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Accueil du site > Actualités > Technologies > A la recherche d’une hypothétique « réalité » sous-jacente au monde (...)

A la recherche d’une hypothétique « réalité » sous-jacente au monde quantique

Marcus Chown, auteur de « Tweeting the universe  » Faber and Faber, 2011, commente dans le NewScientist du 28 juillet 2012, p. 29 1) une hypothèse qui pourrait se révéler révolutionnaire, et qui concerne la « réalité » de l'univers.

Jean-Paul Baquiast 04/08/2012

 


Nous avons ici rappelé, en présentant récemment le livre de Henry Stapp, Mindful Universe, que la fonction d'onde, dite psi, imaginée par Erwin Schrödinger en 1926 pour représenter les entités quantiques, demeurait en faveur chez la majorité des physiciens quantiques ( 2). Selon cette représentation, il n'est pas possible d'affirmer que les particules quantiques, des atomes aux électrons, aient une réalité indépendante de l'observateur, comme en possèdent en pratique, par exemple, les cailloux du chemin.

Par particules quantiques, on désigne des entités que les instruments scientifiques modernes permettent d'observer, soit en groupe (par ex. un courant électrique) soit individuellement (un électron isolé). On peut émettre des électrons un à un, et constater leur existence quand ils interfèrent avec une cible. Cependant, selon la physique quantique contemporaine, confirmée jusqu'à présent invariablement par des milliers d'expériences et d'applications, l'observation que nous faisons d'un électron n'épuise pas tout ce que nous pouvons en dire. Elle se borne à matérialiser un des multiples états possibles de cet électron, qui sont en fait répartis sous forme de probabilités dans un nuage entourant l'électron. Ainsi, dans certaines conditions, l'électron ne se comporte pas comme une particule, mais comme une onde.

L'électron dans cette perspective peut être représenté par l'équation psi proposée par Erwin Schrödinger (image). Celle-ci rassemble un certain nombre de paramètres qui, bien que réunis dans la fonction d'onde, ne peuvent en donner une définition déterministe . Ainsi, 90 ans plus tard, il n'est toujours pas possible de penser qu'il existerait une réalité matérielle objective derrière la fonction psi (ou derrière le concept d'électron). Ce n'est pas le cas quand il s'agit de fonctions représentant la position ou le mouvement d'un objet non quantique. On peut ainsi considérer que l'équation décrivant la chute d'une pomme et inspirée de la loi de gravitation universelle proposée par Newton décrit une réalité objective, qui est précisément ce phénomène « universel » qu'est la chute d'une pomme, dans un monde tel que la Terre où « existent » à nos yeux ces réalités pour nous que sont les pommiers et les pommes.

En physique quantique, lorsque l'observateur décrit la position ou le mouvement d'un électron particulier, il se borne à décrire une interaction parmi d'autres de l'entité observée interagissant avec un instrument de mesure parmi d'autres. Il ne peut affirmer qu'il existerait une réalité objective qui correspondrait à l'ensemble des positions et des mouvements de cet électron. La connaissance de l'état quantique de l'électron (3) ne permet de prévoir que les probabilités respectives des différents résultats qui peuvent être obtenus à la suite des différentes mesures portant sur cet électron. La fonction d'onde ne désigne qu'une distribution de probabilités de trouver ce qu'un grand nombre de mesures de l'électron permettrait de préciser. Cela suffit largement en pratique. Se demander si la fonction d'onde désignerait une réalité objective ultime est considéré comme une résurgence d'un vieux réalisme ou essentialisme métaphysique, qui ne peut recevoir de réponses aujourd'hui. Ce n'est pas le cas, répétons-le, en ce qui concerne la physique macroscopique. L'équation décrivant la chute de la pomme renvoie, selon les physiciens de monde macroscopique, à une réalité ultime, l'une de celle qui font partie de ce que les cosmologistes appellent les lois fondamentales de la nature.

Un article peut-être fondateur

Or trois physiciens britanniques viennent de publier un article dans Nature (4) selon lequel l'état quantique représenterait une réalité, et pas seulement le produit d'une distribution de probabilités. Nous ne pouvons résumer ici et moins encore critiquer le raisonnement qu'ils ont fait. Bornons nous à traduire le sommaire de leur article :

« Les états quantiques sont des objets mathématiques clefs pour la théorie quantique. Il est donc surprenant que les physiciens n'aient pas été jusqu'à présent capables de s'accorder sur ce qu'ils représentent en réalité. Il existe une possibilité qu'un pur état quantique corresponde directement à la réalité. Il a été admis cependant depuis les origines, qu'un état quantique (voire un état proprement dit, indépendant des paramètres observés JPB. ) ne représente que la connaissance ou l'information dont l'on dispose à propos de cette réalité. Ici nous montrons qu'un modèle dans lequel un état quantique ne représente qu'une information sur un état physique sous-jacent du système, et dans lesquel des systèmes qui sont préparés indépendamment ont des états physiques indépendants, doit produire des prédictions qui contredisent celles de la théorie quantique » (5)

En d'autres termes, ceci signifierait que la théorie hypothétique qu'ils ont imaginé pourrait décrire complètement un objet quantique isolé tel qu'un atome, sans que l'on ait besoin de faire appel à une onde sous-jacente définissant ce que devrait faire cet atome. Que pourrait être la démonstration de cette hypothèse ? Les auteurs imaginent une expérience de pensée impliquant deux atomes indépendants que l'on rapprocherait et sur lesquels on ferait une mesure particulière. Ils trouvent que leur hypothétique théorie, sans appel à la notion d'onde, donnerait des résultats différents de ceux prédits par la théorie quantique classique.

Ceci voudrait dire que la fonction d'onde caractérisant chacun de ces atomes ne serait pas seulement une abstraction purement mathématique, mais correspondrait à une réalité permettant de décrire l'univers sous-jacent, comme l'équation décrivant la chute d'un corps sous l'effet de la gravité correspond à une réalité caractérisant l'univers de la physique macroscopique. Elleserait tout autant réelle, pour prendre un autre exemple, que le champ magnétique identifiable autour d'une barre aimantée . Ainsi une mesure faite sur l'un de ces atomes, s'ils sont vraiment indépendants,, n'affectera pas l'autre.

l'hypothèse viendrait directement en contradiction avec les expériences répétées de nombreuses fois et démontrant la non-séparabilité de deux particules intriquées. Toutes les applications faisant appel à des bits quantiques devraient trouver d'autres explications. De plus, les difficultés théoriques impliquée par cette théorie hypothétique seront nombreuses. Ainsi, si à chaque particule est associée une réalité en 3 dimensions correspondant à sa fonction d'onde propre, il faudrait en déduire que la fonction d'onde, et la réalité sous-jacente, correspondant à deux particules associées, existe dans un espace abstrait à 6 dimensions, dans un espace de 9 dimensions pour 3 particules, etc. Pour que ces nouvelles hypothèses s'imposent, il faudrait en fait que l'on repense entièrement une grande partie des fondements de la physique.

On notera que le physicien Lucien Hardy, du Perimeter Institute, vient de publier un article sur le site Arxiv qui propose des conclusions voisines, sans pourtant reprendre les propositions de Pusey, Barrett et Rudolph. (6) Selon cet auteur, si l'on postule une théorie dans laquelle une réalité est décrite par des variables sous-jacentes, chacune des valeurs prises par ces variables décrit un état particulier de cette réalité, un état « ontologique », à partir duquel on peut déduire l'état quantique d'une particule donnée.

L'onde-pilote

Faudra-t-il redonner du crédit aux différentes hypothèses postulant l'existence d'une réalité sous-jacente compatible avec les observations de la mécanique quantique admises par tous aujourd'hui. Certains imaginent que l'on pourrait ainsi donner ue nouvelle autorité à l'hypothèse du multivers proposée par Hugh Everett en 1955, selon laquelle les différentes possibilités incluses dans la fonction d'onde correspondent à des réalités propres à des univers différents, l'observateur se bornant à faire apparaître un seul de ces univers. L'inconvénient de cette hypothèse, que l'on retrouve sous des formes différentes en cosmologie, est qu'elle n'a jamais pu jusqu'à présent recevoir le moindre début de preuve expérimentale – sauf dans les ouvrages des auteurs de science-fiction.

Nous pensons pour notre part que l'hypothèse de l'onde-pilote proposée par Louis de Broglie(image) et Bohm en 1927 et abandonnée depuis faute d'expérimentations concluantes serait bien plus pertinente.(7) Pour cette hypothèse, chaque particule est associée à une onde-pilote invisible qui détermine son comportement. Les phénomènes d'interférence manifestées dans l'expérience classique de Young (double-slit experiment) et ne pouvant pas relever d'une explication théorique de la part de la physique quantique en seraient une conséquence.
.
Quoiqu'il en soit, il sera intéressant de suivre les réactions que ne manquera pas de susciter dans les prochains mois l'article de Pusey, Barrett et Rudolph. Un prix Nobel en résultera-t-il.pour le trio ?

Notes
1) Marcus Chown, Ghosts in the atom : Unmasking the quantum phantom . http://www.newscientist.com/article/mg21528752.000-ghosts-in-the-atom-unmasking-the-quantum-phantom.html?full=true
Lire aussi les commentaires des lecteurs.

2) L'équation de Schrödinger et la fonction d'onde http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quation_de_Schr%C3%B6dinger

3) L'état quantique Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat_quantique
"L'état d'un système physique décrit tous les aspects de ce système, dans le but de prévoir les résultats des expériences que l'on peut réaliser. Le fait que la mécanique quantique soit non déterministe entraîne une différence fondamentale par rapport à la description faite en mécanique classique : alors qu'en physique classique, l'état du système détermine de manière absolue les résultats de mesure des grandeurs physiques, une telle chose est impossible en physique quantique et la connaissance de l'état permet seulement de prévoir, de façon toutefois parfaitement reproductible, les probabilités respectives des différents résultats qui peuvent être obtenus à la suite de la réduction du paquet d'onde lors de la mesure d'un système quantique. Pour cette raison, on a coutume de dire qu'un système quantique peut être dans plusieurs états à la fois. Il faut en réalité comprendre que le système est dans un état quantique unique, mais que les mesures peuvent donner plusieurs résultats différents, chaque résultat étant associé à sa probabilité d'apparaître lors de la mesure.
L'état doit donc être vu comme représentant toute l'information disponible sur le système : une description de l'histoire du système permettant de calculer les probabilités de mesure. Dans le débat philosophique concernant l'interprétation de la mécanique quantique, certaines approches telle que l'interprétation de Copenhague considèrent d'ailleurs que l'état quantique n'est pas un élément de réalité au sens qu'Einstein donnait à ce terme, mais simplement un intermédiaire de calcul utile pour prévoir les mesures ; d'autres approches font appel à la notion de décohérence quantique pour décrire le processus mis en œuvre lors d'une mesure quantique.
L'une des conséquences de la nature aléatoire des mesures quantiques est que l'état ne peut être assimilé à un ensemble de propriétés physiques qui évoluent au cours du temps. En mécanique quantique, l'état et les grandeurs physiques sont deux concepts séparés et sont représentés par deux objets mathématiques différents. "

4) Matthew F. Pusey, Jonathan Barrett & Terry Rudolph . On the reality of the quantum state http://www.nature.com/nphys/journal/v8/n6/full/nphys2309.html

5)Texte anglais : « Quantum states are the key mathematical objects in quantum theory. It is therefore surprising that physicists have been unable to agree on what a quantum state truly represents. One possibility is that a pure quantum state corresponds directly to reality. However, there is a long history of suggestions that a quantum state (even a pure state) represents only knowledge or information about some aspect of reality. Here we show that any model in which a quantum state represents mere information about an underlying physical state of the system, and in which systems that are prepared independently have independent physical states, must make predictions that contradict those of quantum theory »

.6) Lucien Hardy Are quantum states reel  ? 7 May 2012
http://arxiv.org/abs/1205.1439
" In this paper we consider theories in which reality is described by some underlying variables. Each value these variables can take represents an ontic state (a particular state of reality). The preparation of a quantum state corresponds to a distribution over the ontic states. If we make three basic assumptions, we can show that the distributions over ontic states corresponding to distinct pure states are non-overlapping. This means that we can deduce the quantum state from a knowledge of the ontic state. Hence, if these assumptions are correct, we can claim that the quantum state is a real thing (it is written into the underlying variables that describe reality). The key assumption we use in this proof is ontic indifference - that quantum transformations that do not affect a given pure quantum state can be implemented in such a way that they do not affect the ontic states in the support of that state. In fact this assumption is violated in the Spekkens toy model (which captures many aspects of quantum theory and in which different pure states of the model have overlapping distributions over ontic states). This paper proves that ontic indifference must be violated in any model reproducing quantum theory in which the quantum state is not a real thing. The argument presented in this paper is different from that given in a recent paper by Pusey, Barrett, and Rudolph. It uses a different key assumption and it pertains to a single copy of the system in question. "

7)Wikipedia. L'onde-pilote http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_de_De_Broglie-Bohm


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11 réactions à cet article    


  • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 6 août 2012 10:41

    Pour pouvoir comprendre totalement un phénomène, il faudrait pouvoir observer en même temps (et non séparément) le processus par lequel nous sommes en train de le comprendre. Sans cela, il nous est impossible de savoir si nous décrivons ce qui se passe en nous ou ce qui se passe face à nous, ou un mélange confus des deux. Le statut du réel et le statut de la conscience ne peuvent pas être recherchés indépendamment l’un de l’autre, de même que l’on ne peut pas tendre un élastique en tirant parfois d’un côté, parfois de l’autre. 


    • Vous avez parfaitement raison. Mais je n’avais pas voulu, pour ne pas compliquer cet article , poser la question qui devrait être celle de tous les physiciens : de quel instrument (le cerveau, la culture ?) disposons-nous pour observer. J’essaierai d’y revenir ailleurs.


    • kemilein 6 août 2012 13:20

      et en considérant que l’observation n’interfère pas avec l’expérience.
      un peu comme un mec dans une cage camouflage pour observer les animaux dans leur milieux naturel... sauf que si l’animal ne perçoit pas la cage lui, la « physique » elle « sait » qu’il y a une cage.


    • Eric Lombard Eric Lombard 6 août 2012 12:33
      @ l’auteur

      J’avoue ne pas bien comprendre  pourquoi  la non-séparabilité de deux particules intriquées serait en contradiction avec l’expérience de pensée impliquant deux atomes indépendants. S’ils sont indépendants, ils ne sont pas intriqués et vice-versa.

      • A Eric Lombard
        Le texte anglais dit : « bringing two independant atoms together and making a particular measurement on them. » J’en conclue qu’il s’agit d’une façon ou d’une autre de les intriquer. But may be I am wrong


        • Ruut Ruut 6 août 2012 15:55

          Tant de mots pour si peut de faits...


          • joelim joelim 6 août 2012 19:53

            Imaginons qu’on soit des programmes informatiques et qu’on étudie notre environnement.


            Nous trouverions les octets-mémoire, dont l’état en général serait aléatoire (pour le programme) mais les états de certains octets-mémoires seraient corrélés....

            La frontière quantique nous révèle, en creux, la trame de l’univers...

            • robin 6 août 2012 20:23

              Descartes aurait du dire non seulement « je pense donc je suis »’ mais plus profondément « je pense donc je fais devenir ».

              Le cerveau n’est qu’un dispositif de conversion d’interférences sonores et visuelles, le laser qui décripte l’hologramme du monde, sans quoi le monde serait absolument inintelligible ; le monde qui nous entoure c’est d’abord un tas d’impulsions sensorielles reformatées en temps réel.

               


              • Crapaud Rouge 6 août 2012 21:14

                "Les auteurs imaginent une expérience de pensée impliquant deux atomes indépendants que l’on rapprocherait et sur lesquels on ferait une mesure particulière. Ils trouvent que leur hypothétique théorie, sans appel à la notion d’onde, donnerait des résultats différents de ceux prédits par la théorie quantique classique. "

                C’est tautologique ! Deux théories différentes ne peuvent que prédire des mesures différentes... La question qui importe est de savoir si les mesures effectivement effectuées sur ces deux atomes seraient différentes de ce que prédit la MQ.


                • hopeless 6 août 2012 23:04


                  Il semble que l’on oublie un peu trop facilement que la représentation mathématique de notre univers est avant tout une tentative de modélisation de celui-ci, c’est à dire une description mathématique d’un univers fictif, sensée nous permettre, par similitude, de prévoir certains comportements dans notre univers réel.


                  Dans ce contexte, il n’est plus nécessaire de batailler pour savoir si la réalité est comme-ci ou comme-ça. La réalité est comme elle est, et essayons seulement de trouver les meilleurs modèles, c’est à dire ceux qui permettent de faire les meilleures prévisions.


                  Dans ce contexte, il apparaît également que les notions d’atomes, d’ondes, de champs etc, ne sont que des concepts et nous ne pouvons en aucun cas affirmer qu’elles décrivent des réalités absolues, ou une quelconque « réalité matérielle objective » comme dit l’auteur. Pas plus au niveau quantique qu’au niveau macroscopique d’ailleurs, les exemples de la pomme qui tombe, ou du simple caillou au bord du chemin sont trompeurs !


                  • christophe nicolas christophe nicolas 8 août 2012 14:37

                    Ce n’est pas possible de créer des objets quantique totalement isolés. Un atome est composé de parties. Ces parties ont une histoire, une histoire où elles ont interagit avec autre chose. Le seul système isolé est l’Univers par définition. Donc sans doute très isolé ou isolé très longtemps , c’est possible...

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