L’état actuel des connaissances en biologie du développement se prête à l’élaboration de deux cadres paradigmatiques permettant de comprendre et concevoir la manière dont un organisme se développe à partir d’une cellule germinale fécondée. Les acquis de la génétique ont fourni beaucoup de données moléculaires. Et comme on pouvait s’y attendre, la conception du « programme génétique » a été proposée. Le principe consiste à imaginer le développement des cellules dans l’organisme (mitoses, différenciations, positionnement) comme le résultat d’une suite d’instructions encodées dans la molécule d’ADN et ses milliers de gènes permettant de fabriquer les protéines dont la juxtaposition constitue un parmi les deux à trois cent phénotypes qu’on trouve dans l’organisme d’un mammifère. Une fois l’œuf fécondé, les instructions génétiques se déclenchent et se succèdent. Des tonnes de pages ont été écrites sur ce sujet. Cette conception est qualifiée de réductionnisme, position qui serait opposée à l’autre option, globale, holiste, liée au paradigme de l’auto-organisation, ainsi que l’expose clairement John Maynard Smith dans un petit livre consacré à La construction du vivant (Cassini, 2000). La thèse du programme génétique n’accorde aucune place à la fantaisie et l’indétermination. Chaque instruction doit se dérouler d’une manière parfaitement réglée. Cette manière de voir a été prisée d’autant plus que des découvertes génétiques ont abondé dans ce sens. Ce fut le cas des homéogènes, ces éléments géniques censés orienter le développement des cellules pour former les membres antérieurs et postérieurs. Ces homéogènes ont révélé des similitudes conservées par l’évolution, puisqu’on les trouve aussi bien chez les insectes que chez les mammifères.
Face à ce paradigme, des alternatives ont été proposées. En fait, toute la question porte sur les causes efficientes. Suite aux expériences et réflexions récentes, le déterminisme des gènes est revu à la baisse ou alors conçu d’une manière nouvelle. L’une des pistes les plus intéressantes consiste à suivre l’hypothèse de la « société des cellules », c’est-à-dire de l’ontophylogenèse, élaborée par Jean-Jacques Kupiec, tout en prenant en compte des travaux en cancérologie comme ceux de Henry Heng ou de Jean-Pascal Capp. Il faut avancer prudemment dans cette question et bien différencier, d’un point de vue ontologique, l’idée d’un déterminisme génétique et celle d’un programme génétique. Ce que dit Kupiec, dans une conférence prononcée en mai 2010, c’est que le vivant possède un caractère fondamentalement probabiliste. La dynamique du noyau et l’expression des gènes se fait de manière stochastique (phénomène observé à partir de 1990). Et donc, la notion de programme génétique est caduque. Cette conclusion radicale est une position adoptée par Kupiec qui précise que les fluctuations de l’expression peuvent tout aussi bien représenter (i) des ajustements dans le déroulement d’un programme génétique que (ii) le signe d’un trait fondamental du développement ontogénique s’effectuant de manière étrangère à un programme. C’est cette option forte qui est combinée avec une seconde audace théorique visant à faire de la phylogenèse et de l’ontogenèse une seule et même réalité ontologique, ou plus précisément, selon les mots de l’auteur, un seul et unique processus. Cette thèse n’est pas conventionnelle puisqu’elle rompt avec la distinction orthodoxe selon laquelle la sélection naturelle explique la phylogenèse alors que l’embryogenèse (l’ontogenèse) explique le développement de l’organisme. Brièvement, l’idée directrice consiste à prendre l’appareil génomique comme un générateur aléatoire de phénotypes cellulaires qui en établissant des interactions cellulaires, seront « orientés » dans leur destination définitive. Cette idée est séduisante. L’organisme est assimilé à un milieu, très condensé certes, mais fonctionnellement parlant, un milieu, qui sélectionne les cellules, au même titre que le milieu naturel sélectionne les espèces. L’idée de Kupiec est puissante mais le risque encouru est d’aboutir à une erreur fatale si elle est développée dans une orientation inadéquate. Mais comme le dit l’auteur, les données expérimentales imposent de rompre avec les cadres théoriques admis, alors, il faut prendre des risques et c’est de cette manière que la science avance. Mon analyse sur cette « affaire épistémologique » est que Kupiec est partie d’une bonne idée mais s’est fourvoyé en jetant pour ainsi dire par-dessus « l’arche moléculaire du vivant » les résultats expérimentaux et les dispositifs théoriques concernant les réseaux de protéines et de gènes (et j’ajoute épigénétique). En une formule, je dis que les réseaux ne sont pas le problème mais la clé du vivant. De plus, raisonner en terme de réseau n’amène aucunement à penser en terme de programme génétique. Je vais essayer de pousser un peu plus loin l’esquisse de cette nouvelle conception du vivant que j’élabore en jouant cette fois sur le principe de l’ontophylogenèse puis en le dépassant.
Il s’agit de concevoir une dialectique entre le génome d’une cellule et son environnement cellulaire. Plus précisément, l’expression des gènes et la dynamique épigénétique montrent une grande plasticité traduite en terme de processus stochastiques. L’environnement cellulaire stabilise alors ces processus en jouant sur les systèmes de communication intercellulaires. La présence de réseaux moléculaires permet à la cellule de développer un processus cognitif. L’idée d’un environnement qui stabilise la dynamique génétique est très intéressante mais il faut être prudent sur ce pont tracé entre la sélection darwinienne et la « sélection ontogénétique ». Parce que dans l’ontogenèse, un éventuel processus de sélection porte sur le dispositif expressif et donc épigénétique, alors que dans l’environnement, c’est le jeu de la sélection qui opère sur un génome évolutif transmis principalement par deux membres sexués grâce à la fusion des gamètes permettant le mélange de deux génomes. C’est l’instabilité chromosomique qui permet la spéciation et aussi surprenant que cela puisse paraître, la reproduction sexuée ne serait pas une instance productrice de diversité mais au contraire un processus stabilisant, comme l’ont explicité Heng et Gorelick (voir précédemment). Une chose à retenir, très importante, c’est cette notion d’instabilité et de comportement stochastique, qui renvoie non seulement à un caractère formel (plasticité de l’information) mais aussi une autre essence, dynamique, énergétique. S’il y a instabilité, c’est parce que ça vibre.
Effectivement, « ça vivre et ça vibre » et le « ça cellulaire » pourrait être inséré dans une topique cellulaire tracée en correspondance avec la seconde topique freudienne. Essayons pour commencer de concevoir le noyau et son ADN comme un espace dynamique, doté d’un ensemble de « pulsions expressives ». Cette idée m’est venue en étudiant une hypothèse, mentionné par Capp, sur l’état par défaut de la cellule qui ne serait pas la quiescence mais la propension à se reproduire. Ne peut-on dire que si le « ça » dicte le comportement par défaut de l’individu alors le surmoi permet à l’individu de se stabiliser comme un membre participant à une société avec ses règles. Pareillement, une cellule participe à une « vie sociale » au sein d’un organisme dès lors que son expression génique est stabilisée grâce aux communications établies avec les cellules environnantes. Les cellules ayant perdu leur sens social se mettent dans une situation où le « ça de l’ADN » peut s’exprimer sans contrôle et donner lieu à une prolifération intempestive due à un génome déstabilisé. Finalement, qu’est-ce qu’un organisme sinon un ensemble de milliards de cellules capables de vivre en société en réalisant des tâches extrêmement ajustées, coordonnées entre elles. De plus, lors de l’ontogenèse, une cellule se divise en se spécialisant tout en rejoignant la destination qu’elle occupera au sein de l’organisme mature pour y exercer une tâche physiologique précise. Une cellule semble disposer du « fil de son histoire » et si elle se cancérise, c’est parce qu’elle finit par perdre ce fil en se comportant de manière erratique, comme si elle était emporté par une pulsion vitale non contrôlée alors qu’une cellule normale disposerait d’un soi qu’elle bâtit lorsque son ADN s’exprime et qu’au niveau épigénétique, les informations internes et externe se rencontrent en formant un réseau. Et qui dit réseau dit cognition. Alors une hypothèse, inédite se dessine. Je suggère que le noyau cellulaire est autant le lieu où s’exprime le phénotype, que le siège de processus cognitifs par lesquels la cellule perçoit la place qu’elle occupe dans la « société des cellules ».
C’est la structure particulière du noyau qui permet à la cellule de développer son système cognitif et en prenant les précautions d’usage sémantique, on pourrait imaginer que le noyau a plusieurs rôles et notamment celui d’une sorte de « cerveau cellulaire ». Le fait que deux membranes séparent le noyau du cytoplasme permet ainsi une relative autonomie et la possibilité de réalisation d’un réseau épigénétique, fait d’ARN et de protéines, pouvant fonctionner en relative autonomie et capable de produire une cognition au niveau moléculaire et cellulaire. Il faut noter que les organismes les plus élémentaires et sans doute les premiers dans la chaîne évolutive sont les bactéries, micro-organismes de taille rudimentaire possédant un génome compact sans séparation avec le reste de la cellule. Mais les cellules eucaryotes sont apparues avec une complexification inouïe par rapport aux bactéries, avec un noyau, des chromosomes, des protéines nucléaires, un appareil d’expression génétique et à l’extérieur, un cytoplasme contenant des organites complexes, faits de membranes, un cytosquelette et ces dispositifs de fabrication des protéines que sont les ribosomes. Il se pourrait bien que la genèse du noyau puisse répondre à une nécessité cognitive ayant émergé chez les premiers eucaryotes pour ensuite se perfectionner et conduire à l’apparition des organismes pluricellulaires composés de phénotypes différenciés.
Je propose donc une orientation autant husserlienne que freudienne en envisageant une approche « phénobiologique » en référence à la phénoménologie de Husserl, doctrine spécifiant les relations entre une conscience et le monde. Il s’agit ainsi de comprendre que le noyau déploie des processus dont la stabilisation fait entrer un jeu des déterminants provenant de l’environnement cellulaire. Ce qui trace un parallèle avec les structures noématiques de la conscience qui exercent une action prescriptive guidant les « applications noétiques » de la pensée.
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Tout à fait d’accord avec vous Mr Dugué, je n’ai plus rien à ajouter :)
Enfin si, je ne résiste pas à l’envie d’ajouter quelques éléments de réflexion !
Tout d’abord, il y a à mon avis une sélection naturelle qui s’opère à chaque instant dans notre corps depuis le tout début de notre existence.
Dès le départ, il y a une lutte acharnée pour être aux première loges, l’objectif est de se développer en ayant à « portée de main » tous les éléments dont une cellule (oxygène, protéine, ...) peut avoir besoin. Au final, toutes les cellules ne sont pas logées à la même enseigne dans notre corps et certaines doivent être plus chanceuses que d’autres de part leur « lieu » de naissance.
Enfin, toutes ces belles théories n’expliquent pas un point important qui concerne la mémoire et tous les processus liés à la mémorisation.
Et si la vie pour se perpétuer avait pour premier objectif la mémorisation ? La mort entraîne la perte de toutes les données acquises, la transmission des informations aux générations suivantes pour garantir la pérennité de la vie me semble être un point central qui gagnerait à être exploré en profondeur.
J’en profite pour tester mon navigateur vu que les pages ne s’affichent plus correctement et que je ne peux pas envoyer de commentaires comme je le souhaite. Sur la mémoire, bientôt un article sur les RNAi, dès que j’aurai pu étudier le papier que Mello m’a envoyé. La mémoire transgénérationnelle, elle existe et s’effectue avec le domaine épinégénétique. En fait, la mémoire fait partie du processus cognitif. Pour reconnaître des formes extérieures, il faut bien pouvoir les comparer avec un répertoire mémorisé à plus
Yes !!! et re yes. Tout çà est très complexe nous sommes dans la biologie quantique ou du moins celle çà fusionne plus que çà raisonne et stochastique là c’est chic., Merci de votre boulot.
Dire que l’expression des gènes est le résultat de phénomènes stochastique est une évidence, cela est connu depuis les débuts du travail sur le cancer : une cellule effectue au cours de sa mitose une copie du code génétique et le risque existe (probabilité faible mais non nulle) que la copie se fasse mal. Au vu du nombre de mitoses dans la vie d’une cellule, et au vu du nombre de cellules composant un être vivant, cette probabilité d’erreur devient déjà plus significative. Des facteurs extérieurs (tabac, alcool, moins de 5 fruits et légumes par jours, ....) augmentent ces probabilités. Un cancer n’est finalement qu’un groupe de cellules ayant opéré une erreur de retranscription du code génétique et qui n’ont pas été détectée à temps par le corps.
Parler des facteurs extérieurs comme agissant dur l’expression du code génétique n’est en soi pas non plus une nouveauté flagrante. On parle d’épigénétique, et la fiche Wikipedia l’explique bien plus simplement que vous (et de façon plus complète).
Enfin, dire que le patrimoine génétique est « caduque » à de quoi surprendre car, même s’il ne fait pas tout (épigénétique) il sert de base. Si mon code génétique me dit que mes cheveux sont noirs, l’environnement aura beaucoup à faire pour que je devienne blond voire roux.
Sinon, pour ceux que ça intéresse, je recommande vivement « La vie cachée de nos gènes » de Hervé Nisic.
Vous m’effrayez avec votre assurance qui rappelle la dévotion des croyants face aux dogme de l’Eglise, dévotion qui va de pair avec l’ignorance et l’ignorance, vous l’affichez en vous méprenant sur l’essence des processus stochastiques qui n’ont rien à voir avec des erreurs de copie et vous n’avez rien compris non plus au cancer. Vous êtes carrément effrayant dans vos certitudes mais vous ne pouvez pas comprendre et je ne sais même plus quoi dire face à tant de bêtise
L’ensemble des données biologiques qui sont générées en biologie moderne le montre : les évènements capturés ne sont le reflet que de processus découlant d’une activité régulée par d’autres processus. On parle rarement d’un processus biologique comme un évènement s’effectuant de façon certaine, mais de façon statistique. Les derniers travaux sur les conformations spatiales des chromosomes en sont un exemple parfait.
Le fonctionnement d’une cellule est induite par un réseau de régulation, où l’environnement extérieur a une possibilité d’action. Les cancers sont le fruit d’une dérégulation parfois minime d’une des actions de régulation.
Ma seule certitude est que vous enrobez une discours creux par un verbiage inutile. Je suis assez déçu quand on voit la clarté que vous avez dans vos publications.
Celui la, par exemple, merci a l’auteur, me (nous) permet de reagir sans risque tant la certitude de la realité vraie et loin d’etre accessible. Personne n’a donc raison ni tort et il ne reste que le plaisir de la discussion...
Ah, oui, il y a quand même quelques contraintes, au moins une, celle du BON SENS !
Tiens, par exemple, je prends une extrait qui n’est pas peuplé de gros mots...
« »« le noyau .. / .. notamment celui d’une sorte de cerveau cellulaire »« ».
Du caviar je vous dis, a l’aune du bon sens :
Un cerveau implique dans ce contexte, une autonomie decisionnelle, portée soit par une programmatique dont on cherche toujours où se trouve le code, le firmware... soit par un determinisme, non aleatoire, dont on ne connait ni la source, ni le support laissant la porte ouverte aux themes des creationistes.
A partir de là, il y a de quoi developper des theories allant dans toutes les directions.
Mais, interressant, le mais, il y a ce sacré bon sens qui nous demontre jour apres jour, secondes apres secondes, que le fonctionnement de la vie, donc des cellules et leur noyaux n’obeit pas a ces echafaudages intellectuels, et les 7 milliards d’humains auxquels s’ajoutent les milliards d’animaux offrent une mesure statistique suffisantes dans l’espace et dans le temps.
La recherche, par la simplification, est la voie employée pour acceder a la connaissance ultime, celle de la vie, mais nous sommes encore loin, tres loin d’etablir une cartographie fonctionnelle, si elle existe, de notre existence.
En tres, tres bref, ou la vie est un long fleuve tranquille , aleatoire entre ses berges.... ou bien il faut admettre l’existence d’une puissance superieure promotrice de la negentropie naturelle et on pourrait l’appeler « dieu ».
Quand vous cuisinez, si vous avez un liquide peu consistant, bref, un truc qui tient pas debout ou qui n’intéresserait pas grand monde, vous pouvez en faire de la gelée avec un additif (gélatine de porc, agar-agar...).
On peut faire pareil quand on veut rédiger un article, avec du vocabulaire un peu technique en guise de gélifiant.
il faut lire au coeur du vivant de jaqueline bousquet sur le site ARSITRA , ce sont les champs morphogénétique qui défni le corps donc la pensée,vaste programe !!!