Science et technique, comment éviter les dérives ? Le contrôle de la technologie en question
Actuellement, nous assistons à un certain nombre de dérives liées à la technique, dont certaines sont du domaine médical comme la gestation pour autrui (GPA) , les grossesses réalisées sous traitements immunosuppresseurs (dangereux pour le fœtus) après greffe d'utérus (1) ou encore l'euthanasie active. Á l'avenir d'autres dérives dans ce domaine risquent de se développer avec le transhumanisme (2) ou l'eugénisme (3) (4). Dans cet article je vais passer en revue quelques définitions et principes que notre époque tend à oublier ; qu'est-ce que la médecine ? qu'est-ce que le transhumanisme ? Qu'est-ce que la science ? Qu'est-ce que la technique ? qu'est-ce que le scientisme ?
Ensuite, je parlerais des limites mises devant l'usage de la technique, comment elles sont bafouées et tenterais de comprendre pourquoi. Enfin, j'aborderais la question de savoir comment obtenir un contrôle de la technologie afin d'éviter les dérives, si tant est que cela soit possible.
Définitions
Pour la définir rapidement, la science est un ensemble de connaissances humaines acquises par l'exercice de la logique appliquée à l'observation. Ainsi, la science est intrinsèquement limitée par l'homme lui-même. Comme toute connaissance, elle trouve ensuite des applications ; ces applications sont réalisées à travers la technique ou la technologie. La connaissance est amorale, elle n'est ni bonne ni mauvaise par définition, il en va de même pour la science et pour son prolongement, la technique ; celles-ci sont neutres. Par définition la science n'est pas empreinte d'idéologie quelle qu'elle soit.
De la même manière que l'on peut utiliser ses connaissances pour réaliser de bonnes choses ou en réaliser de mauvaises, on peut utiliser la technologie pour de bon ou pour de mauvais usages. C'est l'usage qui est fait des sciences et de la technique qui est bon ou mauvais, pas la science elle-même. Nous allons en voir un exemple avec la médecine et le transhumanisme.
La médecine est une discipline dont le but est de restaurer chez l'être humain un état antérieur à une maladie ou une blessure physique ou morale. Cet état antérieur correspondant à l'état physiologique c'est-à-dire en fait, l'état naturel de l'homme. La médecine ne consiste en rien à la volonté de modifier l'homme ou de l'augmenter comme le veut le courant transhumaniste. Ce courant tend à s'appuyer sur la légitimité morale de la médecine afin de se justifier lui-même comme idéologie. Il joue d'une certaine confusion entre transhumanisme et médecine justement, parceque le transhumanisme utilise et utilisera les mêmes techniques que la médecine. Pour autant, la médecine et le transhumanisme n'ont pas les mêmes buts et donc sont des usages bien différents de la technique. Par exemple, la technique chirurgicale permet de restaurer la fonction d'un membre après une fracture ou de guérir un cancer du foie, alors que la chirurgie esthétique recherche à modifier le corps selon ses désirs et non à restaurer un état naturel. En cela la chirurgie esthétique n'est en rien de la médecine ; cette confusion est d'ailleurs même présente chez des médecins ou chirurgiens (5). Autre exemple, effectuer un diagnostic pré-implantatoire afin d'éviter la conception d'un enfant porteur d'une maladie grave et incurable peut être considéré dans le champ de la médecine (6), alors que pratiquer une procréation médicalement assistée pour une femme âgée de 70 ans n'est en rien à considérer dans ce champ, puisque l'état naturel d'une femme de cet âge est l'infertilité (7). Procréer après l'âge naturel est une augmentation de l'homme (de la femme en l'occurrence) et donc s'inscrit dans le champ du transhumanisme. Dans ces deux cas, les mêmes techniques sont à l'oeuvre mais la moralité de la chose peut être considérée de manière radicalement différente.
Causes de la faiblesse du contrôle de la technologie et relation avec le capitalisme
Si l'on observe les usages de la science et de la technique, force est de constater que dès qu'une chose devient techniquement possible, elle est systématiquement réalisée et ce quelle que soit la moralité de la chose. Comme pour beaucoup d'autres domaines, il existe une limite théorique à la technique, c'est le droit, par exemple en matière de bioéthique de nombreuses lois ont été faites afin d'éviter les dérives (8), notamment sur la procréation médicale assistée (PMA). Mais dès qu'une technique permet de nouvelles choses interdites par le droit positif, celui-ci est modifié pour rendre celles-ci légales. En clair, le droit ne fait que retarder certains usages de la technique mais la digue finit toujours par céder.
Il existe plusieurs causes à cet état de fait. Tout d'abord, parlons des mécanismes d'ordre psychiques et intellectuels des personnes voulant justifier un usage de la technique, qu'il soit d'ailleurs discutable sur le plan moral ou non. L'argument souvent utilisé pour justifier la légalisation d'un nouvel usage de la technique, en tous les cas dans l'esprit même de ceux souhaitant cette légalisation, est d'utiliser la science avec un grand "S" pour se cacher les raisons morales réprouvant d'usage en question. Il faut le comprendre, pour beaucoup la science n'est pas juste la progression des connaissances de l'homme ; la science revêt un caractère mystique et même pour ces personnes-là, la science est en fait une nouvelle divinité ; elle a remplacé Dieu. Dès lors, tout ce qu'elle permet de réaliser techniquement est empreint d'une sacralité justifiant à elle seule tous les usages et donc toutes les dérives. En effet on ne saurait remettre en question la parole de Dieu. C'est cela que je nomme le scientisme. On l'aura compris, ils se cachent les raisons morales réprouvant un usage par un caractère divin fantasmé de l'origine ayant permis cet usage.
Une autre façon de justifier la chose est de finir par trouver des justifications morales à des usages de la technique pourtant discutables ; le meilleur exemple est celui de la GPA. Par un raisonnement fallacieux qui consiste à considérer que les couples homosexuels et hétérosexuels sont égaux en tout point alors que les uns ne peuvent procréer dans leur état naturel, physiologique contrairement aux autres. Á partir de ce postulat d'égalité fantasmée, il y aurait donc une inégalité (qualifiée même d'inégalité sociale par certains), une injustice à corriger justifiant ainsi l'usage de mères porteuses, sans d'ailleurs se poser la question des droits de ces mères porteuses ni des risques qu'elles encourent et encore moins de leur inégalité sociale (pour le coup) par rapport à des femmes qui n'ont pas à louer leurs ventres pour vivre. Dans les pays où la GPA est massive comme aux USA, dans 95% des cas celle-ci est utilisée pour des couples hétérosexuels et le plus souvent pour des couples fertiles. Les véritables raisons de l'usage de GPA sont d'éviter les désagréments de la grossesse et les risques de celle-ci en payant des femmes prolétaires pour les prendre à la place des femmes bourgeoises. On le voit dans ce cas précis, la cause homosexuelle est utilisée afin de justifier moralement un usage technologique conduisant pourtant à des dérives évidentes et parfaitement visibles aujourd'hui (9) (10) (11).
De la même manière, le transhumanisme trouve des justifications louables en mettant l'accent sur des usages technologiques utilisés en médecine et joue sur les confusions qui peuvent être faites. On va vous montrer une personne amputée utilisant une prothèse performante lui permettant de retrouver partiellement une fonction perdue (12), un aveugle recouvrant très partiellement la vue grâce à une puce électronique (13) ; c'est-à-dire des blessés ou des malades pour lesquels la médecine tente de trouver une solution. Le transhumanisme ne cherche pas à soigner des blessés ou des malades, mais cherche à utiliser ces techniques pour augmenter la force physique de l'homme sain dans un cas, son acuité visuelle dans l'autre. Comme dit précédemment si les buts diffèrent de manière fondamentale sur le plan philosophique, les techniques utilisées peuvent être les mêmes.
Cette logique, ce rouleau compresseur de la technique qui terrasse toutes lois et toute morale en rappelle une autre, celle de la logique interne à l'histoire de l'homme décrite par Karl Marx : le capitalisme. Ces deux logiques ont des caractéristiques communes, elles sont même en interaction. Le capitalisme est le meilleur allié de la dérive technologique, c'est la logique du capitalisme qui pousse certaines techniques contre toute morale, marchandisation des corps, des enfants... Après tout business is business, pour le meilleur ou pour le pire, le capitalisme poussera n'importe quel usage de la technologie dès l'instant qu'il entre dans sa logique propre. La science est-elle au service du capitalisme ou le capitalisme est-il au service de la science ? Et bien, je dirais un peu des deux. Pour moi il s'agit de deux choses bien distinctes mais qui pourtant fonctionnent dans une sorte de symbiose. Ainsi le capitalisme et la société de consommation ont induit une désinhibition de tous les désirs dans la population afin de pousser le consommateur (Les liens entre désir et capitalisme ne sont plus à démontrer (14) ). La technique intervient ici et pour peu qu'elle permette de répondre à un désir préalablement désinhibé par le capitalisme ; il sera extrêmement difficile d'empêcher l'opinion publique de permettre n'importe quelle dérive, dès lors qu'elle permet de répondre à ce désir.
Le contrôle de la technologie est-il possible ?
Comment peut-on établir un contrôle fiable et durable de la technique dans nos sociétés ? Les lois établies par notre système politique ne permettent que de ralentir le processus, de retarder certaines dérives car notre système politique permet de revenir sur les lois à sa guise. Comme déjà vu, un système réellement démocratique ne serait pas forcément fiable non plus. L'opinion publique étant influençable, les ressorts médiatiques et d'influence habituels du capitalisme feront changer l'opinion sur les usages techniques dont le capitalisme veut. Puis cette opinion fera changer les lois pour autoriser ces usages de la technique. La démocratie n'est donc pas la solution au problème ou tout du moins pas une solution suffisante. Si l'on ne peut s'attaquer efficacement à un bout du problème, on pourrait penser à s'attaquer à l'autre bout, c'est-à-dire au capitalisme. Mais alors l'histoire est là pour nous rappeler que ce n'est pas chose facile, effacer deux mille ans d'histoire ne peut se faire d'un coup de baguette magique et le rêve de grand soir de l'extrême gauche n'est pas la solution. La guerre froide a même montré l'inverse, le capitalisme, menacé par le communisme a produit la pire course technologique en dehors de tout contrôle moral, le bloc soviétique n'étant pas en reste. Des avancées positives sont tout de même apparues grâce à cette course folle (informatique, télécommunication, techniques médicales) mais aussi beaucoup de dérives dangereuses.
L'autre pendant du problème, la science et la technique, paraît plus aisément contrôlable que le capitalisme lui-même. De plus, une société non capitaliste peut produire les mêmes dérives en matière technologique.
Une solution pourrait être de parvenir à fixer des lois inaliénables pour établir un contrôle, mais il y a plusieurs écueils à celle-ci. Premièrement, cela existe déjà plus ou moins avec les droits de l'homme, mais non seulement rien n'a été empêché par cette voie, mais en plus ceux-ci ont été détournés afin de justifier les crimes les plus odieux. Deuxièmement, on ne peut prévoir toutes les dérives qui seront rendues possibles à l'avenir par la science. Troisièmement, un système législatif rigide, inaliénable et effectif (contrairement aux droits de l'homme) pourrait revêtir les atours d'une dictature.
Il existe une autre possibilité qu'en tant qu'athée je peine à envisager, ce serait le retour du dogme ; c'est-à-dire de la religion. Après tout, lorsque la religion guidait les hommes, les interdits étaient respectés semble-t-il. Cette solution pourrait être efficace en théorie, mais renfermerait la société dans tous les travers inhérents à celle-ci, si tenté que cela soit réalisable. Enfermé dans le dogme religieux ou dans le dogme scientiste semble être l'horizon indépassable de cette question. Le retour du dogme n'est pas une idée satisfaisante, l'antidote contre le capitalisme ne semble pas exister, celui contre les dérives scientistes existe-t-il seulement ?
Il est de plus en plus évident que l'homme est caractérisé par un fort besoin de croyances, d'une pensée magique. Autrefois c'était le dogme qui dominait, depuis son effondrement, l'homme s'est raccroché à d'autres pensées magiques que ce soit la main invisible du marché, le scientisme, la quête d'une puissance démiurgique à travers le transhumanisme, des croyances en l'existence d'entités vivant dans des mondes parallèles ou encore en des médecines alternatives. Dans tous les domaines, des croyances se mettent en place alors que le dogme religieux s'est effondré. J'irais même plus loin, il n'existe aucun exemple de société humaine sans croyances. Finalement, cette pensée magique ne serait-t-elle pas à l'origine du problème ? En effet, elle est à l'origine du scientisme et du transhumanisme deux idéologies pourvoyeuses de dérives. Pourtant d'autres dérives ne semblent pas causées par cette pensée magique comme l'euthanasie active ou les grossesses sous traitements immunodépresseurs après greffe d'utérus. Á noter tout de même que ces deux derniers exemples semblent de moindre portée pour l'avenir que les dérives possibles du transhumanisme, conduisant lui-même à l'eugénisme. La pensée magique de l'homme a pu être contrôlée, canalisée, orientée par le dogme religieux durant des siècles mais cela a conduit aux dérives et excès non pas de la science cette fois-ci mais bien de la religion, à la différence près qu'en cette matière les choses restaient figées, sans véritablement de nouvelles dérives impossibles à anticiper.
Conclusion :
Il convient donc de ne pas sombrer dans la confusion des genres entre médecine, transhumanisme, eugénisme, scientisme, technologie et science. Il faut bien distinguer les bons et mauvais usages de la technique et ne pas le reprocher à la science mais aux hommes utilisant celle-ci. Cette science, nouvelle divinité pour certains est pourtant faite par les hommes, elle est intrinsèquement limitée par l'humain et ne possède pas de caractère moral.
Le progrès scientifique et technique permet des réalisations de plus en plus puissantes, si les usages bénéfiques ont de plus en plus d'impact, les usages négatifs ont un impact potentiel de plus en plus fort également. Le pouvoir destructeur des armes actuelles en est le plus flagrant exemple ; l'humanité peut d'ores et déjà s'autodétruire. Jusqu'où cela peut-il aller ? Rien ne semble de prime abord, permettre de penser que les connaissances scientifiques ne trouveront pas une limite. Bien au contraire, ces connaissances sont limitées par les capacités humaines elles-mêmes et l'on peut noter qu'en sciences fondamentales, il n'y a eu que peu de découvertes ces 50 dernières années. Ceci étant dit, si un jour une véritable intelligence artificielle apparaît, celle-ci ne pourrait-elle pas dépasser l'intelligence humaine et permettre d'aller bien au-delà en matière scientifique ? La réflexion éthique autour de l'intelligence artificielle paraît ardue, s'agit-il de transhumanisme ou s'agit-il d'autre chose encore ?
La réponse à apporter pour un contrôle technologique est politique, mais nous l'avons vu, la solution démocratique semble insuffisante, la fin du capitalisme quasi-impossible serait également insuffisante de toute façon, le retour du dogme pourrait paraître séduisant de prime abord, mais pourrait tout aussi bien utiliser la science à son profit et décupler ainsi ses effets négatifs propres. Et si la pensée magique de l'homme était canalisable d'une autre façon ? Une plus grande rationalité et une éducation adéquate ne pourraient-elles pas minimiser celle-ci ? Enfin, un autre écueil à une solution politique est que pour être efficace, il faudrait que cette réponse soit globale, c'est-à-dire mondiale, autant le dire c'est impossible. La science et la technique ne sont pas contrôlables, c'est une logique inéluctable, un rouleau compresseur similaire au capitalisme.
Sources :
1-Greffe d'utérus et grossesses sous immunosuppresseurs :
http://www.20minutes.fr/sante/1728039-20151110-greffe-uterus-femme-greffee-pourra-porter-bebe-sien
2-Transhumanisme, site officiel de l'association française :
3-Eugénisme :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A9nisme
4-Film traitant de l'eugénisme, Bienvenue à Gattaca :
http://libresavoir.org/index.php?title=Bienvenue_%C3%A0_Gattaca_de_Niccol
5-Exemple de confusion entre médecine et transhumanisme :
6-Diagnostic pré-implantatoire respectant l'éthique médicale :
https://www.chu-nantes.fr/centre-de-diagnostic-pre-implantatoire-dpi—46362.kjsp
7-Fécondation d'une femme de 70 ans :
8-Lois de bioéthique :
http://www.vie-publique.fr/actualite/faq-citoyens/bioethique/
9,10,11-Dérives de la GPA :
http://www.liberation.fr/planete/2014/06/27/une-usine-a-bebes-demantelee-au-nigeria_1052464
12-Prothèses bioniques avancées :
https://www.ted.com/talks/hugh_herr_the_new_bionics_that_let_us_run_climb_and_dance?language=fr
13-Puce électronique pour aveugle :
14-Capitalisme, désir et servitude :
https://www.youtube.com/watch?v=yDsR0j4JLdM
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