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Télécharger le droit d’auteur

Problème : Comment appliquer le droit d'auteur à l'Internet, et plus généralement à la chose numérique ? Comment adapter les règles de la propriété intellectuelle au nouveau monde qui se développe à une vitesse hallucinante derrière les écrans ?

Solution : En étudiant la nature du terrain, en s'efforçant de décrypter les propriétés fondamentales du milieu, pour ensuite attribuer des droits et formuler des interdits adéquats. Comprendre la route avant d'écrire le code. Pour être appliquée, la loi doit d’abord être applicable.

A côté des droits moraux, notre code de la propriété intellectuelle accorde à l’auteur d’une œuvre de l’esprit des droits patrimoniaux, à savoir, présentement, le droit de reproduction et le droit de représentation. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit est illicite. La définition légale du droit patrimonial de l’auteur est bien adaptée aux conditions de vie sur Terre, dans notre environnement naturel. La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'œuvre sur un support solide, et la représentation renvoie quant à elle à tout procédé de communication directe de l’œuvre au public (théâtre, concert, télédiffusion par voie hertzienne etc…). Sous l’angle matériel, ces notions légales couvrent le champ du possible en matière de « consommation » des œuvres, dans son intégralité. Le public peut accéder aux œuvres, soit via un exemplaire fixé sur un support, soit à l’occasion d’une prestation de l’artiste (auteur ou interprète), rien de plus. L’air ne conserve ni les sons, ni les images : la nature met des bornes à la diffusion des œuvres. Inutile par conséquent de prévoir des contrats de licence pour décrire ce que le consommateur a le droit de faire ou de ne pas faire… la nature s'en charge.

La propriété littéraire et artistique est ancrée dans la réalité (la réalité des années 1950, à l'époque de la dernière grande loi fondatrice en la matière).

Examinons maintenant la structuration des choses et des comportements dans les flux électroniques. L'individu, seul devant son écran, se plonge dans des émissions, celles qu'il reçoit et celle qu'il produit. A l'écran, tout passe, tout ne fait que passer. En remplacement de la summa divisio reproduction-représentation, nous proposons de décliner le droit patrimonial de l’auteur en droit d’émission et droit de réception. Cette nouvelle structure est seule susceptible de garantir à l’artiste le contrôle de la diffusion de ses œuvres dans le télé-monde. Le consommateur peut être récepteur ou émetteur, ou les deux à la fois, il y a là une réalité incontournable. Il convient donc d’organiser la loi en conséquence. Un droit de réception concédé au client permettra à celui-ci de tirer de l’œuvre un bénéfice similaire à celui qu’il obtient dans l’espace terrestre à l’aide d’un exemplaire tangible, une « consommation » individuelle. Les « r-licences » ou « air-licences » désigneront le contrat passé entre l’auteur et ses récepteurs permettant à ces derniers de s’adresser l’ouvrage à eux-mêmes, à travers l’air, pour leur usage privé. Le droit d’émission, a priori plus onéreux, fera l’objet de licences appelées « e-licences » décrivant avec précision les droits et devoirs du licencié dans l’utilisation et la mise en circulation de l’œuvre à travers l’écosystème électronique.

Il ne s'agit plus d'organiser les relations entre, d'un côté, les producteurs, et de l'autre les consommateurs, en se basant sur les modes d'accession aux œuvres. Il n'y a désormais qu'un seul type d'interlocuteur, un point dans le flux, un nœud de communication, un émetteur/récepteur. Si sa puissance varie, son rôle est toujours le même, il ne fait que deux choses : émettre et recevoir. La barrière entre ceux qui émettent et ceux qui reçoivent, ceux qui vendent et ceux qui achètent, a vécu. La question n'est donc plus de savoir comment les créations sont transmises des premiers aux seconds. La question est de définir les droits et obligations de l'opérateur dans la circulation des oeuvres. Pour cela, le seul moyen est de l'appréhender dans ses deux opérations fondamentales. Le paysage était coupé en deux, il est maintenant totalement atomisé. Les vedettes des "Majors" sont juste plus riches et plus puissantes que les autres, mais elles ne sont pas différentes.

Autrefois, le dispositif technique permettant d'enregistrer de la musique et celui permettant de l'écouter étaient aux antipodes l'un de l'autre (un studio avec quelques tonnes de matériel d'un côté, un "tourne-disque" de l'autre). Aujourd'hui des logiciels d'une valeur de quelques centaines d'euros permettent d'enregistrer de la musique grâce à un simple ordinateur personnel, et cela avec une qualité professionnelle. Producteurs et consommateurs travaillent avec les mêmes appareils.

Autrefois, il y avait bien une différence de nature entre une caméra Super 8 et un poste de télévision. Aujourd'hui "Fichier/Ouvrir" et "Fichier/Enregistrer sous…" sont voisins. La matière tourne sur elle-même. L'opération d'écriture n'est pas séparée de l'opération de lecture. Dans l'environnement numérique, consommation et création sont comme cousues ensemble. Les objets se distinguent par l'image qu'ils rendent, le son qu'ils font entendre, ou le processus qu'ils viennent dérouler, pas par leur substance. Producteurs et consommateurs travaillent avec le même matériau. Le milieu met tous les acteurs à égalité dans le domaine de la fabrication des œuvres.

Il en va de même pour leur diffusion. Certes l'héritage des grandes compagnies qui ont construit nos répertoires dans le domaine de la musique et du cinéma est colossal. Mais il faut regarder l'avenir. L'avenir appartient aux serveurs. Or la loi des protocoles de l’Internet est la même pour tous : c’est un fait, les serveurs naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les lois de l’environnement placent tous les serveurs, et donc ceux qui les contrôlent, sur un pied d’égalité. Résultat : plus rien ne distingue un "producteur" d'un "consommateur", si ce n'est la puissance financière.

L'envergure des licences doit elle aussi être adaptée. Avec un vinyle ou une cassette vidéo, il n'était guère possible de faire plus que regarder et écouter. La machine se limitait à la fonction "lecture". Aujourd'hui l'ordinateur a remplacé la chaine stéréo, et ce même ordinateur permet au premier pékin venu de lancer aux quatre vents sa propre chaine TV. Il devrait être possible de faire légalement tout ce qui est possible matériellement. Les e-licences devront s'ouvrir à toutes les possibilités de réutilisation des contenus. Dans notre environnement traditionnel, celui des supports solides et des représentations vivantes, tous les modes d'exploitation des œuvres, toutes les techniques artistiques basées sur la reprise de certains éléments protégés font l'objet de mécanismes légaux ou contractuels. Le droit d'auteur épouse parfaitement les limites de ce qui est possible de faire. Pourquoi ne pas faire de même dans le nouveau monde ? Peut-on concevoir un droit d'auteur qui aboutisse à créer des blocages à la création ? Au-delà d'un certain succès, et après une période de quelques années, le créateur pourrait avoir l’obligation de proposer des e-licences de ses personnages, de ses partitions, de tous les composants détachables de son travail, pour permettre à d'autres de les reprendre, mais à leur manière, et à condition que ceux-ci fassent réellement preuve de créativité et d’originalité. Faut-il privilégier le monopole d’exploitation de l'auteur ? Ou le développement de nouvelles formes d’expression artistique ?

Une révolution démocratique s'est opérée dans les structures matérielles de la société, mais sans qu'il se fasse, dans les idées, les mentalités, et dans les lois, le changement qui devrait accompagner cette révolution. Certains, du côté des « Majors » continuent de se croire au-dessus de la masse. Et depuis près de trente ans, s’appuyant sur les principes classiques du droit d’auteur considérés comme intouchables, le législateur s’évertue à ajuster leurs modalités d’application à l’évolution de ce que l’on continue d’appeler « la technique », alors qu’il conviendrait de s’attaquer à ces sacro-saints principes, pour les renverser et les remplacer par d’autres. Le changement à opérer est autant dans les mentalités que dans les lois. L'adaptation du régime légal va consister à substituer une logique d'émission/réception individuelle applicable à tous, à une structuration basée sur la dépendance de consommateurs passifs par rapport à une petite caste de producteurs/diffuseurs. 

Avant de lutter contre le téléchargement illégal, tâchons de télécharger la légalité.

Emmanuel Cauvin (version longue de cet article)

http://etherciel.over-blog.com/article-telecharger-le-droit-d-auteur-98575912.html

 


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9 réactions à cet article    


  • Deneb Deneb 13 février 2012 13:33

    Ca m’ennerve !!!
    Consommation ... Vous n’avez que ce mot là à la bouche.
    En fait, quand on lit un livre, qu’est-ce qui se consomme ? Le livre, une fois consommé, il en reste plus rien, comme quand on consomme un sandwich, c’est ça ? Arrêtez donc d’abuser de cette sémantique fallacieuse. Vous jouez le jeu de l’oppression, puisque vous adoptez leur terminologie.

    Dans l’immatériel, la propriété a-t-elle un sens ? Si vous possédez un livre de poèmes que vous n’avez jamais ouvert et votre voisin , sans avoir ce livre chez lui, connaît tous ces poèmes par coeur, c’est qui, qui « possède » ?

    La notion de propriété dans l’immatériel n’est rien d’autre qu’une vaste arnaque liberticide, assertion dogmatique contraire au bon sens.

    Tout rattachement de l’immatériel à l’économie matérielle, c’est du fascisme. Toute entrave à la libre circulation des idées, c’est de la dictature.


    • Georges Georges 13 février 2012 22:57

      ça me rappelle une petite histoire (à priori un proverbe chinois),
      que je restitue de tête (je l’avais lu sous une forme bien plus
      concise et agréable, sur une carte de vœu)

      un jour, deux amis se font des cadeaux : chacun vient et repars
      avec un bien. ils se retrouvent alors, désireux d’échanger
      des informations : chacun partage la sienne avec l’autre, et tout
      deux repartent alors avec deux idées.


    • roro46 14 février 2012 09:52

      Ca m’ennerve !!!

      Pas mieux.

      Consommation ... Vous n’avez que ce mot là à la bouche.
      En fait, quand on lit un livre, qu’est-ce qui se consomme ? Le livre, une fois consommé, il en reste plus rien, comme quand on consomme un sandwich, c’est ça ? Arrêtez donc d’abuser de cette sémantique fallacieuse. Vous jouez le jeu de l’oppression, puisque vous adoptez leur terminologie.

      Dans l’immatériel, la propriété a-t-elle un sens ? Si vous possédez un livre de poèmes que vous n’avez jamais ouvert et votre voisin , sans avoir ce livre chez lui, connaît tous ces poèmes par coeur, c’est qui, qui « possède » ?

      Un livre est immatériel ?? ! 

      Ce dont se nourri son auteur l’est-il aussi ?

      La notion de propriété dans l’immatériel n’est rien d’autre qu’une vaste arnaque liberticide, assertion dogmatique contraire au bon sens.

      Tout rattachement de l’immatériel à l’économie matérielle, c’est du fascisme. Toute entrave à la libre circulation des idées, c’est de la dictature.

      Tout vient d’idée(s). Même l’ordinateur sur lequel vous avez tapé votre message.


    • Cauvin Cauvin 16 février 2012 19:07

      « Si vous possédez un livre de poèmes que vous n’avez jamais ouvert et votre voisin , sans avoir ce livre chez lui, connaît tous ces poèmes par coeur, c’est qui, qui »possède«  ? »


      Le livre, le poème. Le livre sert à convoyer le poème, une oeuvre inscrite sur un support, ou un support en 10.000 exemplaires. Mais le poème a bien sa vie propre, indépendamment des supports sur lesquels il est inscrit.
      C’est l’objet dela propriété intellectuelle, de protéger cette oeuvre intellectuelle, cette oeuvre qui se transporte par l’esprit (dans une certaine mesure seulement : qui serait capable d’apprendre par coeur, par exemple, l’intégrale de Victor Hugo ?).

      Cette propriété intellectuelle ne s’applique qu’aux oeuvres formées, qui sont audibles/lisibles/visibles. Par contre les idées sont de libre parcours (c’est la formule traditionnelle). Les idées voyagent librement, vous avez raison, et le droit ne dit pas autre chose. La propriété intellectuelle ne s’applique pas aux idées. La propriété intellectuelle (donc, le monopole de l’auteur) ne s’applique qu’à partir du moment où l’oeuvre a pris forme.


    • Bobby Bobby 13 février 2012 22:11

      Bonsoir,

      Qu’un auteur puisse vivre de ce qu’il a composé, me paraît une chose logique !

      que certains vivent.. pas du tout et d’autres, plus que bien.. pas fort équilibré !

      Un salaire universel (insaisissable et permettant de vivre correctement..) augmenté de revenus d’activité choisies... me paraît plus que profitable à l’ensemble du peuple, de nos sociétés !

      Que les artistes vivent décemment, comme les médecins (dont les études auront coûté très cher à l’ensemble social) devrait permettre un plus juste équilibre social.. et de meilleures relations entre ceux qui possèdent le pouvoir et ceux qui n’en possèdent pas... ce ne serait pas du luxe !

      Droits de percevoir un salaire sur création, Oui s’il est limité et accompagné du salaire universel... Il y a pas mal de chemin à parcourir mais il me paraît inéluctable si on ne veut en arriver à cette violence permanente que génèrent les disparités actuelles de revenus.


      • Georges Georges 13 février 2012 22:33

        bonjour,

         merci à l’auteur pour les solutions proposées.
        j’ajouterais une remarque, sur ce qui me semble être
        un problème : un fichier informatisé (quelque soit
        le support, dvd, cd, disque dur, etc.) n’est au fond qu’une
        succession de bits, c’est-à-dire un nombre. comment
        est-ce rien qu’envisageable de se proclamer auteur d’un
        nombre ?

        alors que payer le support paraît normal, le contenu,
        de part sa nature même, n’a aucune valeur matérielle.


        • Cauvin Cauvin 14 février 2012 18:39

          Bonjour Georges,

          vous avez raison sur le plan de l’analyse physique. Je vous rejoins sur la question du matériau.
          Mais je ne vous suis pas sur la conséquence que vous en tirez sur le plan juridique. La Recherche de Marcel Proust n’est pas autre chose qu’une suite de caractères alphabétiques.
          Pourtant c’est une beauté. Un tableau de Matisse n’est qu’un empilement de petits points de couleur. Pourtant c’est une beauté. Et l’idée que tout cela puisse être protégé par le droit ne me choque pas.
          Je voudrais faire une distinction entre l’analyse physique et l’effet sensible (image, son).
          L’analyse physique est indispensable pour produire des lois APPLICABLES. Ensuite, il y a l’oeuvre, et l’oeuvre est indépendant du support. L’oeuvre c’est quelque chose qui se détache du milieu où elle est plongée (terrestre ou électronique) pour venir frapper nos sens.
          Le principe (avec lequel on peut ne pas être d’accord) c’est que l’artiste a mis une partie de lui même dans son travail.C’est dans ce sens qu’il peut, s’il le souhaite, revendiquer un monopole d’exploitation. C’est parce que son oeuvre est comme le reflet de lui même.
          Je trouve cette idée fondatrice assez belle, indépendamment du milieu physique considéré.
          Il y a le milieu, et ensuite il y a ce que l’on veut en faire.
          Deux sujets.
          Sur le premier sujet, notre législateur s’est planté.
          Sur le second, c’est un débat disons, de principe.
          Cordialement
          E-

        • Georges Georges 15 février 2012 12:00

          bonjour,

           à vrai dire, je suis autant choqué par le fait de
          devoir protéger une œuvre par le droit que par le
          fait d’utiliser une œuvre sans en citer l’auteur.

          je vous rejoins sur la distinction entre
          œuvre et support, ou encore sur le fait qu’un auteur
          met une partie de lui-même dans sa création. j’ai
          en revanche quelque difficulté à comprendre l’interêt
          pour l’auteur d’avoir un monopôle d’exploitation.

          Il me semble aussi qu’un support numérique
          a tendance à modifier l’effet sensible procuré par
          l’œuvre. par exemple, une version informatisée d’une
          musique, d’une peinture ou d’un spectacle ne
          retranscrivent qu’une version éducolorée de l’œuvre.
          l’ambiance du spectacle/concert, la précision de
          l’image/de la musique font partie des détails perdus
          lors de la numérisation.

          ce manque est néamoins compensé par le fait
          que l’œuvre sous cette forme se propage plus
          vite, à bas prix. toutes les personnes désireuses
          d’accéder à l’information sont sur un pied d’égalité.

          l’écrit est un cas à part, dans le sens où le texte,
          qu’il soit stocké sur un livre physique ou immatériel ne
          change pas.


        • Cauvin Cauvin 16 février 2012 19:13

          Exact ! Je suis bien d’accord !


          prenons un concert.

          Regarder un concert (à l’écran) et assister à un concert (dans une salle de spectacle) : une même prestation, du côté de l’artiste, certes, mais deux expériences de vie tout à fait différentes.
          « télé » ou « pas télé », c’est toute la différence.






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