Yvan des sources
Au deuxième jour de son procès, le berger de Cargèse a pris la parole pour dire tout le mal qu’il pensait de l’instruction et tout l’amour qu’il portait à son « pays ». Ses proches l’ont présenté comme un berger trop occupé avec ses chèvres et son fils pour jouer au cow-boy.
« J’ai le sentiment d’appartenir à un peuple, ce peuple est nié dans ses droits, ça a fait de moi un nationaliste corse (...) Je le suis toujours, monsieur le juge (...) Je fais une différence entre le nationalisme d’Etats constitués (...) comme chez vous, en France, où on agite des petits drapeaux et on chante la Marseillaise à tue-tête dans les manifestations PS ou UMP. En Corse, c’est un nationalisme de résistance et d’affirmation. » Au deuxième jour de son très attendu procès, Yvan Colonna a pris la parole, hier, moins « fatigué » que la veille, d’après ses propres dires. Il parle donc d’un peuple « nié dans ses droits », ce qui ne signifie rien, évidemment, que du verbiage nationaliste rodé. Il moque ensuite les « petits drapeaux » qu’on agite sur le continent. Faut-il lui rappeler que ces petits drapeaux sont aussi les siens, que son peuple est le nôtre, et que la Marseillaise est aussi son hymne ? Enfin, qu’est-ce qu’un « nationalisme de résistance et d’affirmation » si ce n’est un nationalisme qui n’aurait pas sa place en Corse, territoire démocratique et libre ? « J’aime mon pays par-dessus tout » affirme Colonna, qui aime donc la France par-dessus tout, bonne nouvelle. Quant à la violence ? Il ne « la juge pas », ce qui ne mange non plus pas de pain. Ne pas juger, c’est donc ne pas condamner. On a appris ensuite que le jeune Yvan a vécu « comme un déchirement » son départ pour Nice (en face) à l’âge de 16 ans (moment auquel il a fait la connaissance d’André Herrero, témoin aujourd’hui de moralité du berger) et qu’il s’est empressé de revenir sur son île, au mépris de ses études, et après la rencontre avec un berger qui lui transmit la vocation, en quelque sorte : Yvan vivrait désormais parmi les chèvres, comme Emmanuelle Béart dans Manon des sources. Yvan des sources.
Le père de Colonna vient à son tour le présenter, le qualifiant de « franc, altruiste et sensible ». Il faut au moins cela pour bien élever des chèvres. Manque de bol, ou mauvaise coïncidence, ce même père avait en 1999 envoyé une lettre à la veuve du préfet Erignac, pour s’excuser du mal que son fils lui avait fait, à elle et à ses enfants. Aujourd’hui, Jean-Hugues Colonna s’explique en disant qu’à l’époque il avait « des doutes », mais qu’aujourd’hui, tous ces doutes sont levés et que son fils est, selon lui, « innocent ». Des doutes ? En 1999 ? Bizarre, d’autant plus que la sœur et le frère de l’accusé, ainsi que Jean-Hugues Colonna lui-même, affirment que Yvan avait abandonné le « militantisme nationaliste » au début des années 90 « en raison de son métier et de la naissance de son fils ». « J’ai eu un tournant dans ma vie professionnelle et affective..., avec un investissement de tous les instants dans mon exploitation agricole et avec la naissance de mon fils » confirme Yvan Colonna. Comment se fait-il alors que Jean-Hugues Colonna ait douté en 1999 de l’innocence de son fils devenus dix ans plus tôt un éleveur de chèvres doublé d’un père modèle, totalement coupé de tout « militantisme nationaliste » ? Il y a là comme l’ombre d’une contradiction. Colonna a par ailleurs, et sans surprise, critiqué une instruction selon lui « à charge », où « tous les éléments à décharge » auraient été « écartés ». Ses avocats ont également pointé du doigt le ministre de l’Intérieur d’alors, Jean-Pierre Chevènement, qui « voulait aller vite ».
Première journée très prévisible donc dans ce procès. Un accusé qui n’assume rien, si ce n’est son statut de berger. Qui se défend de toute « radicalité ». Qui prétend, en gros, qu’on se trompe de bonhomme. Que dans ce box se tient simplement un homme qui aime ses chèvres et son fils et sa Corse, et beaucoup moins nos petits drapeaux, notre petit hymne et notre médiocre justice. Yvan Colonna ? Une oie blanche, qui affirme avoir mis son « potentiel » au « service » de ses chèvres : « Pour le reste, je regrette la mort d’hommes mais étant donné que je n’étais pas partie prenante, je ne vois pas ce que je peux vous en dire. » Il faudra bien qu’il trouve quelque chose à en dire : la vérité n’est pas un troupeau qu’on envoie paître.
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