Darwin » s’invite au Tibet pour comprendre l’adaptation aux altitudes élevées
Les fantastiques intuitions de Darwin ont permis de comprendre, partiellement mais avec fulgurance, les processus faisant que les espèces s’adaptent en jouant sur des transformations dont on ne sait pas actuellement comment elles se produisent, si ce n’est à travers deux mécanismes, les mutations géniques et les recombinaisons grâce à l’échange de matériel génétique lors de la reproduction sexuée. La science contemporaine sait beaucoup de choses sur l’adaptation et la sélection naturelle. Le classique c’est le phalène du bouleau. Un papillon dont les ailes lui permettent de se fondre dans le milieu en imitant la couleur du bouleau. Or, pendant la révolution industrielle anglaise, le tronc des bouleaux fut recouvert d’une couche de suie. Du coup les phalènes de couleur claire ont été décimés par les oiseaux prédateurs. Progressivement, ces phalènes ont décliné en nombre, ne parvenant plus à subvenir au maintient de la population mais pendant ce même temps, des phalènes aux ailes foncées ont pu passer au travers de la prédation, rendus invisibles sur les troncs foncés, si bien que les générations se sont reproduites. Le phalène foncé est devenu la population dominante en quelques décennies.
Le phalène constitue un élément édifiant du paradigme darwinien de la sélection naturelle. En deux mots, une espèce présentant un avantage adaptatif finit par voir sa descendance augmenter, tout simplement parce que les atouts adaptatifs sont transmis comme un héritage par les parents. Alors qu’un défaut adaptatif réduira de génération en génération les parents qui sont aussi les descendants. Voilà comment se présente le jeu de la sélection naturelle. C’est en réalité un peu plus complexe puisqu’il y a l’interfécondité qui entre en jeu, étant entendu que parler d’une espèce claire et d’une autre foncée pour le phalène est une faute scientifique manifeste. Ce sont en réalité des types. Le type foncé devient dominant. Et le type clair subit une récession drastique. La sélection naturelle explique pourquoi les espèces s’adaptent. Mais elle ne dit rien sur l’évolution. Pourquoi le phalène existe-t-il sous forme de plusieurs types ? Le généticien répond qu’un gène a muté et change la coloration des gènes. Pourquoi ça mute et si ça mute, ça marche si bien, comme s’il y avait un jeu de lego infini présidant aux destinées du vivant ? Le généticien ne sait plus et finit par atterrir dans un mutisme de circonstance.
On n’en saura pas plus sur l’évolution mais par contre, la sélection naturelle reste un phénomène sur lequel la science a prise, notamment grâce aux études sur les gènes. Tout dépend quel champ du vivant se prête à l’investigation proposée par la génétique des populations. Certaines peuplades n’ont pas subi le brassage des gènes dû à l’interfécondité et les migrations récentes liées aux déplacements modernes. C’est le cas des Tibétains qui depuis des siècles, occupent des espaces situés en altitude, des espaces justement où l’organisme se doit de montrer des aptitudes adaptatives particulières car passé les 3000 mètres, l’oxygène se raréfie. L’individu vivant au niveau de la mer ne s’adapte pas si facilement à la vie en atmosphère raréfiée. Il subit ce syndrome désigné comme mal des montagnes que l’on impute à un excès de globules rouges et d’hémoglobine produits pour faire face à la raréfaction de l’oxygène. Une réaction que bien évidemment les Tibétains ne connaissent pas puisque depuis des siècles, voire des millénaires, ils se sont adaptés pour vivre en altitude. A titre de comparaison, 5 à 10 millénaires d’évolution humaine représentent 200 à 400 générations, alors qu’il a fallu 10 à 20 fois moins de générations de phalènes pour observer la sélection naturelle.
Grâce aux technologies utilisées en génétique, (Beall et al, PNAS) plusieurs équipes de scientifiques viennent de déceler des corrélations entre le dispositif génomique et la concentration réduite d’hémoglobine dans le sang des Tibétains, phénomène physiologique expliquant l’adaptation à une atmosphère hypoxique alors qu’un individu habitué aux basses altitudes voit son taux d’hémoglobine s’accroître substantiellement lorsqu’il séjourne en très haute montagne, ce qui lui occasionne ce fameux mal des montagnes. A force de vivre en altitude, les Tibétains ont transmis par le mécanisme de sélection naturelle un patrimoine génétique permettant d’être mieux adaptés à l’hypoxie et comme le montrent des statistiques récentes, le taux de mortalité infantile des Hans présents au Tibet est trois fois celui des indigènes tibétains. On comprend ainsi comment l’allèle permettant de gérer un taux réduit d’hémoglobine s’est fixé au cours de milliers d’années de sélection naturelle. Dans la région du gène EPAS1, 8 mutations simples (SNPs) marquent la différence entre les Hans et les Tibétains vivant sur des plateaux à 3300 mètres d’altitude. Or, ce gène est connu pour coder HIF-2, facteur de transcription qui stimule la production des globules rouges. Une autre analyse, sur des peuplades vivant à 4200 mètres, évalue à 31 le nombre de SNPs dans cette même région génique.
S’il s’avère que la colonisation du Tibet remonte à 3000 ans, il s’agirait alors de la mise en évidence du plus récent phénomène de sélection naturelle détecté par les moyens génétiques. En fait, les ethnologues ne sont pas tous d’accord, certains pensant que le Tibet était déjà peuplé il y a au moins 7 000, voire 10 000 ans, alors que l’agriculture était déjà bien développée. Quoi qu’il en soit, la sélection a bien eu lieu et comme dans toute découverte scientifique, les résultats suscitent d’autres questions. Comment comprendre que, comparé à un individu récemment adapté à l’hypoxie, les Tibétains ont moins d’hémoglobine dans le sang sans que leur état physiologique et leur aptitude physique en soit affectée. Autrement dit, quels mécanismes physiologiques ont développé les Tibétains pour que leur métabolisme fonctionne avec un taux d’hémoglobine réduit ? La génétique n’a pas encore livré tous les secrets sur cette « vie systémique » où lorsqu’on constate qu’un instrument moléculaire joue d’autres notes, eh bien c’est toute la partition du système qui semble modifiée. De plus, un autre mystère s’offre également. Pourquoi l’homme possède-t-il ce facteur de stimulation des hématies HIF ? Est-ce le signe d’une très vieille sélection naturelle indiquant que nos lointains ancêtres auraient dû s’adapter à des situations hypoxiques ? Et si oui, cela signifierait-il que la concentration en oxygène aurait varié ? Ou bien tout simplement que le fœtus aurait besoin de plus d’hémoglobine ce qui justifierait la présence du facteur HIF ? En fait, ce n’est pas le cas, car la réponse physiologique repose sur une hémoglobine fœtale ayant plus d’affinité pour l’oxygène.
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