Galileo : l’Europe décroche la lune (ou presque)
Vendredi 23 novembre 2007 a été enfin entériné le financement du projet GALILEO. Un véritable feuilleton made in Europe impliquant une foultitude d’acteurs, tant privés que publics. Au-delà du simple aspect de capharnaüm dégagé par les annonces les plus diverses et rocambolesques, c’est tout un pan de la crédibilité de l’Union européenne qui était en jeu. Car GALILEO ce n’est pas simplement une banale mise en œuvre technique et financière commune, c’est un pari sur l’indépendance de l’Union européenne à moyen et long terme.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH205/GALILEO-6b5d6.jpg)
Concrètement, qu’est-ce que GALILEO ?
Basiquement, l’on pourrait le définir comme étant un réseau d’une trentaine de satellites faisant l’objet des dernières innovations techniques en la matière, et dont la fonction principale est de permettre la radionavigation. D’où une multitude d’applications qu’il serait trop fastidieux de répertorier ici, citons pêle-mêle les transports pour le suivi des marchandises ou l’assistance en cours de vol des aéronefs ; le suivi en temps réel de grandes catastrophes comme par exemple la progression d’incendies ; dans le monde de l’agriculture, la délimitation exacte des espaces agricoles ainsi que le suivi au mètre près d’un épandage, etc. [1].
Le dossier étant sous la direction de l’ESA (European Space Agency, Agence Spatiale Européenne [2]).
Si l’on fait fi des améliorations techniques imputables à la jeunesse du projet, vous m’objecterez que nous connaissons déjà ce système de par chez nous et qu’il n’est en rien innovateur puisque ça s’appelle le GPS, ou système de positionnement par satellite. Tout à fait exact, ce qui m’amène au second point.
Pourquoi un doublon au système GPS ?
Pour l’indépendance. L’indépendance et la crédibilité de l’Europe serais-je même tenté de rajouter.
Indépendance par rapport au système actuel GPS qui dépend entièrement des Américains [3]. Certes, nous pouvons bénéficier de leur système à volonté, mais force est de constater que c’est une mise à disposition et non une copropriété. A ce titre, l’on se souvient de l’humiliation subie par François Mitterrand lorsqu’un général américain refusa de lui laisser des photos satellites prises peu avant le début de la guerre du Golfe : un mal pour un bien puisque ce sera le point de départ du programme HELIOS (dont le succès est tel que le système HELIOS II en prend la relève selon les mêmes modalités).
Si l’Europe dispose de son propre système, elle n’en sera que moins dépendante d’une quelconque coercition de la part de ses alliés américains. Difficile de prédire que les Américains n’oseront jamais à terme user de cette arme : les relations internationales étant ce qu’elles sont, qui peut prétendre que cela ne pourra jamais arriver ? La Commission européenne abondant en ce sens dans son Livre Blanc sur les transports Européens à l’horizon 2010 [4].
De plus, sans entrer dans une configuration d’opposition, les système GPS et GALILEO pourront très bien œuvrer de concert pour pallier toute déficience temporaire (exemple : dysfonctionnement d’un satellite) ou accroître l’efficacité générale de la radionavigation [5].
Et crédibilité enfin parce que l’Europe doit toujours et sans cesse montrer aux pays tiers qu’elle ne peut être réduite à une mosaïque de pays incapables de s’entendre, qu’au contraire elle sait mettre à profit les différentes cultures et technologies à disposition pour avancer conséquemment dans les projets d’envergure.
Airbus en est la plus grande manifestation à ce jour, et GALILEO pourrait s’inscrire dans ce schéma à son tour. Sauf que...
Qui va payer ?
Car l’indépendance a un coût, et ce dernier est élevé ! Au bas mot, et selon l’estimation de la Commission européenne, 2,4 milliards d’euros manqueraient dans les caisses pour mener le projet à son terme (sur un total de 3,4 milliards d’euros). Une somme rondelette qui aurait dû au départ être assurée par l’entremise d’investisseurs privés : or là fut le couac... La concession qui devait être accordée aux partenaires du secteur privé [6] échoua lamentablement, obligeant les instances européennes à prendre personnellement en main le dossier pour le sauver. Cet épisode plaçant paradoxalement les autorités de Bruxelles à contrevenir quelque peu à leur dogme économique à base de libéralisme.
De fait, le consortium privé n’arrivant pas à se mettre d’accord, il devint évident que les Etats allaient devoir mettre la main à la poche. Les divers pays comprenant l’intérêt et le symbole d’un tel dessein, la plupart exprimèrent leur accord de principe... à l’exception de l’Allemagne qui renâcla fortement à s’engager dans une telle perspective.
Nuançons cependant : Mme Merkel s’opposa moins sur le fond que sur la forme. En effet, il était convenu que les fonds européens non dépensés (PAC en tête) devaient être réorientés vers GALILEO au lieu d’être redistribués vers les Etats membres. A ce petit jeu, l’Allemagne était la grande perdante, en raison de 500 millions d’euros qu’elle ne reverrait jamais si le schéma était adopté : s’ensuivit un forcing unilatéral replaçant l’ESA au centre du jeu tout en incitant les différents pays à verser une contribution en fonction de leurs moyens et capacités du moment [7].
Hélas pour nos amis allemands, les ministres des Finances des Etats membres votèrent majoritairement vendredi dernier à Bruxelles, tout comme le Parlement européen qui codécide en la matière [8], en faveur du montage financier émanant de la Commission.
Non sans toutefois offrir quelques garanties propres à rasséréner les autorités de Berlin, principalement sur le fait qu’une telle décision de redistribuer les fonds non utilisés demeurerait exceptionnelle et ne saurait constituer un précédent faisant jurisprudence.
Alors GALILEO enfin sur la rampe de lancement ?
On l’espère de tout cœur, car depuis 1999 et son ébauche par la Commission européenne, ce grand chantier européen se veut être le marchepied des ambitions du Vieux Continent en matière de conquête de l’espace, tout en bénéficiant d’une autonomie technologique renforcée vis-à-vis du grand frère américain.
[1] Site de la Commission européenne sur le sujet, disponible en 3 langues.
[2] Le site de l’Agence spatiale européenne. Où il sera loisible à chacun de découvrir toutes les activités de l’ESA qui ne se contente pas du seul projet GALILEO, ainsi sont ébauchés les futurs lanceurs européens ou encore le programme AURORA destiné à conceptualiser puis matérialiser les conditions d’une exploration du système solaire par l’être humain.
[3] Et pour cause : tout comme internet, le GPS est une application civile dérivée d’une invention militaire à l’origine.
[4] L’intégralité du Livre Blanc en langue française.
[5] En juillet dernier a été accepté par les autorités américaines et européennes l’adoption d’une fréquence commune pour les deux systèmes.
[6] iNavSat (EADS, Thales, Inmarsat) et Eurely (Alcatel, Finmeccanica, AENA, Hispasat).
[7] Le principal souci d’une telle mesure se trouvait dans l’obligation pour les pays à procéder à de nouveaux marchandages sans fin alors que GALILEO accusait déjà un retard conséquent suite aux difficultés de financement via le consortium privé. De plus l’ESA ne regroupe pas tous les pays de l’Union européenne, accueillant même en son sein des pays tiers à celle-ci (Suisse et Norvège notamment), ce qui aurait encore compliqué la donne.
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