Se faire chier avec l’amour de sa vie
L’auteur de cet article n’étant pas Flaubert, les lectrices qui resteraient sur leur faim devront patienter avant de se trouver un texte concernant les émois des nouvelles Bovary. Cette prose s’adresse avant tout aux hommes vivant en couple et toujours amoureux de leurs compagnes, et éventuellement à ces dernières, pour qu’elles comprennent, si jamais elles le peuvent ; du moins faut-il comprendre le second degré.
Les psychologues qui sévissent dans Elle, Cosmopolitan et autre Marie-Claire, l’écrivent bien souvent, l’homme est un grand enfant, un adolescent attardé, la femme doit canaliser ses excès tout en restant bienveillante et attentive. Facile à dire, difficile à appliquer. Beaucoup d’hommes aiment leurs compagnes, quelquefois au-delà du raisonnable, mais ils s’ennuient à mourir avec elles et ont besoin d’aller respirer ailleurs de temps en temps. Respirer ne veut pas dire obligatoirement copuler loin du charnier conjugal, même si cela est possible, plus par désespoir que par attirance physique pour une autre. Cela dit, c’est quand on est très amoureux qu’il faudrait en baiser d’autres, on se sentira moins déçu et ridicule quand elle vous quittera. Respirer c’est surtout se réserver des moments personnels où elle n’a pas sa place, soit de solitude, soit avec des amis du même sexe pour dire et faire des conneries, décompresser, en un mot vivre. On peut aimer intensément et s’ennuyer comme un rat mort avec celle qui partage votre vie. Il ne faut en aucun cas voir en cette constatation uniquement l’attrait sexuel qui ferait malgré tout rester en couple, la relation serait alors réduite à la simple copulation et il n’y aurait pas véritablement d’amour. La réalité va bien au-delà. « Je n’aime que toi, mais tu me fais chier jusqu’à l’os ». L’amour est malheureusement compatible avec cette affirmation marquant l’ennui et l’irritation, sans pour autant supprimer l’amour.
Chez lui, l’homme est souvent harcelé au mauvais moment. On ne s’attardera pas sur le supporter inconditionnel qui regarde en différé à 1 heure du matin un passionnant Dijon-Besançon en quart de finale de la Coupe de France. Celui-là aurait mieux fait de rester célibataire ou bien chez sa mère. Mais l’amateur occasionnel qui suit l’affrontement Lionel Messi et Ibrahimovitch, lors d’un grand match de coupe d’Europe sera particulièrement dérangé si sa compagne vient inopinément poser sa tête sur son épaule en commençant à papoter, juste quand va se tirer un coup-franc à deux mètres de la surface de réparation. Une femme avisée viendra faire un câlin durant les arrêts de jeu ! D’où, l’intérêt, Mesdames, de connaitre les rudiments des règles du football pour préserver votre couple. Et celui qui n’aime pas le foot sera tout aussi irrité que l’on vienne lui parler de la réunion des parents d’élèves ou de la belle-mère qui est hospitalisée à …Dijon pour une banale gastroentérite, pendant qu’il rédige péniblement le rapport financier sur sa dernière mission chez les Tupi-Guarani ou à Hénin-Beaumont. Pas plus qu’il n’appréciera qu’on aborde les mêmes thèmes quand il répare la chaudière ou remplace un phare cassé sur sa bagnole. Quand ils sont seuls ou avec des copains, les hommes (ou du moins un nombre non négligeable d’entre eux) aiment péter, roter, dire des obscénités, se gratter les couilles en s’allumant un cigare. Au domicile conjugal, c’est nettement plus complexe, ne serait-ce que par autocensure. Pas la peine de pousser des cris, Mesdames, parce qu’il fait des miettes de sandwich ou de chips dans le lit, rien à voir avec le mironton, la paella et encore moins le homard à l’armoricaine, plats qui, reconnaissons-le, n’ont bien évidemment pas leur place au lit. Pas non plus la peine de glapir s’il rentre à la maison sans enlever ses chaussures pleines de boue ou de cambouis une ou deux fois par an.
L’homme n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il commet des extravagances ou dit des insanités avec ses copains même sans penser à des aventures extra-conjugales, qu’il soit cadre chez Bouygues, prolétaire ou chirurgien. Personne n’ira jamais voir avec sa compagne la séance de 10 heures du matin de « Je t’aime moi non plus » de Serge Gainsbourg dans un cinéma désert où n’y assistent que 5 à 8 spectateurs. Avec son meilleur pote, ils souriront synchrone à en rebondir sur leur fauteuil quand Reinard Kolldehoff (le gros Boris en salopette) lâchera une série de pets en salve ou quand Joe Dallesandro tiendra la main de Jane Birkin en surplombant une décharge de bidets. Dans la même optique, aucun homme n’ira imiter la copulation de l’acarien des moquettes dans un jardin public sous le regard effaré des mères de familles avec leur progéniture, s’il est accompagné d’une femme. Il ne pourra le faire qu’avec un ami (hétéro) en le prenant tête-bêche sur son dos avant de se pencher en avant pour lui planter symboliquement l’arrière-train sur un spermocône représenté par un petit arbrisseau pointu. Et si le cœur leur en dit, l’un répliquera à l’autre : « On le refait, mais ce coup-ci, c’est moi qui fait le mâle ! ».
Le proverbe « Loin des yeux, loin du cœur » ne reflète en rien la réalité des sentiments. Le meilleur moment pour aimer sa femme, c’est quand elle n’est pas là. On ne risque pas d’être désappointé par une réaction inappropriée. A la rigueur, certains professeront, loin des yeux, loin du sexe quand passera devant eux une callipyge en talons aiguilles. Quand on aime vraiment, l’amour est d’autant plus intense que l’on est éloigné. Cela s’explique par le fait que l’homme a tendance à idéaliser celle qu’il aime. Et celle-ci n’étant pas présente, ne gâchera pas les rêveries et les espérances utopistes de son compagnon par une remarque acerbe ou hors de propos qui ramènera à zéro ses élans affectifs. L’homme quand il est amoureux regarde la femme avec les yeux d’un Chimène mâle. Quand l’amour de sa vie, sa petite chérie est absente, il pense à lui offrir des fleurs à son retour, imagine un bon restaurant ou un week-end qu’ils pourraient partager. Dès qu’il a un peu de temps libre, il va voir dans les boutiques à souvenirs du patelin s’il n’y a pas un petit cadeau original qui lui ferait plaisir. Il se dit quelquefois en achetant un bijou en or « j’aimerais bien le lui offrir au clair de lune devant la décharge municipale ou les abattoirs désaffectés, pour bien marquer le contraste, mais elle ne comprendrait pas ». La femme apprécie trop souvent la banalité prévisible et stéréotypée, véhiculée par la tradition, le conformisme et les magazines féminins. En déplacement professionnel, l’homme peut aussi téléphoner pour dire « Je t’aime, tu me manques », il y a bien souvent de la sincérité dans ce propos. Mais il ne devrait surtout pas déclarer, « Si tu étais là, ça serait mieux ! » Non, si elle était là, plus question d’aller faire la tournée des bars même sans putes avec les collègues, surtout s’il s’agit d’endroits malfamés et interlopes comme une sorte de cantina mexicaine avec des buveurs de tequila patibulaires, mais presque, où les consommateurs ivres vomissent ou se battent à coup de bouteille. N’exagérons rien cependant, les bars avec couteaux, machettes et revolvers, c’est pour les vrais aventuriers, pas pour les comptables en mission à l’étranger. Si elle avait été avec vous, elle aurait fait un shopping inconsidéré pendant vos meetings, ateliers, séminaires et présentations Powerpoint. Sans oublier qu’elle aurait été jalouse de la traductrice à la chevelure léonine et au soutien-gorge 95 C qu’elle aurait entraperçue à la sortie de la salle de conférence peut-être au point d’en faire un tweet assassin. Et le soir, fatiguée par sa journée intense dans les rues de Caracas ou de Nancy, elle aurait voulu rester à l’hôtel ou tout juste se déplacer vers un restaurant à proximité. Tout le monde n’a pas la chance de tomber sur une épouse qui boira avec lui des bières et du genièvre ou fumera des pétards (selon les goûts du couple) toute la nuit à Amsterdam et l’accompagnera la tête dans le seau au petit matin dès l’ouverture, contempler la Ronde de Nuit au Rijksmuseum. Celles qui boivent toute la nuit préfèrent trainer au lit le lendemain. Cependant, la Ronde de nuit, juste après une cuite mémorable, rien de tel pour vous dessoûler. Par contre, avec Van Gogh la distorsion du trait fait que vous ne savez plus si l’impression ressentie vient du style de l’artiste ou du manque de récupération des excès de la veille.
Quand l’homme reste au domicile et que la femme voyage, le tableau n’est guère plus reluisant. Laissons de côté les jaloux qui s’imaginent le pire. Leur femme baisant avec un amant venu la rejoindre clandestinement, un collègue, un steward ou pire, un intermittent du spectacle ou un paveur mal intentionné. Ceux-là seront toujours malheureux et méritent d’être cocus. Dans les cas plus classiques, elle vous aura laissé une liste de tâches à accomplir épaisse comme un Bottin surtout si vous avez des enfants en bas-âge. Même si elle ne part que 5 jours, ce qui vous sera demandé sera digne des travaux d’Hercule. Et quoi que vous ayez fait, cela aura été mal fait. Si l’idée saugrenue vous venait d’une aventure sans lendemain, surtout allez à l’hôtel et de retour chez vous, videz vos poches de tout indice compromettant (n’oubliez surtout pas les angles d’emballage de préservatifs), lavez les vêtements utilisés pour éliminer toute trace de parfum ou de maquillage. Si l’idée encore plus incongrue vous venait de sauter une voisine ou l’aide-ménagère, retournez l’appartement de fond en combles après le départ de cette relation épisodique, les femmes ayant la fâcheuse tendance d’oublier très souvent un slip ou une boucle d’oreilles dans les endroits les plus improbables. Vous aurez sinon du mal à justifier la présence de ce genre d’ustensiles dans le canapé du salon.
Nombreuses enfin sont les femmes qui ne supportent pas le surréalisme et les excès. On peut avec un copain non écologiste qui se fout totalement des économies d’énergie et de l’environnement, rouler 20 kms en rase campagne, s’arrêter devant un panneau « Attention betteraves », pisser au pied du panneau signalétique et faire demi-tour pour revenir à l’endroit d’où l’on était parti en disant « C’est fait et il fallait le faire ». Inutile d’essayer avec sa compagne, elle vous prendra pour un fou malgré vos explications métaphysiques. Et si vous êtes ensemble en Afrique Centrale, elle ne comprendra pas plus la symbolique de pisser sur la ligne de l’Equateur, seuls des hommes un peu imaginatifs sont capables d’y penser. Elle préfèrera une photo toute bête avec ou sans les gamins alignés comme des piquets devant le site. Pas question non plus de s’arrêter Avenue Mozart à deux heures du matin pour sortir un Saint-Emilion et couper des portions de brie à l’Opinel sur le capot de la BMW, comme d’autres fêtards huppés s’y font un rail. Elle risque là aussi d’hurler à la mort. Très peu d’épouses en fin de compte sont capables de comprendre l’essentialité d’une telle scène. La femme fera tout pour que l’homme reste dans les rails et cela n’a rien à voir avec la coke. Sinon, vous êtes tombée sur une déjantée, allumée de première et d’autres problèmes surgiront dans le couple si elle est plus dingue et surréaliste que vous. Le rôle de la femme est de vous assagir (un peu) pas de vous castrer ou de vous chloroformer.
Quand on vit avec une emmerdeuse qui vous gave, il vaut mieux divorcer ou se séparer à l’amiable avant que ça ne tourne trop mal. Mais le problème, bien souvent, c’est qu’on l’aime à en crever celle qui ne vous laisse pas le temps de divaguer, de respirer, en un mot d’être vous-même, même si vous répondez toujours présent pour les choses sérieuses. (Les choses sérieuses, ce n’est pas de vous répéter 10 fois, même au lit, « Appelle un artisan pour réparer la porte du garage »). Quand les gosses font de grosses bêtises, quand un coup dur arrive, quand il y a risque physique ou financier, vous devez être là et ne pas tergiverser. Celui qui dirait à son épouse qui rentre la gueule en sang après une agression « Attends, je regarde la fin de la série de tirs au but », serait un abruti ou un inconscient. Mais elles devraient comprendre que vous n’en avez rien à foutre de la commission des menus de la cantine scolaire où l’on sert du hoki ou pire du panga au lieu du cabillaud à vos gosses. Au prix de la restauration scolaire, pas question d’espérer de la sole fraiche du jour, péchée la nuit le long des côtes françaises et encore moins de la lotte. Elles ne devraient pas vociférer quand vous laissez de temps en temps tomber de la cendre sur la moquette ou que vous vous allongez un moment sur le lit avec vos chaussures. Et encore moins gueuler « je ne suis pas ta bonne » parce que vous avez jeté sans y prendre garde votre chemise sale dans le salon, sans jamais avoir eu la moindre intention de la lui faire ramasser. Mais le pire du pire se produit en général avec les chaussettes.
Que dire face à cette réplique qui ne demande aucune protestation. « Si tu veux inviter des amis, attends que les gosses soient en vacances, il faut les coucher tôt ». Des gosses, ça dort comme des souches, et on n’est pas obligé de jouer du clairon avec eux jusqu’à minuit quand on a du monde à diner. C’est une foule de petits détails de ce genre qui font que l’homme se fait très souvent chier en couple et cela n’a rien à voir avec les sentiments. Bien au contraire, pour que la relation perdure, il ne faut pas que les sentiments soient trop intenses, les amoureux passionnels vont droit dans le mur. Les couples qui résistent à l’usure du temps sont faits le plus souvent de mollassons ou d’indifférents. Les bourgeois du XIX° siècle l’avaient bien compris avec leurs mariages de raison, hélas, certains se laissaient aller à la passion avec des demi-mondaines qui leur cassaient tout autant les burnes en les ruinant de façon éhontée sans le moindre état d’âme.
Très peu de femmes sont capables de comprendre que celui avec qui elles vivent peut les aimer passionnément, mais a besoin de se prouver qu’il existe, qu’il est encore vivant, qu’il n’est pas totalement inféodé à sa compagne. Pour cela il utilise des subterfuges quelquefois maladroits. Certains multiplient les aventures, sans que la libido y soit pour grand-chose. Beaucoup d’hommes baisent ailleurs, non pas par manque de contrôle des sens, mais uniquement pour compenser les brimades. D’autres plus sagement laissent trainer leurs chaussettes sales un peu partout, ou lâchent volontairement des pets en regardant la télé ou vont ostensiblement pisser sur les fleurs dans le jardin. Enfin, la plupart décompressent en faisant des conneries avec des copains dès que Madame leur en laisse une rare occasion. C’est pourtant simple, mais cela est déjà beaucoup trop compliqué pour certaines.
PS : Mise au point. Ce texte n’est pas une autobiographie. L’auteur, n’a pas de BMW, ni d’enfants en bas âge, ni de belle-mère à Dijon. C’est d’ailleurs dommage, car si c’était le cas, il aurait pu lui chanter « Rebsamen, Rebsamen mucho » avec l’accent de Dalida et ouvrant un pot de moutarde, pour voir si elle lui monterait au nez. (Pour ceux qui l’ignore, François Rebsamen est sénateur-maire de Dijon). Cependant, tout le monde ayant des amis et un peu lucide avec lui-même peut en arriver à des constatations similaires. Seuls certains exemples (mais pas tous) ne sont pas loin du vécu personnel de l’auteur.
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