Seul le religieux peut nous sortir de l’impasse post-Covid
Les philosophes connaissent cette sibylline formule de Heidegger livrée en guise d’oracle en une époque traversée par la menace nucléaire et les insurrections civiles : « seul un Dieu peut nous sauver ». Je propose de renverser cette formule : « nous ne sortirons de l’impasse qu’avec le religieux ». Ces belles paroles ne seront entendues que si l’on trace un diagnostic des maux et travers contemporains et que l’on explicite de que pourrait (devrait) être le religieux à notre époque.
1) Le monde animal ne connaît pas d’impasse. Les spécimens naissent, vivent, cherchent de quoi se nourrir, tentent d’échapper aux prédateurs, cherchent un partenaire pour assurer la pérennité de l’espèce et meurent. Il n’y a pas d’impasse dans le monde vivant, ça passe ou ça casse. Seules les sociétés humaines génèrent des impasses, autrement dit des situations interprétées comme sans solution, sans issue, mais qui n’en sont pas moins des situations durables qui sont acceptées avec résignation, résilience et qui parfois finissent par devenir insupportables, insoutenables.
2) Dans sa seconde considération inactuelle, Nietzsche distingua trois usages de l’Histoire, traditionnel, critique, monumental. Ces usages étaient devenus habituels dans les cercles universitaires et politiques à l’ère contemporaine et littéraire (graphosphère selon Régis Debray). Une ère assez courte, moins de deux siècles, disons de 1800 à 1970. Ces usages contribuèrent à l’unité de la Nation, façonnant un lien puissant entre hommes d’Etat, hommes d’Histoire et société.
3) Depuis quelques décennies, un usage sentimental de l’Histoire a émergé, sans doute à une échelle planétaire, avec un trait accentué en France, pays à la fois Nation riche en histoire et société préoccupé par l’histoire. Le sentiment se combine à l’émotion, il se décline en nostalgie ou en ressentiment. On l’aura compris, l’usage sentimental n’a rien de commun avec les précédents. Il est devenu une source de division, de détestation, de haine, nourrissant des actes plus ou moins violents, statues déboulonnées, propos censurés, rues débaptisées, enseignements dévoyés ou quelques fois interdits, conférenciers bannis. Cet usage traduit un rapport maladif face à l’Histoire. Rien de bien étonnant, nous sommes entrés dans l’époque du pathos. Les forces émancipatrices de l’ère historique se sont renversées en émotions réactives. La lutte des classes a été supplantée par une agression des races, des identités, des genres. Ces luttes sont plus réactives qu’émancipatrices. Elles ne sont pas formatrices mais dissolvantes. En résultent les sociétés liquéfiées pour reprendre une thèse forgée par le sociologue Bauman.
4) Les agressions identitaires sont des réactions immunitaires déclenchées face à des épitopes formels ou sémantiques. Une attitude, une posture, un accoutrement, une phrase mal interprétée ; les ingrédients pour agressions immunitaires se multiplient. Ils sont amplifiés par les réseaux du Net. Ce n’est pas une nouveauté. Le vivre-ensemble s’est dégradé depuis des décennies. L’affaire Mila est emblématique de ce phénomène social dont l’émergence remontre à une décennie, lorsque les réseaux sociaux abandonnèrent le sang froid pour devenir antisociaux. Un pathos social a émergé, créant des tensions à bas bruit, pouvant dégénérer quelques fois. Les sociétés sont traversées par une inflammation des émotions. Une fièvre psychique se répand sur les réseaux sociaux mais aussi sur les plateaux de télévision. Dans les établissements scolaires, une nouvelle paire de basket ou un blouson devient la source de ressentiments. Les désirs mimétiques et narcissiques s’intensifient. D’aucun réfléchissent au port de l’uniforme, non pas pour symboliser une identité nationale ou locale mais pour gommer les différences vestimentaires et calmer les envies générée par le port de vêtements interprétés comme discriminants.
5) A l’échelle mondiale, nous observons un nouveau tiers-monde diffus et disséminé, celui des réfugiés. Dans l’ancien monde du XXe siècle, les observateurs sociaux inventèrent la notion de tiers-monde, terme trop discriminateur, vite remplacé par la notion de « pays en voie de développement ». Le monde fut scindé en pays industrialisés et pays en développement, sous-entendu ; pays pauvres mais qui ne peuvent que devenir moins pauvres. Dans ces pays, des populations massives vivaient dans un état de misère, maladie et surtout malnutrition. Les causes étaient pour l’essentiel économiques, même si le politique ne pouvait être exonéré de cette situation. Un nouveau tiers-monde a émergé depuis deux décennies, le monde des réfugiés et déplacés, avec une accélération vers 2010. Ce phénomène a pour cause première les conflits ; Libye, Syrie, Afghanistan, Soudan ; ou alors des tensions communautaires et politiques ; Venezuela, Tibet, Birmanie. Les responsables de l’ONU alertent les nations sur la poursuite ou l’émergence de conflit qui ne peuvent qu’accroître le nombre de réfugiés. Le Liban s’effondre.
6) Les sociétés modernes avancent avec les transformations techniques, industrielles, urbaines, qui finissent par engendrer des évolutions culturelles se superposant aux traditions séculières. Les sociétés stables finissent par produire des crises, des instabilités d’ampleur variables, des situations devenues intenables pour les populations et les régimes politiques dont la puissance se transmet par l’Etat. Une situation intenable qu’il est impossible de changer, résoudre, améliorer, devient alors une impasse. Pour faire « sauter » l’impasse, des solutions parfois violentes sont utilisées par les hommes. Quelques-fois des révolutions se produisent, avec des tenants et aboutissants différents selon les pays et la conjoncture historique. Ces faits occupent de larges pages dans les livres d’histoire. 1789 en France, terreur, Empire ; octobre rouge en 1917, régime soviétique installé en Russie et alentours ; guerre civile en Chine de 1945 à 1949 puis instauration de la République communiste ; avènement du nazisme en 1933 et le pire des régimes. D’autres événements de ce genre se sont produits, guerre civile de 1936 en Espagne puis franquisme, avènement du fascisme en Italie après l’Armistice. Et plus largement, les régimes autoritaires installés depuis 1945 avec l’armée comme colonne vertébrale de l’Etat, Portugal, Grèce, Chili, Argentine.
Si les sociétés aboutissent à des impasses, souvent par négligence face aux tendances menaçantes, les régimes forts mis en place pour faire régner l’ordre finissent aussi par engendrer des impasses et finissent par être remplacés, ou par chuter, ou alors par être défaits lors de conflits. Nous qui sommes des modernes, issus des Lumières, croyons aveuglement en la force de la démocratie, alors que l’histoire montre que les régimes les plus nombreux apparus dans le monde sont autoritaires, despotiques et quelque fois totalitaires.
7) Quels sont les pays sont face à une impasse, en sachant qu’une impasse définit un processus graduel accompagné parfois de secousses ? L’impasse finit par s’intensifier, se refermer sur une nation, ses populations, produisant un effondrement progressif ou alors une guerre civile à bas bruit façonnée par des incivilités en masse assorties de violences. A Paris, les tirs de mortier contre les dealers figurent dans la grande illustration des incivilités contemporaines, comme l’est cette rixe filmée à la gare de Lyon dont la vidéo choqua les âmes sensibles. La grande illustration des travers, catastrophes et maux contemporains se cesse de croître. Y figurent des tornades, des échanges de tir, des immeubles et des monnaies s’effondrant ; la liste est interminable. En France, la désaffection sans précédent des urnes locales contribue à forger ce sentiment d’impasse, traduit en termes d’abstention ainsi que de défiance face aux deux formations promises à un affrontement présidentiel. L’électeur choisit les valeurs sures. Les formations sortantes ont été reconduites dans les régions et les départements.
Ces choses étant dites, on ne peut affirmer que le tableau est si sombre. Il est contrasté, avec sur le plan économique des secteurs dynamisés et d’autres en voie d’affaissement. Même chose pour les lieux d’habitation dont la diversité sociale, géographique et culturelle conduit à concevoir une archipellisation de la France, terme employé par le politologue Jérôme Fourquet. Le Covid n’a fait que renforcer les différences sociales. Ce sentiment est largement partagé dans le monde. Pour une majorité de citoyens américains ou européens, la crise sanitaire a accentué les inégalités. De plus, l’économie est sur une pente glissante qui peut certes être renversée mais n’en reste pas moins préoccupante si la tension sur les matières premières, alimentaires et électroniques ne faiblit pas.
8) La question des impasses est complexe. Certaines impasses qui n’en sont pas sont liées à la nature, séisme, ouragans, canicules et maintenant, l’inexorable diffusion du coronavirus. Ces phénomènes conduisent vers des impasses produites par les hommes. Les restrictions sanitaires ne sont pas causées par le virus. Les choix économiques et financiers sont aussi générateurs de crises et d’impasses. Mais au final, l’impasse n’est qu’une notion relative, traduisant les obstacles que rencontre une société qui veut aller vers une direction sans réfléchir au sens de cette direction. Le système industriel est le ressort du progrès autant que de l’insatisfaction. L’homme est une impasse. Le dépassement de l’homme permet de franchit cette impasse.
Le religieux, liberté, vérité et amitié, espérance
Les vertus théologales catholiques médiévale, la foi, la charité, l’espérance.
Les valeurs transcendantales pour la modernité, la liberté, la vérité (amitié) et l’espérance
Liberté opposée à la soumission. La liberté, une puissance, une force d’exister, guidée par la vérité, inspirée et allumée par l’espérance.
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