République cache-sexe pour politiciens médiocres
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La République est attaquée ! Une fois que l’on a dénoncé le caractère odieux du crime de Conflans-Sainte-Honorine c’est à une réflexion sur ce qu’est la République aujourd’hui dans une société telle qu’elle est que nous devrions entreprendre. Or, loin de là les politiciens et les traditionnels aboyeurs (intellectuels supermédiatisés, journalistes, etc.) n’ont de cesse que de mettre en avant les algues qui couvrent une mare sociale où une vase épaisse entraîne à des maux dont certains finissent par s’exprimer à travers un assassinat odieux, des attentats inqualifiables mais bien réels. Pourtant ils sont nombreux ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme : Georges Bensoussan dès 2002 dans son ouvrage « les territoires perdus de la République », Gilles Kepel depuis qui conduits depuis des années des études sur l’évolution du phénomène islamiste et l’évolution du monde arabo‑musulman, jusqu’à un inspecteur général de l’Éducation nationale qui en 2004 remettait un rapport alarmant sur les atteintes à la laïcité dans l’École, et tellement d’autres historiens, sociologues, psychologues. Surtout n’expliquons pas, nous serions taxés de vouloir tout excuser. C’est ce refus d’analyse et d’explication qui conduit à ne pas voir la réalité d’une société et de phénomènes sociaux.
Alors aujourd’hui, comme chaque fois après un attentat, on voit déferler sur les médias télévisuels l’ensemble des phrases habituelles mettant en avant un premier groupe de politiciens et d’intellectuels : une droite extrême et autoritaire qui n’a toujours pas assimilé sa défaite dans la « Guerre d’Algérie » et qui, plus largement, n’accepte toujours pas la décolonisation à tel point qu’elle fait perdurer un ersatz de colonisation dans une France‑Afrique de plus en plus bancale. D’un autre côté sont les tenants xénophobes, anti‑immigrés sauf si les immigrés sont « comme nous », faut-il mettre dans ce groupe un ministre de l’Intérieur qui ne supporte pas de voir dans les supermarchés des rayons dédiés à des nourritures taxées d’être liées à une religion. Troisième côté, ceux qui sous prétexte de respect des personnes ont fermé les yeux sur les causes profondes et le malheur qu’est l’immigration ainsi que sur les conditions déplorables d’accueil en France. Enfin, quatrième côté, il y a la masse de ceux qui sont caricaturables par les « trois singes » : je ne vois rien, je n’entends rien, je ne dis rien, qui ne sont ni méchants ni bons, c’est au gré des circonstances. Au centre on trouvera les tenants du « en même temps », du « ni cela ni ceci » qui picorent au gré de leur humeur du jour chez les uns et les autres, chez ceux‑là il n’est pas rare de voir émerger un autoritarisme de circonstance qui pourrait être pertinent s’il n’avait le défaut de s’installer dans la durée, de perdurer. Chez ceux‑là, émerge la doxa, la pire des doxas celle des faux‑sachants, ceux qui savent tout sur tout comme Patrice Pelloux qui nous dit que la France est arrivée à un point de non‑retour comme si dans le fil de la vie nous pouvions réellement retourner en arrière, et Eddy Mitchell, interviewé par l’inénarrable Laurent Delahousse, nous expose que la justice n’est pas assez sévère, opinions que cela ou discussion de café du commerce ? En tout cas ces discours ne reposent ni sur une connaissance scientifique ni même sur une connaissance de la société ; ce ne sont que des discours convenus et creux de nantis éloignés depuis longtemps des réalités sociales. Outre cette doxa en tout genre, de quelles inepties, parfois dangereuses pour la société, les uns et les autres des politiciens et des intellectuels du microcosme nous abreuvent-ils ?
La droite extrême bien représentée par le parti Les Républicains (LR) propose, comme à son habitude, des mesures autoritaires et remarquablement coercitives, quitte à bafouer les Droits Humains fondamentaux et en contravention avec le Droit International. Ainsi on voit refleurir l’expulsion des condamnés étrangers ce qui s’appelle une « double peine », la déchéance de nationalité pourtant interdite par le Droit international. Ils osent même proposer une refonte de la Constitution pour proscrire le fait de refuser l’application d’une loi en raison de sa religion alors qu’il est déjà inscrit dans le marbre législatif que l’on ne peut pas s’opposer à appliquer la loi ; nous noterons, au regard des nombreuses affaires, qu’en cette matière les élus ne sont pas vraiment exemplaires. S’il s’agit, comme le suggérait un sénateur de s’opposer à ce qu’un homme refuse que son épouse soit examinée par un médecin homme, il faudra inscrire dans la loi que le malade n’a pas le choix de son médecin ce qui obligera à défaire la législation actuelle et sera en contravention avec les libertés de penser. Voilà qu’on ne pourrait plus choisir ni sa façon de s’habiller et de se faire soigner si on est musulman alors que n’importe quel catholique intégriste peut refuser l’avortement à sa fille mineur et que le Ministre de l’Éducation nationale veut imposer que les élèves s’habillent de façon républicaine ! Quant à toutes les calembredaines habituelles : renforcer les moyens de la police, fermer les Mosquées et les associations, avoir une justice plus sévère, etc., on se demande bien pourquoi ils ne les ont pas mis en œuvre avant alors qu’ils ont été au pouvoir 44 ans sur les 72 qui nous séparent du premier gouvernement après la Seconde Guerre mondiale. Au-delà de cela, à part le renforcement des moyens de la police (j’en parlerai plus loin) qu’ils ont largement détériorée, toutes leurs propositions ne valent pas plus que les menaces d’un Père Fouettard cacochyme et sénile.
Le deuxième groupe, représenté sur la scène médiatico-politique par le Rassemblement National, nous assène les mêmes remarques depuis sa naissance qui sont tellement similaires à celles de la droite. La différence n’étant que dans l’expression affirmée de sa xénophobie et de son rejet de l’immigration que la droite de la bien-pensance cache pudiquement.
Si ces deux premiers groupes n’ont vu de l’évolution de la société française qu’un moyen de s’arcbouter en s’appuyant sur des principes souvent incertains (laïcité, république, État, nation) contre une population qui les gêne lorsqu’elle essaie d’exister, c’est qu’ils se cachent derrière une République qu’ils bafouent allègrement. Essayez donc de voir ce qu’il y a d’égalitaire et de fraternel dans leurs politiques. Le troisième groupe, mû par une idéologie souvent fumeuse, un maniement de concepts (république, laïcité) du même niveau intellectuel que pouvait être gastronomique la tambouille des cantines autrefois, s’est caché derrière son petit doigt pour ne pas apporter de réponse à une évolution criante de la société. Rappelons‑nous l’histoire (1989 à 1994) du foulard islamique à l’école où le ministre Jospin publia une circulaire laissant libres les enseignants d’accepter ou de refuser une enfant pourtant le voile alors que le Conseil d’État qu’il avait sollicité avait indiqué qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre le port du voile en classe et le principe de laïcité ! Quelle réponse les Socialistes ont-ils donnée à la Marche des Beurs ? Quelles réponses ont-ils apportées aux problèmes de vie dans les banlieues : la politique de la ville de Bernard Tapie qui pensait que le football et l’animation de loisirs par des policiers allaient permettre à des gens dans la souffrance et la relégation de vivre mieux ? La Gauche a laissé de multiples formes de ghettoïsation s’installer en France : à l’école, dans le travail, dans les banlieues. On pouvait penser que le PS revenant au pouvoir en 2012 les services publics en banlieue allaient renaître, loin de là, il n’a su que mettre en avant un Premier ministre qui refusait (et refuse toujours) toute analyse et pour lequel toute explication ne serait qu’une tentative d’excuser l’inexcusable et une promotion de la criminalité. Ce faisant le PS sous Hollande et avec Valls a rejoint une démarche « droitière » où l’on refuse de regarder la société et de prendre en compte les gens, à part bien sûr les élites. Notamment il y a eu, largement relayé par le corps enseignant et les associations laïques, un refus de voir croître le phénomène religieux qui a été rejeté dans un catalogue de vieilleries dont on parle de temps à autre pour rappeler que « dans le temps » les gens étaient incultes, c’était l’obscurantisme, mais qu’aujourd’hui les gens sont tellement mieux avec d’autres formes d’emprise, d’addiction et de religiosité, c’est la lumière : alléluia. Ce n’est pas comme ça dans la « vraie vie » et c’est, bien sûr, plus complexe. Pourtant la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES) ne cessait d’alerter.
Voilà que nous arrivons au centre : ni droite ni gauche, en même temps, tout doit se construire autour de la valorisation des « premiers de cordée », les autres ne sont rien. Les premiers représentent dignement la nation et valorisent le pays, les autres coûtent « un pognon de dingue » versé à fonds perdu. Toutefois comme on craint les émeutes (qui n’ont pas été évitées en 2018-2019) le gouvernement distribue, avec force publicité servi par des journalistes affidés ou stupides, quelques poignées d’écus pour calmer les ardeurs mais au bout ne règle rien de la misère sociale dans laquelle vivent « les sauvageons ». Si on peut espérer que le dédoublement des classes de CP et de CE apporte quelques bienfaits dans le long terme en quoi cela règle‑t‑il le problème des difficultés à finir les fins de mois qui est un problème immédiat ? Quand ces enfants qui auront mieux profité de l’école seront adultes, qu’est-ce que la société leur offrira : la défiance, l’interdiction de pratiquer leur religion en toute quiétude, la relégation dans leur ghetto ? En attendant ils vivront dans l’interdiction de connaître leurs racines culturelles donc de faire des choix raisonnés, on prend alors le risque de les contraindre à adhérer par docilité filiale à une culture trop traditionnelle (pour faire simple). Quelle place et quel rôle pour l’École dans une société de plus en plus coercitive ? Sera‑t‑elle là pour émanciper ou pour formater ? On doit s’interroger sur le rôle de l’École dans la construction de la société comme sur celui du système de santé et de la police au regard de l’orientation que certains voudraient donner à la gouvernance du pays et que certains ont amorcé en, par exemple, supprimant la MIVILUDES et en la rapatriant au sein du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) pourtant entre ces organismes les missions et surtout les méthodes d’approche sont différentes. Ne peut‑on pas voir là une volonté de criminaliser les phénomènes sociaux, serait-ce un prélude à un gouvernement autoritaire ?
Ce sont cette misère sociale, cette quasi‑interdiction d’exprimer librement sa culture ancestrale joint à l’orgueil d’un pays qui croit à sa suprématie culturelle avec ses gouvernants qui sont restés à l’image d’une France du 19e siècle qui font le lit de ce que, sans très bien savoir ce que ça veut dire, Emmanuel Macron appelle le séparatisme. La réponse simple que peuvent donner les gouvernants est celle du RN : s’ils ne se plaisent pas « chez nous » qu’ils ne viennent pas ou qu’ils retournent chez eux, sauf que beaucoup sont la deuxième voire la troisième génération née dans l’Hexagone. L’autre axe de travail c’est de développer un discours autoritaire et une volonté coercitive comme le font les ministres derrière le président de la République : les salafistes ne passeront pas, aucun salafiste ne pourra plus dormir tranquille, cette bataille c’est la nôtre et elle est essentielle… et on y ajoute de la critique contre l’opposition politique avec Marlène Schiappa dont l’intelligence politique et sociale me surprend toujours : ils sont nombreux à s’être couchés devant les salafistes. Nous avons aussi, comme souvent mais amplifiés par une volonté de jouer les matamores les discours larmoyant et creux du style de ceux de Macron qui baigne dans une philosophie de salon, livresque et détachée de la réalité sociale : « Je veux dire ce soir à tous les enseignants de France que nous sommes avec eux, que la nation toute entière sera à leur côté, aujourd’hui et demain, pour les protéger, les défendre, leur permettre de faire leur métier qui est le plus beau qui soit : faire des citoyens libres » à ceci près que quand il s’agit de créer des postes d’enseignants ou de réviser à la hausse les salaires plus personne n’est avec eux, et quant à faire des citoyens libres il va falloir se mettre d’accord sur ce qu’est cette liberté où on peut caricaturer un « arabe » mais pas un « juif ». Au-delà de l’aspect marketing politique de la part d’un politicien que veut dire : « La République dans ses valeurs, les Lumières, la possibilité de faire de nos enfants, d’où qu’ils viennent, qu’ils croient ou qu’ils ne croient pas, quelle que soit leur religion, d’en faire des citoyens livres. Cette bataille, c’est la nôtre et elle est existentielle. » Il y a longtemps que la République, celle voulue par les Révolutionnaires, n’existe plus si jamais elle a vraiment existé ; quant à la Nation c’est un terme qui n’a plus de sens pour la très grande majorité des habitants de ce pays si jamais elle en a eu un en dehors des périodes de guerre. Alors on en appelle à la reconstruction du vivre ensemble, mais celui‑ci ne se décrète pas, son existence est subséquente aux conditions de vie dans une société, tout comme la mixité sociale ; nous pourrions d’ailleurs rappeler qu’il y a une véritable ségrégation de territoires d’habitation, que tout le monde n’a pas « également » accès aux soins, que les enfants des « dominants » vont plutôt dans certaines écoles notamment religieuses comme le lycée de la Providence à Amiens qui affichent leur attachement à une doctrine religieuse comme l’annonce la page d’accueil du lycée La Providence qui met en avant sa tutelle à la règle Jésuite. Après tout ne leur jetons pas la pierre puisque Gabriel Attal, affidé de Macron, comme Juan Branco, pourfendeur de Macron, ont été, tous les deux, élèves de l’École Alsacienne. C’est là une pâle caricature des lignes de fractions de la société française qui se transforment au fil des années, depuis 50 ans, en véritable ligne de friction. Comment, dès lors, peut-on encore en appeler à « la Nation » ? Si le Rassemblement National, arrivait au pouvoir et boutait hors de France l’ensemble des immigrés, il se trouverait confronté aux mêmes lignes de fraction et aux mêmes velléités de friction avec des autochtones qui vivent le même genre de ghettoïsation économique et territorial.
Quant aux enseignants dont je connais bien la difficulté du métier et l’état d’abattement dans lequel ils sont, il faut avancer avec prudence dans les déclarations et ne pas confondre les propos idéalisés et d’intention avec la réalité quotidienne vécue par les élèves dans les classes. Ainsi, les propos Frédérique Rolet, secrétaire générale du syndicat enseignant SNES-FSU, sur France Info, rendent plus compte d’une intention que d’une réalité universelle : « Cela frappe les enseignants dans ce qu’ils ont de plus cher, c’est-à-dire un métier où on rappelle ce que c’est que la liberté d’expression, ce que c’est que la tolérance », « Il faut bien montrer que la nation est soudée autour de ces valeurs de liberté d’expression ». Où est la liberté d’expression lorsque vous ne pouvez pas refuser de vous associer à une minute de silence ? Où sont la liberté d’expression et le respect lorsqu’une équipe enseignante écrit dans un dossier d’orientation : « si X ne rentre pas dans « tel établissement » elle suivra son destin de « femme turque » ? Heureusement même si la connerie est très répandue elle n’est pas plus universelle mais autant que la bienfaisance ce qui nous préserve de bien des maux sociétaux. En outre M. Rollet devrait se rendre compte que la nation est d’autant moins soudée qu’elle n’existe pas, quant à la liberté d’expression c’est surtout une affaire d’intellectuels, dans les bistrots dont le comptoir et le parlement des pauvres comme l’écrivait Balzac, ce n’est pas la préoccupation première, du moins pas cette expression-là. Il faudra, un jour, s’interroger sérieusement sur ce que proposait cet enseignant à ses élèves, pourquoi aurait-il eu l’idée de demander à certains élèves de quitter la classe, justement ceux qui ont le plus besoin d’être confrontés aux discours sur la liberté d’expression et sur la laïcité. Il faudra aussi aider les enseignants pour qu’ils puissent produire un Enseignement Moral et Civique autant apaisé qu’apaisant ; on ne peut pas se contenter de guides et des quelques webinaires, il est des domaines où la formation doit se faire en présentielle dans la confrontation avec le vécu des uns et des autres. La laïcité comme la liberté d’expression s’enseignent moins qu’elles n’ont à être vécues et confrontées au quotidien des élèves qui vivent à l’aune d’une liberté d’expression où celle‑ci est sommée d’être conforme à la pensée dominante pour pouvoir s’exprimer librement.
Alors il ne faut pas ne rien faire, voilà trop longtemps que les gouvernants se voilent la face et que les intellectuels du microcosme se chamaillent autour de queues de principes et de notion (dans ma campagne on parlait de queues de poires). Il faut penser le problème dans sa globalité et sa complexité en regardant la société et ses fractions, ses misères économiques et culturelles. J’ai vu monter en puissance l’Islam radical et l’Évangélisme au Gabon multiconfessionnel où, par exemple, la direction de l’enseignement primaire du Ministère de l’Éducation nationale affiche une direction de l’enseignement public, une direction de l’enseignement catholique, une de l’enseignement protestant et une de l’enseignement islamique. Malgré cela Islam radical et Évangélisme ont cru sur le lit des pauvretés ; tous les Imams que je rencontrais me disaient leur désarroi face à ce phénomène mais comment lutter contre ces écoles gratuites où il n’y a pas de grève, contre l’ouverture de lieux de soins gratuits quand le système de santé est déliquescent ? Nous sommes, pour certains habitants et dans certains lieux (territoires) de l’Hexagone dans des situations voisines.
Charlie Hebdo publiait sur son site au lendemain de l’odieux attentat : « L’intolérance vient de franchir un nouveau seuil et ne semble reculer devant rien pour imposer sa terreur à notre pays », est-ce vraiment être tolérant que de se moquer de la religion de l’autre ? Qu’y a‑t‑il de tolérance quand ceux qui ont brûlé l’effigie de Macron en place publique à Angoulême ont été punis de peines de prison ? Pas de blasphème quand il s’agit de religion, mais blasphème quand il s’agit de Jupiter, sans doute sont-ce cela la laïcité et la liberté d’expression ? Toujours Charlie Hebdo qui nous explique « Seule la détermination du pouvoir politique et la solidarité de tous mettront en échec cette idéologie fasciste », on ne va pas resservir ici, quoique la tentation soit grande, l’action du gouvernement et de la police contre les Gilets Jaunes, et puis fascisme ça fait un peu tarte à la crème comme quand on n’a rien à mettre sur la pâte de la tarte, on coule un peu de crème sucrée Je suis comme l’imam Tarek Ou brou qui défend le droit à la caricature, mais interrogeons‑nous sur son universalité tant dans le pays que vis-à-vis de telle ou telle communauté culturelle. Interrogeons‑nous sur comment faire pour que ce droit soit admissible par tous ? En 1905, au moment de l’émergence et de l’installation de la loi sur la laïcité et l’État, les réactions étaient vives en présence de caricatures. Il a fallu du temps, un long travail politique pour que les choses s’apaisent. Nous avons besoin d’un État qui apaise et besoin de réfléchir collectivement dans la sérénité.
Prenons le salafisme pour ce qu’il est : un phénomène sociétal indissociable de l’évolution et de l’état de la société et du monde, et considérons qu’il entraîne à chaque attentat une crise dans laquelle chacun d’entre les femmes et les hommes se trouvent meurtri.e.s, et la société française bouleversée dans ses fondements modernes. J’emprunterai ici à Alain Thomasset dont l’éditorial dans le dernier numéro de la « Revue d’éthique et de théologie morale » (2020/2 N° 306) s’intitule « Accueillir et penser l’évènement » et j’entends les ayatollahs de la République et les laïcards de la Libre-Pensée et des Loges crier au parjure et au scandale, car pour eux la liberté d’expression ne s’exerce trop souvent que quand on partage les mêmes références qu’eux et qu’on est du même avis que le leur. Ainsi, Alain Thomaset écrit à propos de la pandémie de la COVID19 mais je trouve à son propos un caractère de possible généralisation : « Dire que cette crise est un événement signifie qu’il nous revient de dépasser le simple vécu de l’expérience immédiate pour en saisir le sens, pour le laisser travailler nos imaginaires et nos émotions, pour laisser poindre d’autres manières de penser notre identité et notre rapport au monde. L’événement est ainsi une « situation d’ouverture », c’est-à-dire, comme l’indique le théologien Christoph Theobald, « une situation individuelle et collective qui a la vertu d’ouvrir subitement notre regard sur la totalité de notre existence, par définition inachevée, voire de l’ouvrir sur la totalité de la société en sa fragilité radicale. Notre être est alors mis en jeu et nous sommes provoqués à la relecture et au récit » ». Il ne s’agit pas de ne rien faire, qui accepterait que le Gouvernement reste inactif quoique ça fasse bientôt 40 ans que les gouvernements successifs ne font pas grand‑chose à part barguiner et accumuler les cataplasmes sur la jambe de bois sociale ; il y a à faire mais ne nous enfermons pas ni dans une histoire révolue ni dans des principes qui ne seraient pas modernisés.
Outre l’instauration d’un climat de réflexion apaisé où le gouvernement doit obtenir de tous de la retenue (on se demande d’ailleurs quelle unité nationale nous vivons en présence des vociférations des membres de LR) et de la réflexion sur un problème social, éducatif, culturel et sécuritaire. Sur ce dernier point il n’est pas nécessaire, voire il est improductif, de multiplier les lois et les sanctions, il en existe déjà tellement qu’il faudrait mettre en œuvre avec intelligence et discernement. Ce qui est nécessaire c’est d’augmenter les effectifs de la police afin de recréer un vrai service de renseignements capable de s’informer et de surveiller ; la transformation des Renseignements Généraux, la fermeture et le regroupement des brigades de Gendarmerie en zone rurale n’a pas été une bonne idée et a démuni le « territoire » hexagonal de sources de connaissance de la vie sociale. Comme pour les enseignants il faut former les policiers et les gendarmes à la connaissance de phénomènes sociétaux d’aujourd’hui, or depuis 20 ans la durée des formations initiales comme continues ne cesse de se réduire ; corollairement il faut plus de personnel car pas essence le personnel en formation n’est pas opérationnel sur le terrain. On voit là se dessiner un morceau d’un projet de société plus social et très éloigné de la pensée néolibérale.
En entendant je crains que la cacophonie intellectuelle ambiante et la précipitation macronienne laissent redouter que l’État pourtant républicain et laïque ne soit en train de raviver la guerre de religions et je partage l’inquiétude de l’Imam de Bordeaux Tarek Ou brou : « On est entre le marteau et l’enclume. […] Ces actes confirment les préjugés sur l’islam, donc automatiquement les gens vont faire un lien avec la religion, […] c’est terrible pour les musulmans de France. […] La quasi-totalité des musulmans de France veulent vivre tranquillement, paisiblement, dans la discrétion parmi leurs concitoyens français », or voilà qu’on les montre du doigt, on les ostracise, on ferme « préventivement » leurs lieux de culte et leurs associations. Tarek Ou brou rappelle justement que « Ces actes-là [les attentats], ils sont là pour semer cette brisure, cette fissure, cette division entre une communauté spirituelle, musulmane, qui veut vivre vraiment en paix ». Alors quand on parle d’unité nationale on préserve tout le monde car on voit bien dans les réponses au message Twitter de Jean-Michel Blanquer comment les amalgames se font : « Avec l’enseignement de l’arabe pour tous ? Avec les menus spéciaux à la cantine ? Avec les mères voilées en sorties scolaires ? Il y a DANGER. Réagissez avant qu’il ne soit trop tard ! », et comme il est écrit comme sur Causeur où un musulman apostat déclare : « L’islam est une religion conquérante, toute son histoire est émaillée par la conquête, en tout cas jusqu’à maintenant. » De là à la haine il n’y a qu’un pas, un tout petit pas ; sera-ce une haine admissible, admise ? Il semble aujourd’hui qu’il y a une sorte d’unité contre la haine mais il ne faut pas confondre être côte à côte dans une manifestation avec être ensemble encore moins avec être unis, il ne faut pas non plus oublier, moins encore nier, qu’il n’existe ni unité ni unanimité et peut-être pas de consensus sur ce que sont la laïcité et la République. Alors, il faut être humble et faire une place au discours de l’Autre, sans pour autant accepter les actes délictueux que sont les crimes et les attentats. C’est à ce prix, éducatif pour tous, que la paix peut être retrouvée. Les gouvernants et les intellectuels français devraient méditer cette citation extraite d’un article publié, au lendemain de l’assassinat du professeur, sur le site du journal Juif-Tunisien « Harissa » sous la plume de Michèle Mazel dans un article intitulé « Menaces islamiques sur la France » : « Longtemps la voix de la France a résonné haut et fort. Aujourd’hui on l’entend encore mais on ne l’écoute plus. » Macron a beau jeu d’en appeler à l’esprit des Lumières, il y a longtemps que les Lumières ont quitté l’esprit de nos gouvernants et que la France ne brille plus dans la société des humbles de notre monde.
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