Importante découverte sur les cellules souches…

ou quand les ARN s’invitent dans l’ontogenèse
Une surprenante découverte impose de revoir les conceptions actuelles en embryologie et notamment, la question de la spécialisation progressives des cellules à partir des souches (Gutmann et al. Nature, 28/08/11). Jusqu’à présent, les biologistes du développement pensaient que le devenir des cellules embryonnaires était sous la gouverne de protéines régulatrices censées jouer les chefs d’orchestre en orientant le développement cellulaire vers la destination finale, cellules d’un des trois feuillets, puis cellules tissulaires, musculaire, hépatique, nerveuse, dermique, etc. Or, une équipe de chercheurs issus du MIT et de Harvard vient d’établir un constat nécessitant de revoir cette conception. Ce ne sont pas des protéines mais certains types d’ARN qui semblent diriger les manœuvres en poussant les cellules souches vers leur destination spéciale ou bien en les maintenant dans leur état totipotent en attendant une spécialisation ultérieure.
Ces découvertes s’inscrivent dans une tendance épistémologique présente depuis deux ou trois décennies. L’ancienne vision héritée de la biologie moléculaire des seventies se focalisait sur deux éléments fondamentaux, le génome et le protéome, les ARNs n’étant alors que des intermédiaires permettant de passer des gènes aux protéines. Mais peu à peu, le transcriptome s’est enrichi avec la découverte d’ARNs aux structures particulières pouvant jouer de multiples fonctions et notamment, servir de régulateur dans le noyau en ayant de surcroît comme propriété le fait d’être non codant, c’est-à-dire de ne pas participer aux opérations de formation des protéines en véhiculant une séquence de codons. C’est le cas des ARNs de petites tailles aux dénominations multiples que je mentionne en abréviation anglo-saxonne ; mi-RNAs, si-RNAs, pi-RNAs, sno-RNAs. Les généticiens ont eu la surprise, au cours de la décennie 2000, de découvrir le nombre incroyable de transcriptions n’ayant pas de fonction codantes. Une évaluation récente chiffre à seulement 20% la proportion d’ARNs codant pour des protéines. A quoi servent les 80% restants ? Une chose est sûre, la question de l’ADN non codant est partiellement résolue puisque cet ADN sert au moins à synthétiser une multitude d’ARNs non codants dont les rôles doivent être importants, bien qu’ils ne soient pas élucidés pour la plupart.
C’est dans ce contexte scientifique que l’équipe du MIT dirigée par Eric Lander vient d’assigner un rôle à une classe d’ARN récemment découverte, celle des linc-RNAs, autrement dit des ARNs non codants de grande taille. Ces ARNs ont fait l’objet de nombreuses discussions nous dit Lander, précisant que leurs fonctions jusqu’alors inconnues pourraient être de commander le « destin » des cellules embryonnaires et que c’est une sacrée surprise car les biologistes pensaient que ce rôle était dévolu à des protéines centrales dans les mécanismes de régulation embryologique. Pour maintenir une cellule dans son stade totipotent, il faut que les gènes d’expression de la cellule spécialisée (myocyte, hématie…) restent silencieux et c’est cette fonction répressive qu’exercent ces linc-RNAs dont la taille est respectable, plus de 200 nucléotides. Ils jouent pour ainsi dire le rôle de capitaines censés diriger les opérations de différenciation ou de maintien des cellules embryonnaires. Des études supplémentaires ont montré que ces ARNs sont capables d’interagir avec des protéines structurales du noyau et notamment celles de la chromatine. Ils se comportent comme des assembleurs, à l’instar des protéines d’échafaudage découvertes lors de la précédente décennie (scaffold proteins) et fortement impliquées dans la physiologie cytoplasmique. Cette découverte ne surprendra guère puisqu’on connaissait déjà les propriétés catalytiques de certains ARNs (découverte couronnée par le Nobel attribué aux chimistes Altman et Cech). Si donc ces ARNs se comportent comme des protéines d’assemblages, c’est là le signe d’une conception assez nouvelle de la cellule dont les molécules centrales fonctionnent à la manière d’assembleurs en établissant des contacts, des communications, des jonctions amenées à véhiculer des flux de signaux et d’information. La biologie s’est peu à peu éloignée du modèle homéostatique hérité du de la chimie et de la cybernétique, avec ses métabolismes et ses boucles rétroactives. Les molécules cellulaires sont connectées à l’image des éléments d’un computer ou d’un central téléphonique.
C’est donc un nouveau front de recherche qui vient de s’ouvrir avec ces mystérieux linc-RNAs exerçant un rôle crucial dans l’expression des mécanismes embryologiques. Le schéma cellulaire se transforme progressivement, dévoilant des processus de plus en plus compliqués. Le doublet noyau/cellule, ou bien génotype/phénotype, s’avère assez simplificateur. Le passage du génome à l’organisme met en œuvre de nombreux types d’éléments régulateurs bien au-delà du promotome, c’est-à-dire des protéines régulant la transcription des gènes. Les ARN non codants sont aussi diversifiés que les protéines et sont eux aussi impliqués dans l’expression des gènes, à un degré qui pour l’instant est loin d’être élucidé. Ces nouveaux éléments mécaniques ne peuvent que nous éloigner, une fois de plus, de l’image conventionnelle du gène pris comme objet épistémologique fondamental de la vie et de l’évolution. Le génome dans son ensemble détermine le fonctionnement et le développement de l’organisme, avec des processus imbriqués dont l’étude ne semble pas voir la fin.
Cette importante découverte aura sans doute des conséquences dans la compréhension du vivant. Elle s’insère en effet dans la théorie centrée non plus sur le gène mais sur le génome. Une théorie qui s’annonce prometteuse (voir Heng). Par ailleurs, si le rôle des linc-RNAs se précise, alors une voie nouvelle se dessine en cancérologie. En effet, si ces ARNs contrôlent les mécanismes de spécialisation embryonnaire, autrement dit la destinée des cellules souches, alors, par un mécanisme inverse, ces ARNs pourraient tout aussi bien être impliqués dans la dédifférenciation et la prolifération des cellules tumorales. Seraient-ils à la source de la cancérogenèse ou bien sous le contrôle d’un ressort distinct agissant en amont ? Il est impossible de répondre à cette interrogation.
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