Tous Charlie. Universalité.
Comprendre pour savoir que faire devrait être une sagesse qui nous guide.
Nos échanges épistolaires vont si vite que les analyses sont arrivées avant l'événement. L'événement, c'est de grandes manifestations unitaires. L'analyse, c'est la division de cette unité.
Je suis Charlie est un slogan fondé sur l'universalité des hommes. C'est un moment extrêmement nécessaire. Le critiquer au nom de ses particularités parfois et au nom de la morale (juger les autres, les trouver hypocrites...), voire critiquer l'unité en elle-même avant même qu'elle s'accomplisse dans ce geste symbolique, est un accélérateur de la division qui est à l'origine de la tragédie. C'est très regrettable. La division est largement assez forte comme cela.
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L'universalité est ce qui appartient à tous les hommes. La science est un modèle de travail humain universel. Les religions, en général, ont un souhait d'universalité. La formulation de base peut être « ce que tu fais à l'un des miens, tu le fais à tous ». C'est de la morale, mais pas au sens du jugement moral de l'autre et de l'orgueil qu'un jugement sur l’autre porte et exprime. C'est de la morale, au sens du jugement que l'on porte sur soi.
De ce point de vue, le slogan je suis Charlie est impeccable. Il ne signifie qu'on était lecteur de Charlie-Hebdo, ni qu'on adhérait à tout ce que faisait Charlie-Hebdo, il signifie qu'on reçoit ce qui a été fait à Charlie-Hebdo comme si cela nous avait été fait à nous. Universalité. Précieux moment qu'il faut protéger pour bâtir des discours de compréhension mutuelle, une fois le moment émotionnel passé.
Si on casse ce moment, comme tant de gens l'ont fait et le font, on est sûr de voir revenir les agressions, les violences, les blessés et les morts.
Certains arguments sont incroyables : l’unanimité serait contre la liberté d’expression ! On ne peut pas promouvoir la division dans le but de conserver la liberté d’expression ! Si la liberté d’expression nous oblige (à rechercher la division), elle n’est pas la liberté. Argument rare, mais qui existe.
La plupart des participants ont marché pour dire qu'on ne peut pas tuer à la kalachnikov des hommes qui ont des crayons. Celles et ceux qui ont marché n'ont pas marché pour être avec Untel ou Untel. « Assassiner » politiquement (par les mots) un certain nombre d'élus et de responsables politiques mondiaux pour dire que les marcheurs étaient des hypocrites est très dommageable. Cela a un sens, dont je fais l'hypothèse que ceux qui prennent cette position ne voient pas : chacun chez soi, avec son groupe de la même pensée, dans l'entre-soi de son parti, à fustiger d'autres groupes de pas pareils et à les arroser de noms d'oiseau.
Serait-il réellement préférable de ne pas réagir à l'assassinat qui a eu lieu à Charlie-Hebdo ? De rester chez soi ? De ne rien dire, rien faire ?
Celles et ceux qui marchent montrent aux apprentis djihadistes qui voudraient faire d’autres actions meurtrières de commando, celles et ceux qui marchent montrent qu’ils font société, qu’ils sont « associés », qu’ils ne se laisseront pas diviser, déliter par ce type d’actions. Il est fondamental de le faire.
Certes, la place de Charlie-Hebdo dans la société française s’est inversée. Beaucoup y voient un paradoxe et s’en étonnent. Le renversement des « valeurs » est un mouvement permanent des sociétés. Le philosophe français Pascal l’a écrit : « qui veut faire l’ange fait la bête ». Il en est toujours ainsi et les hommes devraient le savoir. Une religion fondée par un prédicateur va-nu-pieds, mis à mort comme un criminel par le pouvoir impérialiste de l’époque, est représentée depuis 2000 ans par un petit roi en Italie, dans des châteaux somptueux construits dans la capitale de cet Etat impérialiste. C’est sans doute l’exemple le plus grand, en taille et en durée, de cette inversion des places. D’une étable au Vatican. Paradoxe.
Ce même mouvement, dans des dimensions incomparablement plus petites, s’applique à Charlie-Hebdo : de marginal, ce journal est devenu central. Les caricaturés de Charlie sont en tête de cortège. Ils ne sont pas venus adhérer à leurs caricatures, ni même au fait qu’ils soient, eux, une cible fréquente de Charlie, ils sont venus défendre la liberté d’expression, le fait que l’on puisse caricaturer sans être mis à mort par un pouvoir marginal qui se comporte comme tout-puissant.
Il nous faudrait observer le phénomène avec le plus d’objectivité possible. Nous envoyons des généralités : « pas d’amalgame » par exemple. Séparer le bien et le mal ; distinguer les musulmans des islamistes. En même temps, certains s’irritent (dont Charb et d’autres victimes de Charlie-Hebdo) de la demande faite aux musulmans de se désolidariser de ceux qui agissent au nom de l’Islam. Il faudrait considérer cette distinction comme allant de soi et n’allant pas mieux en le disant ? Du coup, les difficultés rencontrées par certains enseignants, dont on a beaucoup parlé, sont réduites à leur dimension « scolaire » : il faut faire de la pédagogie. En revanche, les discours des imams condamnant ces meurtres comme n’appartenant pas à l’Islam ne sont pas appuyés, ils sont moins relayés que le slogan « pas d’amalgame ».
Le discours de type « oui, mais » (« c’est odieux de les avoir tués mais ils n’avaient pas à caricaturer le prophète ») est beaucoup repris. Avec son air balancé, et son indétermination (on peut jouer sur deux tableaux), il risque de plaire et de se développer chez les musulmans.
L’appel à la laïcité est aussi l’objet d’une grande répétition, dans l’ordre des valeurs et non dans l’ordre de la recherche d’une compréhension de l’autre et d’une compréhension des phénomènes. Or, la laïcité a été inversée par une loi de 2004 sur les signes religieux à l’école. (Tout s’inverse tout le temps, ce n’est pas l’étonnement qui m’anime). Cette inversion contribue à produire l’exclusion d’un groupe important de Français. Inversion : il n’y a pas de laïcité de la société, ni des citoyens. La laïcité est la laïcité de l’Etat exclusivement. La nouvelle laïcité : la religion pour l’entre-soi, la dissimuler quand on peut être vu par des non-coreligionnaires, abime l’unité de la société.
La plupart des commentaires sont sur ces grandes lignes (amalgame, oui mais, laïcité) avant de traiter de l’événement lui-même, dans une éthique de la conviction, (dans l’affirmation de soi), plutôt que dans l’éthique de responsabilité, attentive aux conséquences de ce que l’on fait et dit.
Je ne vois guère de textes, de positions à la recherche d’une attitude universelle, scientifique, pour diminuer la pression sur la société française. Il nous faudrait au moins chercher un constat, hors de toutes ces participations idéologiques aux événements.
Documents joints à cet article
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