela est possible pour améliorer la donne ? Assurément non, une attitude responsable suppose que l’ensemble des acteurs concernés agissent là où cela est possible pour changer les choses. Le débat est politique au sens noble, il ne peut se limiter à trouver des arguments électoralistes.
Le constat, une sélection injuste et malthusienne des « meilleurs »
Si l’on considère les grandes écoles scientifiques et de management qui tiennent le haut du pavé (Centrale, Polytechnique, Agro Paris Tech, L’école des Mines de Paris et Ponts et Chaussées) de même que les principales écoles de Management (HEC, ESSEC, ESCP Europe) la part des étudiants aidés par des bourses se situe entre 12 et 15%. On objectera que le taux de boursiers n’est pas le seul critère à prendre en compte pour parler de diversité, il faut considérer les étudiants issus des filières hors concours, la part des étudiants étrangers (47% à ESCP Europe, 25% à HEC).
Néanmoins la base sociale de ces écoles demeure très fermée, et le bagage culturel (langues, outils de base, information) et financier (coût de l’enseignement) des parents demeure un critère essentiel de réussite à intelligence égale.
Il serait absurde de considérer qu’une démocratisation en terme d’origine sociale ferait automatiquement baisser le niveau de ces écoles. Sauf à ce que le recrutement soit totalement formaté, comme c’est un peu le cas actuellement, chacun arrive avec ses forces et ses lacunes La position adoptée par la Conférence des Grandes Ecoles est, sur ce point, défensive et maladroite.
Il serait tout aussi absurde de considérer que c’est au seul niveau des concours que l’on va changer les choses et modifier la tendance lourde sans passer par une action à tous les niveaux de la formation pour revenir à plus d’égalité des chances tant sur le plan de l’origine géographique que sociale.
Des solutions sur l’ensemble de la chaîne de valeurs de l’enseignement encourageant toute expérience positive.
L’information, la recherche systématique des meilleurs éléments dans les zones défavorisés, la démocratisation de l’accès aux langues et à la culture de base sont autant de pistes à creuser.
De même on aurait tort de ridiculiser les efforts faits par certaines grandes écoles pour redresser la barre. De ce point de vue, ce n’est pas parce que les réalisations de Sciences Po sont soutenus par une partie de la droite que les progressistes doivent en méconnaitre les mérites. Il faut sortir ici du débat politicien et encourager les initiatives positives. Il en est de même paradoxalement de certaines initiatives comme celles de l’ESSEC avec son programme « Une Grande Ecole Pourquoi pas Moi » (programme PQPM) créé en 2002 qui par un partenariat avec 8 lycées ont mis en action 200 élèves de cette école pour transmettre aux lycéens des zones défavorisées une ambition professionnelle en les accompagnant pendant les trois dernières années précédent le bac.
Le piquant veut que le directeur de cette institution dynamique et innovante par ailleurs soit obligé de défendre une position d’apparence malthusienne.
Au total, si le débat est mal posé la question est bien réelle et il serait opportun qu’au lieu de se livrer à des querelles politiciennes les acteurs de notre France de demain recherchent des solutions démocratiques et efficaces en évitant de rester à la surface des choses.