Sans pétrole, faut-il tout miser sur le nucléaire ?
Lorsque je parle du pic pétrolier et des prévisions énergétiques, je dois bien dire que je ne suis pas devin mais que j'analyse avec un regard critique et technique les avis de chacun sur le sujet.
L'article dans lequel je cite l'avis de spécialistes reprend les témoignages de professionnels supposés crédibles et compétents pour s'exprimer sur le sujet.
Cependant je ne prends pas pour acquis tous leurs arguments et les solutions ou alternatives qu'ils mettent en avant.
Certains experts du secteur énergétique (Pierre-René Bauquis, Bertrand Château), mais également d'autres experts ou ingénieurs comme Jean Marc Jancovici ne parlent que d'une seule énergie à peu près crédible pour compenser le déclin de production pétrolière : le nucléaire.
En effet, cette ressource énergétique est la seule connue et à peu près maîtrisée qui permette de produire de très grosses quantités d'énergie, de manière concentrée et en émettant peu de CO2. Je parle pour la France car le Québec, par exemple, a la chance de pouvoir faire la même chose avec des barrages hydroélectriques !
Lorsque l'on est habitué à la production d'énergie centralisée, que la société est devenue dépendante d'une très grosse quantité d'énergie, et que l'on cherche des solutions à l'échelle nationale, alors on regarde ce qui correspond à ces critères et effectivement on ne trouve que le nucléaire.
Et bien justement je ne suis pas d'accord avec cette solution, du moins pas totalement. Je suis pour utiliser les centrales que nous avons actuellement tant que la sécurité des populations n'est pas remise en cause (ce qui n'est pas gagné avec le vieillissement). Mais je suis contre le choix d'une nouvelle orientation énergétique nucléaire pour la France et je m'en explique.
Le prix
AREVA et EDF se vantent de produire l'électricité la moins chère d'Europe, il se trouve que la donne est en train de changer.
Avec l'EPR, le prix du kilowattheure nucléaire va passer de 0.034€ à 0.055€ voire 0,069€, soit une augmentation d'environ 100% en 5 ans à cause des surcoûts de construction. Malheureusement personne ne sait aujourd'hui combien coûte un EPR, puisqu'il n'y en a que 2 en construction, en Finlande et en France. Le premier accuse un retard de 4 ans (démarrage en 2013 au lieu d’Avril 2009) et un surcoût de 75%, et le second affiche déjà un surcout de 50% et 2 ans de retard.
Le coût de ces retards est estimé à 1 million d'€ par jour pour les propriétaires des centrales (Valeurs actuelles, mai 2009, p44).
Par ailleurs, le coût estimé par EDF pour prolonger la durée de vie des centrales en fonctionnement est d'environ 600 M€ par réacteur.
Si vous ajoutez à cela le coût du démantèlement qui varie de 450 millions à 2,9 milliards d'euros par centrale suivant les pays, vous obtenez un potentiel d'explosion des prix difficilement contrôlable.
Les réserves d'uranium
Comme je l'ai expliqué pour le pic pétrolier, l'uranium est également une ressource minérale et donc disponible en quantités limitées. On estime les réserves disponibles à 80 ans de la consommation actuelle (ce qui ne veut pas dire grand chose mais donne des ordres de grandeur).
Si on imaginait remplacer le pétrole par le nucléaire (il faut avoir une sacrée imagination), il faudrait multiplier par 8 le nombre de réacteurs dans le monde afin d'atteindre un nombre de 3500 et cela ramènerait le pic d'uranium à une dizaine d'année. Tout cela est évidemment théorique puisqu'il faudrait ajouter à cela une énergie considérable pour construire les centrales, les lignes à haute tension, gérer les mines d'uranium et les déchets.
Le nucléaire ne serait donc qu'une solution de dépannage avant de retomber dans les mêmes problématiques qu'avec le pic pétrolier.
L'utilisation de l'électricité
Comment est-il possible d'utiliser l'électricité pour compenser le déclin du pétrole ? Il y a plusieurs solutions.
- Vous pouvez utiliser l'électricité directement dans des moteurs électriques, accompagnés par des batteries qui seront le réservoir énergétique des véhicules. Des progrès sont en cours dans le domaine du stockage mais la densité énergétique des batteries reste faible. Par ailleurs la production de dizaines de millions de batteries mais également de dizaines de millions de véhicules, d'un réseau de stations services et le renforcement du réseau électrique français demanderaient une énergie et des investissements énormes.
- Vous pouvez également produire de l'hydrogène par électrolyse qui sera utilisé comme carburant. Les problèmes liés à cette technologie ont déjà été abordés dans un autre article.
- Enfin vous pouvez produire de l'hydrogène qui sera combiné à du carbone pour fabriquer des carburants de synthèse liquides (CO + H2), solution qui pourrait être envisagée à long terme mais qui présente des rendements énergétiques très faibles du puits à la roue et des coûts de production considérables pour la filière dans son ensemble.
Les autres problèmes qui font polémique
Gestion des déchets, pollutions, risques industriels, prolifération, nucléaire militaire...
Autant de sujets qui font débat et que je ne vais pas reprendre car l'article n'en finirait plus ! Pourtant s'ils font débat c'est qu'ils ne sont pas anodins et qu'ils doivent être pris en considération.
Les évènements qui font suite au tremblement de terre au Japon relancent le débat sur la sécurité des installations en France et la capacité des exploitants à faire face à des évènements imprévus. En effet, il est impossible d'imaginer tous les scénarios possibles, c'est pourquoi les procédures internes sont uniquement basées sur des probabilités et ne sont pas exhaustives.
Enfin je souhaite ajouter les éléments suivants :
Le nucléaire est une énergie de base. C'est-à-dire que ces centrales thermiques ne peuvent pas répondre aux pointes de consommation et qu'elles doivent être en permanence associées à d'autres technologies pour répondre aux besoins.
L'argument de l'énergie sans CO2 est vrai lorsque l'on compare aux pays qui mettent en œuvre principalement des centrales à charbon (sauf pour le Québec, encore lui, avec ses barrages hydroélectriques). Mais cette politique énergétique nous a conduits à un gaspillage généralisé de l'électricité et notamment à l'utilisation de chauffages électriques ce qui est une erreur monumentale
Conclusion
C’est pour toutes ces raisons que le nucléaire n'est pas, à mes yeux, une solution à promouvoir.
Comment pouvons-nous faire ? Et bien il va falloir :
- apprendre à se passer de l'énergie abondante et peu chère en se réorganisant localement
- créer des réseaux locaux intelligents qui puissent fonctionner avec 100% d'énergie renouvelable et qui puissent être isolés en cas de besoin
- supprimer progressivement les chauffages électriques en favorisant l'utilisation passive de l'énergie solaire et l'isolation, le bois énergie, les réseaux de chaleur et la cogénération
- promouvoir l'autonomie électrique locale et individuelle plutôt que le raccordement au réseau
- continuer la recherche sur les moyens de stocker l'électricité
- pour le solaire et l'éolien, concentrer la recherche sur la baisse des coûts et la simplicité technique plutot que sur la hausse des rendements ...
Je vous invite à lire l'article dans lequel je propose une orientation énergétique des territoires.
Encore une fois, je reste pragmatique sur l'impossibilité de fermer les centrales dès aujourd'hui. Comme je le disais plus haut, je ne suis donc pas contre l'utilisation (transparente et la plus sécurisée possible) des centrales existantes et de l'énergie qu'elles produisent pour mettre en œuvre le projet de société de demain.
Mais ce projet doit être celui de la résilience, de l'énergie maîtrisée et décentralisée, de l'efficacité... tout l'inverse du nucléaire !
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