Fiasco du Silvercrest : péché d’orgueil du groupe Safran ?
Pour un constructeur d’avions, annoncer l’arrêt d’un produit phare en cours de développement est un fait rarissime. Ainsi, l’annonce faite par Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation, en décembre dernier, d’arrêter le programme du Falcon 5X a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le monde de l’aéronautique... Même si les spécialistes s'attendaient à cette décision logique et, somme toute, courageuse.
Stopper net un programme extrêmement prometteur après avoir investi plus de 500 millions d’euros et engrangé des commandes ne peut se comprendre sans raisons majeures autant qu'imprévisibles.
Que l’abandon du programme soit dû à l’incapacité du fournisseur du moteur de livrer, quatre ans après la date initialement prévue, est encore plus surprenant. Surtout lorsque ce dernier est le groupe Safran, acteur majeur à la réputation bien établie dans ce monde particulier qu’est celui des motoristes.
Petit rappel de l'origine du groupe industriel Safran
Au commencement était le regroupement des sociétés Sagem/Snecma ; Cette dernière société est celle qui a propulsé tous les avions de combat français depuis les années 1960 jusqu’au moteur du Rafale (M-88). Safran a également repris la société Turbomeca, leader mondial des turbines d’hélicoptères qui a notamment conçu et fabriqué des moteurs d’avion tels que le célèbre Adour.
Côté moteurs civils, Safran est également le partenaire de GE (General Electric) dans la conception et la fabrication du best seller CFM56 et de son successeur, le LEAP. Le groupe Safran est donc bien un motoriste majeur européen tant dans le domaine des moteurs à usage civil que militaire.
Quid du Silvercrest ?
Lancé en 2006, c’est un projet de moteur civil destiné aux avions d’affaires. Un marché nouveau pour Safran. Rentrer dans un marché nouveau n’est ni anodin ni sans risque. Safran l’avait bien analysé. C'est en effet lui qui l’avait proposé et « vendu » tant à Dassault qu’a Textron Aviation deux constructeurs aéronautiques renommés dans le domaine de l’aviation d’affaires, quiont lancé chacun leur propre avion à quelques années d’intervalle avec cette même motorisation.
Sur le plan technique, Safran possède à l’évidence toutes les compétences techniques pour réussir :
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Un développement de produit nouveau en aéronautique en particulier, c’est tout d’abord une affaire d’équipe ;
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Développer et mettre au point un tel produit nécessite beaucoup d’humilité et des règles de management très souples où l’expérience détenue par les « anciens » doit être placée au centre du dispositif.
Las ! Après 4 ans de retard, Safran n’est, selon Eric Trappier, toujours pas en mesure de donner une date pour la mise en service de ce moteur.
Comment une telle société ne s’est-elle pas donné les moyens de réussir ce projet, certes nouveau pour elle, mais qui ne faisait pas appel à des technologies nouvelles ?
Comment est-il possible que Safran, avec son savoir-faire, sa taille, ses moyens humains et financiers échoue dans le développement de ce produit ?
Le groupe Safran est-il devenu trop gros pour ne plus savoir mettre en place un management adapté au développement d’un tel produit ?
Etait-il raisonnable de mener, en parallèle, deux projets tels que le Leap (le moteur civil vendu à des milliers d'exemplaires pour équiper plus de la moitié des Airbus et, notamment les Boeing 747 NG) et le Silvercrest ? Surtout lorsque l’on sait les enjeux majeurs d’un point de vue industriel et financier que représentent le « Leap ».
Le groupe Safran aurait-il perdu son âme de motoriste en consacrant tant d’énergie au rachat du groupe Zodiac ?
Quelle a été l'application du processus de gestion des risques chez Safran ? Le maillon faible a-t-il été à ce niveau ?
La réaction de la direction de Safran à la décision de Dassault d’arrêter le programme 5X a consisté à déclarer que "toutes les pertes consécutives à cet échec ont déjà été provisionnées". Une réponse de comptable. Mais, est-elle en mesure de rassurer le monde aéronautique sur les capacités du groupe à développer de nouveaux produits dans le domaine des moteurs ? Est-elle en mesure de rassurer le monde de la défense sur les capacités du groupe à développer le successeur du M88 ?
Dassault s’étant retiré du programme Silvercrest, il est fort probable que Textron Aviation fasse de même si Safran ne démontre, courant 2018, que le problème technique lié à la conception de l’étage haute pression de son compresseur est résolu. En effet, son dernier client est à ce jour le business jet « Citation Hemisphere » qui devrait faire son premier vol en 2019.
Si ce n’est pas le cas, Safran aura alors perdu tout espoir de rentrer dans un marché qu’il avait essayé de pénétrer. En outre, sa réputation, déjà ébranlée, en souffrira.
Seul un audit interne sans complaisance pourra expliquer les raisons de cet échec et en apporter les remèdes. La direction de Safran ne peut se contenter de mettre la poussière sous le tapis. Safran se doit de rassurer ses actionnaires et ses clients. Et si Safran avait, tout simplement, pêché par orgueil ?
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